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vaste solitude. L'inquiétude régnoit à la cour: Maximien avoit été obligé de se transporter de Milan en Pannonie, menacée d'une invasion des Carpiens et des Goths; les Francs s'étoient emparés de la Batavie, défendue par Constance; en Afrique, les Quinquegentiens, peuple nouveau, venoient tout à coup de paroître en armes; on disoit que Dioclétien lui-même passeroit en Égypte, où la révolte du tyran Achillée demandoit sa présence; enfin, Galérius se disposoit à partir pour aller combattre Narsès. Cette guerre des Parthes effrayoit surtout le vieil empereur, qui se souvenoit du sort de Valérien. Galérius, se prévalant du besoin que l'empire avoit de son bras, et toujours livré aux inspirations d'Hiéroclès, cherchoit à s'emparer entièrement de l'esprit de Dioclétien; il ne craignoit plus de laisser éclater sa jalousie contre Constance, dont le mérite et la belle naissance l'importunoient. Constantin se trouvoit naturellement enveloppé dans cette jalousie; et moi, comme l'ami de ce jeune prince, comme le plus foible, et comme l'objet particulier de l'inimitié d'Hiéroclès, je portois tout le poids de la haine de Galérius.

« Un jour, tandis que Constantin assistoit aux délibérations du sénat, j'étois allé visiter la fontaine Égérie. La nuit me surprit : pour regagner la voie Appienne, je me dirigeai sur le tombeau de Cécilia Métella, chef-d'œuvre de grandeur et d'élégance. En traversant des champs abandonnés; j'aperçus plusieurs personnes qui se glissoient dans l'ombre, et qui toutes, s'arrêtant au même endroit,

disparoissoient subitement. Poussé par la curiosité, je m'avance, et j'entre hardiment dans la caverne où s'étoient plongés les mystérieux fantômes je vis s'allonger devant moi des galeries souterraines, qu'à peine éclairoient, de loin à loin, quelques lampes suspendues. Les murs des corridors funèbres étoient bordés d'un triple rang de cercueils placés les uns au-dessus des autres. La lumière lugubre des lampes, rampant sur les parois des voûtes, et se mouvant avec lenteur le long des sépulcres, répandoit une mobilité effrayante sur ces objets éternellement immobiles. En vain, prêtant une oreille attentive, je cherche à saisir quelques sons pour me diriger à travers un abîme de silence, Je n entends que le battement de mon cœur dans le repos absolu de ces lieux. Je voulus retourner en arrière, mais il n'étoit plus temps je pris une fausse route, et au lieu de sortir du dédale, je m'y enfonçai. De nouvelles avenues, qui s'ouvrent et se croisent de toutes parts, augmentent à chaque instant mes perplexités. Plus je m'efforce de trouver un chemin, plus je m'égare; tantôt je m'avance avec lenteur, tantôt je passe avec vitesse alors, par un effet des échos, qui répétoient le bruit de mes pas, je crois entendre marcher précipitamment derrière moi.

«Il y avoit déjà long-temps que j'errois ainsi; mes forces commençoient à s'épuiser je m'assis à un carrefour solitaire de la cité des morts. Je regardois avec inquiétude la lumière des lampes presque consumées qui menaçoient de s'éteindre.

