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mesures de réforme ou des lois de précaution qu'ils veulent faire rejeter comme inutiles, ou même comme injurieuses à leur caractère.

De telles considérations sont des sophismes, non-seulement parce qu'elles sont étrangères au mérite de la question, mais encore parce qu'elles renferment implicitement des assertions qui ne sont point d'accord avec la nature de l'homme; elles vont contre les faits les mieux · établis sur les motifs qui déterminent le cœur humain; elles nient l'influence d'un intérêt personnel dans les cas où on peut présumer qu'il agit avec le plus de force.

Jusqu'à ce qu'il soit donné à l'homme de lire dans les cœurs, l'hypocrite pourra parler comme l'homme de bien; et même, moins la vertu gouverne ses actions, plus il a d'intérêt à l'étaler dans ses discours. Celui qui agit bien par un sentiment habituel, accoutumé à cette probité qui ne le quitte point, ne pense pas plus à s'en faire honneur aux yeux d'autrui qu'aux siens mêmes. L'ostentation est presque toujours l'emprunt d'une qualité qu'on n'a pas.

Il faut donc compter parmi les sophismes cet appel à des vertus de la part d'un homme public qui veut faire juger de sa conduite par son caractère, et non de son caractère par sa conduite.

SECONDE PARTIE.

SOPHISMES DILATOIRES.

LORSQUE les antagonistes d'une réforme proposée ne peuvent pas réussir à la repousser par les sophismes d'autorité ou de préjugé, il leur reste la ressource d'en renvoyer l'examen à un autre temps. Ils se prévalent de tous les motifs qu'on peut tirer de l'indolence, de la crainte, de la haine, de la défiance, pour exciter une prévention contre la mesure sans aborder la question même. Voici les différents sophismes qu'on peut ranger sous ce chef.

1.° La mesure n'est pas nécessaire, elle n'est pas réclamée, il n'y a point de vœu public énoncé, point de murmure on peut donc rester tranquille. Sophisme du Quiétiste.

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2. La mesure peut être bonne, mais le moment n'est pas venu. On en trouvera un plus favorable. On peut y penser à loisir. Sophisme du délai de pure chicane.

3. Si on adopte la réforme proposée, il faut du moins ne l'exécuter que par parties; il faut

procéder lentement, Sophisme de la marche graduelle.

4. On ne peut pas réunir tous les avantages à-la-fois, et le mal des uns est compensé par le bien des autres : considération dont on tire un prétexte pour ne pas soulager des souffrances réelles. Sophisme des fausses consolations ou des consolations vicaires,

5. Cette mesure est un premier pas qui engage on ne sait à quoi. Ceux qui la proposent ne disent pas tout. Ils ont d'arrière-pensées, Sophisme de défiance.

6. Ceux qui la proposent sont des hommes dangereux il ne peut rien venir de bou de leur part. Sophisme des personnalités injurieuses.

7. Ceux qui la combattent sont vertueux et sages; leur désapprobation est une raison suffisante pour ne pas s'en occuper. Sophisme des personnalités adulatrices.

8. Enfin, on peut rejeter cette mesure, car il entre dans nos intentions de proposer quelque chose de mieux. Sophisme des diversions artificieuses.

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CHAPITRE PREMIER.

SOPHISME DU QUIÉTISTE,

Tout est tranquille. Point de murmuré.

pas

ANS le cas où on propose une mesuré de réforme relative à quelques abus dont l'existence n'est pas contestée, le sophisme en question consiste à la repousser comme n'étant pas nécessaire. Et pourquoi n'est-elle nécessaire? c'est qu'il n'existe point de plainte à cet égard, point de vœu public, point de pétition. « Dans un Gouvernement libre, où l'humeur >> chagrine est un des caractères de la liberté, » où l'on se plaint si souvent sans cause, on » se plaindroit, à plus forte raison, s'il y avoit » quelque souffrance réelle. » L'argument revient donc à ceci : Personne ne se plaint, donc personne ne souffre.

Cet argument est plausible, et le seroit bien plus s'il étoit aussi aisé d'obtenir l'attention du Gouvernement sur un grief que de s'en plaindre ; — si on avoit une grande chance de succès en lui faisant connoître le mal; si le silence de ceux qui souffrent n'étoit point la résignation

du découragement fondée sur l'inutilité éprouvée des réclamations et des plaintes.

Combien de maux ne souffre-t-on pas en silence, , parce que le recours à l'autorité ne · pourroit s'obtenir qu'avec des frais, des soins, une perte de temps et des difficultés infinies, au point qu'il est inaccessible à des individus places dans les classes inférieures, et même dans les classes moyennes !

Combien de maux encore ne souffre -t-on pas en silence, parce qu'il faudroit attaquer des hommes accrédités et puissants, s'exposer à des inimitiés redoutables, risquer d'empirer son état en cherchant à l'améliorer!

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Dans un Gouvernement où la presse n'est pas libre, où il n'y a point d'assemblée représentative, le prétexte ex silentio n'a pas même une foible couleur de vérité, quoiqu'il ne soit pas moins familier chez ceux qui gouvernent. Là, le silence de ceux qui souffrent ne prouve souvent que l'excès de l'oppression. La plainte ne seroit pas simplement inutile; elle seroit séditieuse. Il n'y a que le désespoir qui ose se faire entendre. Aussi à Constantinople, le plus foible murmure annonce l'orage, et la révolte suit de près. Malheur au Souverain absolu qui prête l'oreille à ce sophisme. Il doit avoir tou

« EelmineJätka »