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généreux prince ne m'abandonna point dans mon malheur; il se déclara hautement mon ami; il affecta de se montrer avec moi en public; il me défendit courageusement contre César devant Au guste, et publia partout que j'étois victime de la jalousie d'un sophiste attaché à Galérius.

« Rome et la cour n'étoient occupées que de cette affaire, qui, compromettant les chrétiens et le nom de l'impératrice, sembloit de la plus haute importance. On attendoit avec anxiété la décision de l'empereur; mais il n'étoit pas dans le caractère de Dioclétien de prendre une résolution violente. Le vieil empereur eut recours à un moyen qui peint admirablement son génie politique. Il déclara tout à coup que les bruits répandus dans Rome n'étoient qu'un mensonge; que les princesses n'étoient pas sorties du palais la nuit même où on prétendoit les avoir vues aux catacombes; que Prisca et Valérie, loin d'être chrétiennes, venoient de sacrifier aux dieux de l'empire; qu'enfin il puniroit sévèrement les auteurs de ces faux rapports, et qu'il défendoit de parler plus long-temps d'une histoire aussi ridique scandaleuse.

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<< Mais, comme il falloit bien qu'un seul fût sacrifié pour tous, selon l'usage des cours, je reçus ordre de quitter Rome, et de me rendre à l'armée de Constance, campée sur les bords du Rhin.

« Je me préparai à passer dans les Gaules, content d'embrasser le parti des armes et d'abandonner une vie incompatible avec mon caractère. Cependant, telle est la force de l'habitude, et peut-être le

charme attaché à des lieux célèbres, que je ne pus quitter Rome sans quelques regrets. Je partis au milieu de la nuit, après avoir reçu les derniers embrassements de Constantin. Je traversai des rues désertes, je passai au pied de la maison abandonnée que j'avois naguère habitée avec Augustin et Jérôme. Sur le Forum tout étoit silencieux et solitaire : les nombreux monuments qui le couvrent, les Rostres, le temple de la Paix, ceux de Jupiter Stator et de la Fortune, les arcs de Titus et de Sévère se dessinoient à demi dans les ombres, comme les ruines d'une ville puissante dont le peuple auroit depuis long-temps disparu. Quand je fus à quelque distance de Rome, je tournai la tête : j'aperçus, à la clarté des étoiles, le Tibre qui s'enfonçoit parmi les monuments confus de la cité, et j'entrevis le faîte du Capitole qui sembloit s'incliner sous le poids des dépouilles du monde.

«La voie Cassia, qui me conduisoit vers l'Étrurie, perd bientôt le peu de monuments dont elle est ornée, et, passant entre une antique forêt et le lac de Volsinium, elle pénètre dans des montagnes noires, couvertes de nuages et toujours infestées de brigands. Un mont de qui le sommet est planté de roches aiguës, un torrent qui se replie vingtdeux fois sur lui-même, et déchire son lit en s'écoulant, forment de ce côté la barrière de l'Étrurie. A la grandeur de la campagne romaine succèdent ensuite des vallons étroits et des monticules tapissés de bruyères, dont la pâle verdure se confond avec celle des oliviers. J'abandonnai les Apennins

pour descendre dans la Gaule Cisalpine. Le ciel devint d'un bleu plus pur, et je cherchai vainement sur les montagnes cette espèce de pluie de lumière qui enveloppe les monts de la Grèce et de la haute Italie. J'aperçus de loin la cime blanchie des Alpes; je gravis bientôt leurs vastes flancs. Tout ce qui vient de la nature dans ces montagnes me parut grand et indestructible; tout ce qui appartient à l'homme me sembla fragile et misérable d'une part, des arbres centenaires, des cascades qui tombent depuis des siècles, des rochers vainqueurs du temps et d'Annibal; de l'autre, des ponts de bois, des parcs de brebis, des huttes de terre. Seroit-ce qu'à la vue des masses éternelles qui l'environnent, le chevrier des Alpes, vivement frappé de la brièveté de sa vie, ne s'est pas donné la peine d'élever des monuments plus durables que lui?

« Je sortis des Alpes à travers une espèce de portique creusé sous un énorme rocher. Je franchis cette partie de la Viennoise habitée par les Voconces1, et je descendis à la colonie de Lucius 2. Avec quel respect ne verrois-je point aujourd'hui le siége de Pothin et d'Irénée, et les eaux du Rhône teintes du sang des martyrs! Je remontai l'Arar3, rivière bordée de coteaux charmants; sa fuite est si lente, que l'on ne sauroit dire de quel côté coulent ses flots. Elle tient son nom d'un jeune Gaulois qui s'y précipita de désespoir après avoir perdu son frère. De là je passai chez les Treveri, dont la 1 Le Dauphiné. 2 Lyon. 3 La Saône. 4 Le pays de Trèves.

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LIVRE SIXIÈME.

SOMMAIRE.

Suite du récit. Marche de l'armée romaine en Batavie. Elle rencontre l'armée des Francs. Champ de bataille. Ordre et dénombrement de l'armée romaine. Ordre et dénombrement de l'armée des Francs. Pharamond, Clodion, Mérovée. Chants guerriers. Bardits des Francs. L'action s'engage. Attaque des Gaulois contre les Francs. Combat de cavalerie. Combat singulier de Vercingétorix, chef des Gaulois, et de Mérovée, fils du roi des Francs. Vercingétorix est vaincu. Les Romains plient. La légion chrétienne descend d'une colline et rétablit le combat. Mêlée. Les Francs se retirent dans leur camp. Eudore obtient la couronne civique, et est nommé chef des Grecs par Constance. Le combat recommence au lever du jour. Attaque du camp des Francs par les Romains. Soulèvement des flots. Les Romains fuient devant la mer. Eudore, après avoir combattu long-temps, tombe percé de plusieurs coups. Il est secouru par un esclave des Francs, qui le porte dans une caverne.

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A France est une contrée sauvage et couverte de forêts, qui commence audelà du Rhin, et occupe l'espace compris entre la Batavie à l'occident, le pays des Scandinaves au nord, la Germanie à l'orient, et les Gaules au midi. Les peuples qui habitent ce désert sont les plus féroces des Barbares : ils ne se nourrissent que de la chair des bêtes sauvages; ils ont toujours le fer à la main; ils regardent la paix comme la servitude la plus dure dont on puisse leur imposer le joug. Les vents, la neige, les frimas, font leurs délices; ils bravent la mer, ils se rient des tempêtes, et

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