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gêne apparente du serment est précisément un moyen de despotisme.

Si un Roi d'Angleterre se croyoit lié par son serment â refuser une loi qui seroit jugée né-, cessaire par les deux Chambres et par le vœu national, la constitution donne heureusement des moyens de sortir du labyrinthe. Il ne trouveroit plus de Ministres, ou ces Ministres ne pourroient plus obtenir la majorité du Parlement pour aucune mesure. Le Roi seroit réduit à céder ou à abdiquer.

CHAPITRE VI.

DE L'OPINION DU GRAND NOMBRE CONSIDÉRÉE COMME AUTORITÉ.

Si l'on considère l'opinion d'un seul individu

pris dans la masse comme ayant un certain degré d'autorité probative, la force de cette autorité doit s'accroître avec le nombre des individus qui ont la même opinion, et cet accroissement est indéfini comme celui de la multitude.

Mais si dans la théorie, vous attribuez le plus petit degré de force aux nomades élémentaires qui constituent ce corps d'autorité qu'on appelle opinion publique, ou si, en d'autres termes, vous considérez le nombre de ceux qui entretiennent une opinion comme une preuve qui doit dispenser de l'examen ; la conséquence en devroit être une entière subversion de l'ordre établi :

1.° S'il n'étoit bien entendu pas que la distance, en fait de temps, détruit la force probative de l'autorité du nombre, il s'ensuit que toutes les anciennes erreurs devroient être rétablies, parce qu'elles ont été univer

:

selles il s'ensuit que la religion Catholique devroit être remise en vigueur dans les États protestants, que les lois de tolérance devroient être abolies, et qu'on devroit prononcer un veto absolu contre tous les changements imaginables. >>

2. Si la distance, en fait de lieu, n'étoit pas considérée comme détruisant la force probative de l'autorité du nombre, il s'ensuit que la religion Mahometane devroit être substituée à la religion Chrétienne, ou la religion de la Chine à l'une et à l'autre.

L'autorité du nombre, en matière d'opinion, prise en elle-même, indépendamment de toute preuve, est donc un argument sans aucune force. Si on vouloit lui donner de la valeur dans quelque foible degré que ce fût, on seroit d'abord conduit à l'absurde (1).

(1) << Que ne pouvons-nous voir ce qui se passe dans l'esprit des hommes lorsqu'ils choisissent une opinion! Je suis sûr que si cela étoit, nous réduirions le suffrage d'une infinité de gens à l'autorité de deux ou trois personnes, qui, ayant débité une doctrine que l'on supposoit qu'ils avoient examinée à fond, l'ont persuadée à plusieurs autres par le préjugé de leur mérite, et ceux-ci à plusieurs autres qui ont trouvé mieux leur compte, pour leur paresse naturelle, à croire tout d'un

Je ne veux pas dire par là que le législateur ne doive avoir égard à l'opinion du grand nombre, même indépendamment de toute

raison.

coup ce qu'on leur disoit, qu'à l'examiner sérieusement. De sorte que le nombre des sectateurs crédules et paresseux s'augmentant de jour en jour, a été un nouvel engagement aux autres hommes, de se délivrer de la peine d'examiner une opinion qu'ils voyoient si générale, et qu'ils se persuadoient bonnement n'être devenue telle que par la solidité des raisons desquelles on s'étoit servi d'abord pour l'établir. Et enfin on s'est vu réduit à la nécessité de croire ce que tout le monde croyoit, de peur de passer pour un factieux qui veut lui seul en savoir plus que tous les autres, et contredire la vénérable antiquité: si bien qu'il y a eu du mérite à n'examiner plus rien et à s'en rapporter à la tradition. Jugez vous-même si cent millions d'hommes engagés dans quelque sentiment de la manière dont je viens de le représenter, peuvent le rendre probable. Souvenezvous de certaines opinions fabuleuses à qui l'on a donné la chasse dans ces derniers temps, de quelque grand nombre de témoins qu'elles fussent appuyées, parce qu'on a fait voir que ces témoins s'étant copiés les uns les autres, ne devoient être comptés que pour un; et sur ce pied-là, concluez qu'encore que plusieurs nations et plusieurs siècles s'accordent à accuser les Comètes de tous les désastres qui arrivent dans le monde après leur apparition; ce n'est pourtant pas un sentiment

S'il ne la considère pas comme bonne, il doit la respecter comme forte. Si elle n'est pas pour lui, elle sera contre.lui. Si elle n'est pas son plus puissant auxiliaire, elle sera son plus formidable antagoniste.

Il doit faire le bonheur des hommes et on ne feroit pas leur bonheur, même avec de bonnes lois, quand elles blesseroient leurs opinions.

Si la mesure proposée est bonne, mais contraire à l'opinion du grand nombre ce n'est pas une raison pour y renoncer, c'en est une pour différer, c'en est une pour éclairer les esprits, pour employer tous les moyens légitimes de combattre l'erreur. Mieux fait douceur que violence. « Je suis fille du Temps, » dit la Vérité, et à la longue j'obtiens tout >> de mon père. »

Il y a donc sophisme à citer l'opinion du grand nombre, comme faisant preuve pour le

d'une plus grande probabilité que s'il n'y avoit que sept ou huit personnes qui en fussent, etc.

Bayle. Pensées diverses sur les Comètes. T. I. p. 10. L'auteur s'attache en plusieurs endroits à combattre

l'argument tiré du consentement général comme marque de la vérité.

« EelmineJätka »