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Suite du récit. La cour va passer l'été à Baïes. Naples. Maison d'Aglaé. Promenades d'Eudore, d'Augustin et de Jérôme. Leur entretien au tombeau de Scipion. Thraséas, ermite du Vésuve. Son histoire. Séparation des trois amis. Eudore retourne à Rome avec la cour. Les catacombes. Aventure de l'impératrice Prisca et de la princesse Valérie sa fille. Eudore, banni de la cour, est envoyé en exil à l'armée de Constance. Il quitte Rome, il traverse l'Italie et les Gaules. Il arrive à Agrippina sur les bords du Rhin. Il trouve l'armée romaine prête à porter la guerre chez les Francs. Il sert comme simple soldat parmi les archers crétois, qui composent, avec les Gaulois, l'avant-garde de l'armée de Constance.

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'IMPRESSION que laissa dans mon esprit ce jour fatal, à présent si vive et si profonde, fut alors promptement effacée. Mes jeunes amis m'entourèrent; ils se moquèrent de mes terreurs et de mes remords; ils rioient des anathèmes d'un obscur pontife sans crédit et sans pouvoir.

« La cour, qui dans ce moment se transporta de Rome à Baïes, en m'arrachant du théâtre de mes erreurs, m'enleva au souvenir de leur châtiment; et me croyant perdu sans retour auprès des chrétiens, je ne songeai qu'à m'abandonner aux plaisirs.

<< Je compterois, seigneurs, parmi les beaux jours de ma vie l'été que je passai près de Naples, avec Augustin et Jérôme, s'il pouvoit y avoir de beaux

jours dans l'oubli de Dieu et les mensonges des passions.

:

«La cour étoit pompeuse et brillante tous les princes, amis ou enfants des Césars, s'y trouvoient rassemblés. On y voyoit Licinius 1et Sévère2, compagnons d'armes de Galérius; Daïa 3, nouvellement sorti de ses bois, et neveu du même César; Maxence", fils de Maximien Auguste. Mais Constantin préféroit notre société à celle de ces princes jaloux de sa vertu, de sa valeur, de sa haute renommée, et publiquement ou secrètement ses ennemis.

« Nous fréquentions surtout à Naples le palais d'Aglaé, dame romaine dont je vous ai déjà prononcé le nom. Elle étoit de race de sénateurs, et fille du proconsul Arsace. Ses richesses étoient immenses. Soixante - treize intendants gouvernoient son bien, et elle avoit donné trois fois les jeux publics à ses dépens. Sa beauté égaloit ses talents et ses grâces; elle réunissoit autour d'elle tout ce qui conservoit encore l'élégance des manières et le goût des lettres et des arts. Heureuse si, dans la décadence de Rome, elle eût mieux aimé devenir une seconde Cornélie, que de rappeler le souvenir des femmes trop célèbres chantées par Ovide, Properce et Tibulle!

'Devenu Auguste à la mort de Sévère.

César à l'abdication de Dioclétien, et Auguste à la mort de Constance.

3 César à l'abdication de Dioclétien.

4 Le tyran qui prit la pourpre, et que Constantin vainquit aux portes de Rome.

« Sébastien et Pacôme 2, centurions dans les gardes de Constantin; Génès 3, acteur fameux, héritier des talents de Roscius; Boniface, premier intendant du palais d'Aglaé, et peut-être trop cher à sa maîtresse, embellissoient de leur esprit et de leur gaîté les fêtes de la voluptueuse Romaine. Mais Boniface, homme abandonné aux délices, avoit trois qualités excellentes : l'hospitalité, la libéralité, la compassion. En sortant des orgies et des festins, il alloit par les places secourir les voyageurs, les étrangers et les pauvres. Aglaé elle-même, au milieu de ses désordres, portoit un grand respect aux fidèles, et une foi simple aux reliques des martyrs. Génès, ennemi déclaré des chrétiens, la railloit de sa foiblesse.