Tout à coup une harmonie semblable au chœur lointain des esprits célestes sort du fond de ces demeures sépulcrales : ces divins accents expiroient et renaissoient tour à tour; ils sembloient s'adoucir encore en s'égarant dans les routes tortueuses du souterrain. Je me lève, et je m'avance vers les lieux d'où s'échappent ces magiques concerts je découvre une salle illuminée. Sur un tombeau paré de fleurs, Marcellin célébroit le mystère des chrétiens des jeunes filles, couvertes de voiles blancs, chantoient au pied de l'autel; une nombreuse assemblée assistoit au sacrifice. Je reconnois les catacombes1! Un mélange de honte, de repentir, de ravissement, s'empare de mon âme. Nouvelle surprise! Je crois voir l'impératrice et sa fille, entre Dorothée et Sébastien, à genoux au milieu de la foule. Jamais spectacle plus miraculeux n'a frappé l'œil d'un mortel; jamais Dieu ne fut plus dignement adoré, et ne manifesta plus ouvertement sa grandeur. O puissance d'une religion qui contraint l'épouse d'un empereur romain de quitter furtivement la couche impériale comme une femme adultère, pour courir au rendez-vous des infortunés, pour venir chercher Jésus-Christ à l'autel d'un obscur martyr, parmi des tombeaux et des hommes proscrits ou méprisés! Tandis que je m'abandonne à ces réflexions, un diacre se penche à l'oreille du pontife, dit quelques mots, fait une signe : soudain les chants cessent, les lampes s'éteignent, la brillante vision disparoît. Emporté par les flots du

Les catacombes de Saint-Sébastien.

peuple saint, je me trouve à l'entrée des catacombes.

« Cette aventure fit prendre un cours nouveau à ma destinée. Sans avoir rien à me reprocher, je fus accusé de toutes parts: ainsi nos fautes ne sont pas toujours immédiatement punies; mais, afin de nous rendre le châtiment plus sensible, Dieu nous fait échouer dans quelque entreprise raisonnable, ou nous livre à l'injustice des hommes.

«J'ignorois que l'impératrice Prisca et sa fille Valérie étoient chrétiennes : les fidèles m'avoient caché cette importante victoire, à cause de mon impiété. Les deux princesses, craignant la fureur de Galérius, n'osoient paroître à l'église elles venoient prier la nuit aux catacombes, accompagnées du vertueux Dorothée. Le hasard me conduisit au sanctuaire des morts : les prêtres qui m'y découvrirent crurent qu'un sacrilége exclu des lieux saints n'y pouvoit être descendu que dans la vue de pénétrer un secret qu'il importoit à l'Église de cacher. Ils éteignirent les lampes, afin de me dérober la vue de l'impératrice, que j'avois eu toutefois le temps de reconnoître.

« Galérius faisoit surveiller l'impératrice, dont on soupçonnoit le penchant à la nouvelle religion. Des émissaires, envoyés par Hiéroclès, avoient suivi les princesses jusqu'aux catacombes, d'où ils me virent sortir avec elles. Le sophiste n'eut pas plus tôt entendu le rapport des espions, qu'il courut en instruire Galérius: Galérius vole chez Dioclétien.

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Eh bien! s'écria-t-il, vous n'avez jamais voulu croire ce qui se passe sous vos yeux : l'impératrice et votre fille Valérie sont chrétiennes ! Cette nuit même elles se sont rendues à la caverne que la secte impie souille de ses exécrables mystères. Et savez-vous quel est le guide de ces princesses? C'est ce Grec sorti d'une race rebelle au peuple romain, ce traître qui, pour mieux masquer ses projets, feint d'avoir abandonné la religion des séditieux, qu'il sert en secret, ce perfide qui ne cesse d'empoisonner l'esprit du prince Constantin. Reconnoissez un vaste complot dirigé contre vous par les chrétiens, et dans lequel on cherche à faire entrer votre famille même. Ordonnez que l'on saisisse Eudore, et que la force des tourments lui arrache l'aveu de ses crimes, et le nom de ses complices.

«Il le faut avouer, les apparences me condamnoient. En horreur à tous les partis, je passois parmi les chrétiens pour un apostat et pour un traître. Hiéroclès, qui les voyoit dans cette erreur, disoit hautement que j'avois dénoncé l'impératrice. Les païens, de l'autre côté, me regardoient comme l'apôtre de ma religion, et le corrupteur de la famille impériale. Quand je passois dans les salles du palais, je voyois les courtisans sourire d'un air de mépris; les plus vils étoient les plus sévères : le peuple même me poursuivoit dans les rues avec des insultes ou des menaces. Enfin, ma position devint si pénible, que, sans l'amitié de Constantin, je crois que j'aurois attenté à ma vie. Mais ce

« EelmineJätka »