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faire des lois irrévocables, ceux du 19. ont le même droit à leur tour. Il n'y a point de raison pour accorder aux uns ce qu'on refuseroit aux autres. Et quelle en est la conséquence? C'est qu'on arrive à une période où l'œuvre de la législation toute anticipée ne peut plus s'exercer sur rien. Tout est réglé, tout est déterminé d'avance par des Législateurs plus étrangers aux affaires présentes, aux besoins actuels, que-les habitants les plus reculés du globe.

- Cette loi irrévocable, bonne ou mauvaise à l'époque où elle fut consacrée, devient - elle funeste dans la suite, il n'y a point de remède. Elle pèse sur toutes les générations qui se succèdent.

Le despotisme, fût-ce celui de Caligula ou de Néron, ne sauroit jamais produire des effets aussi pernicieux qu'une loi irrévocable. La crainte, la prudence, le caprice, la bienveillancé même (car il n'y a point de tyran qui n'ait ses moments de bienveillance), peuvent engager le despote vivant à révoquer des lois oppressives. Mais le despote mort, que pentil? et quel accès peut-on avoir dans sa tombe?

Observez que ce sophisme, comme tous les autres instruments de déception, ne peut jamais être employé que pour défendre de mauvaises

lois; car si la loi même est bonne, c'est son utilité qui la soutient. Forte par elle-même, elle n'a pas besoin d'être appuyée par des erreurs et des mensonges.

Mais est-il possible d'imposer la contrainte d'une loi perpétuelle à des millions d'hommes vivants, au nom d'un Souverain qui n'est plus, au nom d'une législation dont tous les Membres ont disparu de la terre? Un système de servitude où les vivants sont les esclaves, où les morts sont les tyrans, n'est-ce pas une trop grande invraisemblance?

Si un pareil système peut se soutenir, il est clair que ce n'est pas par la contrainte, puisque les morts n'ont aucun pouvoir; c'est uniquement par la force de la persuasion, par la force de quelque argument qui égare la raison publique; c'est en présentant aux hommes le fantôme de quelque mal imaginaire : c'est sans doute aussi par le mélange de quelque vérité, sans lequel il n'y auroit point d'illusion.

On peut réduire à deux chefs les moyens employés pour donner de la force à ce système.

1.° La loi sera nulle: voilà l'expression dont se servent ses antagonistes. La loi sera nulle puisqu'elle est contraire à une loi déclarée irrévocable, à une loi que nous considérons

comme fondamentale

à un droit que nous

appelons imprescriptible, etc. (1).

Ceux qui disent d'une loi qu'elle est nulle, ne peuvent avoir en cela qu'un seul but, celui de disposer le peuple à se soulever contre elle. C'est le sens de ce mot, ou il n'en a aucun. Il a une tendance purement anarchique. C'est un sophisme sorti du même moule que les Droits de l'homme, quoiqu'il soit mis en œuvre par des hommes bien différents, et qui ne se proposent point d'en tirer parti pour subvertir la Constitution de l'État.

Si le peuple doit considérer la loi comme nulle, elle ne doit être à ses yeux qu'un acte de tyrannie, voilé sous le nom de loi, un acte injuste et oppressif que ses Chefs n'ont pas eu. le droit d'exercer. Il doit l'envisager comme l'ordre d'un brigand, auquel on obéit quand on est le plus foible, en attendant le moment où l'on pourra le désarmer.

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2. Le second moyen pour maintenir l'immutabilité se tire de la Convention, c'est-àdire d'un engagement entre deux ou plusieurs parties contractantes. La fidélité dans l'exécu

(1) Cette fiction de nullité sera plus particulièrement examinée dans les sophismes anarchiques.

tion des contracts est une des bases les plus solides de la société, et un argument tiré de ce principe incontestable ne sauroit manquer d'être plausible.

Mais entre parties intéressées, le contract n'est pas par lui-même le but; il n'est qu'un moyen pour un but: et ce n'est qu'autant que ce but est le bonheur commun des parties contractantes, que l'observation du contract est désirable et conforme à la raison.

Cousidérons d'abord les diverses espèces de Conventions auxquelles on a voulu donner ce caractère de perpétuité.

1. Les Traités de Souverain à Souverain, par lesquels chacun d'eux s'engage, lui-même, et engage tout son peuple.

Mais, par rapport à ces Traités, le dogme de la perpétuité n'a jamais produit d'inconvénient politique. On a beau déclarer ces Traités perpétuels et irrévocables, la plainte générale tombe bien plus sur la pernicieuse disposition des deux parts à les enfreindre, que sur une adhésion trop scrupuleuse à les observer.

2.° Concession de priviléges de la part du Souverain à toute la Communauté dans le caractère de sujets.

3. Concession de priviléges de la part du

Souverain à telle portion de ses sujets, formant des Communautés partielles.

4.° Distribution de pouvoir ou arrangements politiques entre les différentes branches qui composent la Souveraineté.

5. Actes d'union de différentes Souverainetés qui se réunissent sous un même Chef, ou pour ne former qu'un État.

Qu'on prenne tel ou tel de ces Contracts, aussi long-temps qu'il résulte de leur observation un effet total avantageux à la Communauté, il n'y faut faire aucun changement. Si, au contraire, il en résulte un effet désavantageux, en total, la raison de l'observer cesse, et il y faut faire les changements requis par les circonstances.

Il est vrai que, vu l'alarme et le danger qui résultent naturellement de la rupture d'un Contract où le Souverain est partie, tout changement porteroit l'appréhension publique au plus haut degré, si le plus fort des Contractants, obtenoit, par là, quelque avantage aux dépens du foible, ou s'il n'y avoit pas une parfaite compensation.

Le principe de la mutabilité des Contracts est sans danger, pourvu qu'on n'en sépare point l'obligation de compenser. Mais on suppose ici, pour base de l'opération, la probité et non

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