— «Eh bien, disoit-elle, j'ai aussi mes superstitions. Je crois à la vertu des cendres d'un chrétien mort pour son Dieu, et je veux que Boniface m'aille chercher des reliques. »>

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Illustre patronne, répondoit en riant Boniface, je prendrai de l'or et des parfums. J'irai chercher des reliques de martyrs; je vous les apporterai : mais si mes propres reliques vous viennent sous le nom de martyr, recevez-les. »

« Nous passions une partie des nuits au milieu de cette compagnie séduisante et dangereuse; j'habitois avec Augustin et Jérôme la ville de Constantin,

Le martyr militaire, surnommé le Défenseur de l'Église

maine.

ro

Le solitaire de la Thébaïde, qui porta d'abord les armes sous Constantin.

3 Le martyr.

4 Idem.

bâtie sur le penchant du mont Pausilippe. Chaque matin, aussitôt que l'aurore commençoit à paroître, je me rendois sous un portique qui s'étendoit le long de la mer. Le soleil se levoit devant moi sur le Vésuve : il illuminoit de ses feux les plus doux la -chaîne des montagnes de Salerne, l'azur de la mer parsemée des voiles blanches des pêcheurs, les îles de Caprée, d'OEnaria et de Prochyta ', la mer, le cap Misène, et Baïes avec tous ses enchantements.

«Des fleurs et des fruits humides de rosée sont moins suaves et moins frais que le paysage de Naples sortant des ombres de la nuit. J'étois toujours surpris en arrivant au portique de me trouver au bord de la mer; car les vagues dans cet endroit faisoient à peine entendre le léger murmure d'une fontaine. En extase devant ce tableau, je m'appuyois contre une colonne, et, sans pensée, sans désir, sans projet, je restois des heures entières à respirer un air délicieux. Le charme étoit si profond, qu'il me sembloit que cet air divin transformoit ma propre substance, et qu'avec un plaisir indicible je m'élevois vers le firmament comme un pur esprit. Dieu tout-puissant! que j'étois loin d'être cette intelligence céleste dégagée des chaînes des passions! Combien ce corps grossier m’attachoit à la poussière du monde, et que j'étois misérable d'être si sensible aux charmes de la création, et de penser si peu au Créateur! Ah! tandis que, libre en apparence, je croyois nager dans la lumière, quelque chrétien chargé de fers, et plongé pour la foi

Ischia et Procida.

dans les cachots, étoit celui qui abandonnoit véritablement la terre, et montoit glorieux dans les rayons du soleil éternel!

« Hélas! nous poursuivions nos faux plaisirs. Attendre ou chercher une beauté coupable, la voir s'avancer dans une nacelle, et nous sourire du milieu des flots, voguer avec elle sur la mer dont nous semions la surface de fleurs, suivre l'enchanteresse au fond de ce bois de myrtes et dans les champs heureux où Virgile plaça l'Élysée : telle étoit l'occupation de nos jours, source intarissable de larmes et de repentir. Peut-être est-il des climats dangereux à la vertu par leur extrême volupté. Et n'est-ce point ce que voulut enseigner une fable ingénieuse, en racontant que Parthénope fut bâtie sur le tombeau d'une sirène ? L'éclat velouté de la campagne, la tiède température de l'air, les contours arrondis des montagnes, les molles inflexions des fleuves et des vallées, sont à Naples autant de séductions pour les sens, que tout repose, et que rien ne blesse. Le Napolitain demi-nu, content de se sentir vivre sous les influences d'un ciel propice, refuse de travailler aussitôt qu'il a gagné l'obole qui suffit au pain du jour. Il passe la moitié de sa vie, immobile aux rayons du soleil, et l'autre à se faire traîner dans un char, en poussant des cris de joie; la nuit il se jette sur les marches d'un temple, et dort sans souci de l'avenir aux pieds des statues de ses dieux.

« Pourriez-vous croire, seigneurs, que nous étions assez insensés pour envier le sort de ces hommes, et que cette vie sans prévoyance et sans lendemain

« EelmineJätka »