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l'improbité, la véracité et non le mensonge : on suppose que le bien public est l'objet réel et non le prétexte ; que la compensation est complète et non purement apparente ou nominale. Si vous faites une supposition contraire, si vous partez de l'idée que ceux qui gouvernent ne méritent aucune confiance, il ne leur sera pas moins facile d'éluder le Contract ou de le violer, que de donner une compensation inégale. S'ils ont le pouvoir d'être injustes et la volonté de l'être, ils ne seront pas retenus par le Contract. Il ne fait point sûreté contre eux. La seule sûreté est dans la connoissance de l'union de leur intérêt avec l'intérêt commun,

Appliquez maintenant ce principe aux cas énoncés ci-dessus.

1. Les priviléges accordés par le Souverain à tous ses sujets.

Si, dans le changement supposé, les nonveaux priviléges sont d'une valeur égale à ceux qui sont abrogés, il y a compensation. S'ils sont supérieurs, il y a une raison évidente en faveur. de la mesure. Le Contract est changé, mais non violé.

2. Les priviléges accordés par le Souverain à une portion de la Communauté.

Si les priviléges en question sont utiles au

petit nombre et nuisibles à la société en général, ils n'auroient jamais dû être accordés.

Cependant il ne faut point les révoquer sans une compensation aussi complète que possible aux parties intéressées. Leur bonheur fait partie du bonheur public, autant que celui de tout autre nombre égal d'individus (1).

3. Nouvelle distribution de pouvoirs politiques entre les différentes branches qui com→ posent le pouvoir souverain.

Si le changement doit produire une augmentation sensible et réelle dans le bonheur public, l'arrangement antérieur ne doit point opérer en qualité d'obstacle.

Ce n'est point ici un cas de compensation. Les Membres de la Souveraineté ne sont pas propriétaires du pouvoir politique ; ils ne sont que des agents fiduciaires; ils ne le possèdent qu'en dépôt. Rien ne leur est dû quand on en change la distribution: rien à titre de dette; mais, selon les cas, il peut être prudent, pour faciliter l'opération, de leur accorder une indemnité plus ou moins grande (2).

(1) Voyez, sur cette importante obligation, Traités de législation. T. II. ch. IV.

(2) Théorie des récompenses. Liv. II. Ch. XII.

4. Actes d'union de Souverainetés qui se réunissent sous un même Chef.

Ce cas présente plus de difficultés que les précédents.

Lorsque deux États (nous n'en supposons que deux pour ne pas trop compliquer la question) viennent à se réunir sous le même Chef et la même Législature, ils ne laisssent pas de rester encore étrangers et indépendants à certains égards.

Quand on met en réunion une multitude d'hommes qui ont des habitudes diverses, il faut compter sur des jalousies, des défiances, des soupçons réciproques. Si l'inégalité est grande, l'État supérieur en force et en richessé voudra conserver une influence proportionnelle à ses avantages. L'État inférieur doit craindre naturellement qu'on ne lui fasse porter une trop grande partie du fardeau public, ou qu'on ne le tyrannise dans ses coutumes nationales, dans sa religion, dans ses lois civiles, etc.

Si vous ne faites aucun pacte, voilà la nation la plus foible exposée au danger de l'oppression, au mal de l'insécurité.

Si vous faites une convention qui spécifie des priviléges, qui limite les pouvoirs de l'État prédominant, tôt ou tard, par le changement des

circonstances, ces clauses restrictives deviennent autant d'obstacles au bien public, et produisent des inconvénients intolérables à l'une ou à l'autre des parties intéressées, ou à toutes les deux.

Heureusement, la durée même de l'Union prépare un remède à ce mal. Les deux Peuples, par l'habitude d'obéir au même Chef et d'agir de concert, assimilent leurs sentiments et leurs intérêts. L'expérience a tout au moins affoibli leurs appréhensions réciproques, et les barrières de séparation ne paroissent plus autant néces

saires.

Si, au moment de l'Union, il y avoit, avoit, dans l'un ou l'autre des États contractants, des hommes ou des Corps en possession de quelque privilége abusif, ils mettront tout en œuvre pour les faire reconnoître dans cet acte solennel et leur donner un caractère de perpétuité.

Lorsque l'Union se fit entre l'Angleterre et l'Écosse, les Torys, partisans de l'Épiscopat, ne manquèrent pas de saisir cette circonstance pour affermir le triomphe qu'ils avoient déjà obtenu sur les Presbytériens anglois (1).

(1) Par l'acte d'Uniformité passé sous le règne de

Charles II.

Dans les traités entre Nations, si l'une fait une concession à l'autre, il est d'usage, pour sauver le point d'honneur, de donner aux articles un air de réciprocité. L'objet seroit-il, par exemple, de permettre en Angleterre l'importation des vins de France, on stipuleroit que les vins des deux contrées peuvent réciproquement s'importer, en payant les mêmes droits.

Les auteurs de l'Union, après avoir trèsjustement stipulé la conservation de l'Église Presbytérienne en Écosse, pour rassurer les quarante-cinq Membres Écossois contre les cinq cent treize Anglois, procédèrent avec un air de candeur à stipuler réciproquement la conservation de l'Église Anglicane, pour rassurer les cinq cent treize Anglois contre les quarante-cinq Écossois.

Quelle crainte pouvoit-il exister pour l'Église Anglicane? Aucune de la part du Monarque, très-intéressé à maintenir l'Épiscopat; aucune de la part des quarante-cinq Écossois. Mais les Torys, qui dominoient alors, craignoient de ne pas dominer toujours, et ils profitèrent de ce moment de pouvoir pour lier la postérité par un acte considéré comme indissoluble (1).

(1) V. Comm. de Blackstone. I. p. 97, 98. La conservation des deux Églises lui paroît si nẻ

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