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de la gloire, vanité de l'amitié, vanité de la vie, vanité de la postérité! Il signala la fausse prospérité de l'impie, et préféra le juste mort au méchant qui lui survit. Il fit l'éloge du pauvre vertueux et de la femme forte.

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« Elle a cherché la laine et le lin, elle a travaillé << avec des mains sages et ingénieuses; elle se lève << pendant la nuit pour distribuer l'ouvrage à ses domestiques, et le pain à ses servantes; elle est « revêtue de beauté. Ses fils se sont levés, et ont publié qu'elle étoit heureuse; son mari s'est levé, « et l'a louée.

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« O Seigneur ! s'écria le jeune chrétien enflammé « par ces images, c'est vous qui êtes le véritable << souverain du ciel; vous avez marqué son lieu à « l'aurore. A votre voix, le soleil s'est levé dans « l'orient; il s'est avancé comme un géant superbe, « ou comme l'époux radieux qui sort de la couche « nuptiale. Vous appelez le tonnerre, et le tonnerre « tremblant vous répond : « Me voici. » Vous abaissez <«la hauteur des cieux; votre esprit vole dans les << tourbillons; la terre tremble au souffle de votre «< colère; les morts épouvantés fuient de leurs tom<< beaux ! O Dieu, que vous êtes grand dans vos cu«vres! et qu'est-ce que l'homme, pour que vous y << attachiez votre cœur ? Et pourtant il est l'objet << éternel de votre complaisance inépuisable! Dieu « fort, Dieu clément, Essence incréée, Ancien des «jours, gloire à votre puissance, amour à votre « miséricorde ! »

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Ainsi chante le fils de Lasthénès. Cet hymne de

Sion retentit au loin dans les antres de l'Arcadie, surpris de répéter, au lieu des sons efféminés de la flûte de Pan, les mâles accords de la harpe de David. Démodocus et sa fille étoient trop étonnés pour donner des marques de leur émotion. Les vives clartés de l'Écriture avoient comme ébloui leurs cœurs accoutumés à ne recevoir qu'une lumière mêlée d'ombres; ils ne savoient quelles divinités Eudore avoit célébrées, mais ils le prirent lui-même pour Apollon, et ils lui vouloient consacrer un trépied d'or que la flamme n'avoit point touché. Cymodocée se souvenoit surtout de l'éloge de la femme forte, et elle se promettoit d'essayer ce chant sur la lyre. D'une autre part, la famille chrétienne étoit plongée dans les pensées les plus sérieuses; ce qui n'étoit pour les étrangers qu'une poésie sublime, étoit pour elle de profonds mystères et d'éternelles vérités. Le silence de l'assemblée auroit duré long-temps, s'il n'avoit été interrompu tout à coup par les applaudissements des bergers. Le vent avoit porté à ces pasteurs la voix de Cymodocée et d'Eudore : ils étoient descendus en foule de leurs montagnes pour écouter ces concerts; ils crurent que les Muses et les Sirènes avoient renouvelé au bord de l'Alphée le combat qu'elles s'étoient livré jadis, quand les filles de l'Achéloüs, vaincues par les doctes sœurs, furent contraintes de se dépouiller de leurs ailes.

La nuit avoit passé le milieu de son cours. L'évêque de Lacédémone invite ses hôtes à la retraite. Comme le vigneron fatigué au bout de sa journée,

LES MARTYRS. T. I.

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il appelle trois fois le Seigneur, et adore. Alors les chrétiens, après s'être donné le baiser de paix, rentrent sous leur toit, chastement recueillis.

Démodocus fut conduit par un serviteur au lieu qu'on avoit préparé pour lui, non loin de l'appartement de Cymodocée. Cyrille, après avoir médité la parole de vie, se jeta sur une couche de roseaux. Mais à peine avoit-il fermé les yeux, qu'il eut un songe: il lui sembla que les blessures de son ancien martyre se rouvroient, et qu'avec un plaisir ineffable il sentoit de nouveau son sang couler pour Jésus-Christ. En même temps il vit une jeune femme et un jeune homme resplendissants de lumière, monter de la terre aux cieux: avec la palme qu'ils tenoient à la main, ils lui faisoient signe de les suivre; mais il ne put distinguer leur visage, parce que leur tête étoit voilée. Il se réveilla plein d'une sainte agitation; il crut reconnoître dans ce songe quelque avertissement pour les chrétiens. Il se mit à prier avec abondance de larmes, et on l'entendit plusieurs fois s'écrier dans le silence de la nuit:

« O mon Dieu, s'il faut encore des victimes, pre<< nez-moi pour le salut de votre peuple!»

LIVRE TROISIÈME.

SOMMAIRE.

La prière de Cyrille monte au trône du Tout-Puissant. Le ciel. Les anges, les saints. Tabernacle de la Mère du Sauveur. Sanctuaire du Fils et du Père. L'Esprit-Saint. La Trinité. La prière de Cyrille se présente devant l'Éternel : l'Éternel la reçoit, mais il déclare que l'évêque de Lacédémone n'est point la victime qui doit racheter les chrétiens. Eudore est la victime choisie. Motifs de ce choix. Les milices célestes prennent les armes. Cantique des saints et des anges.

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Es dernières paroles de Cyrille montèrent au trône de l'Éternel. Le Tout-Puissant agréa le sacrifice, mais l'évêque de Lacédémone n'étoit point la victime que Dieu, dans sa colère et dans sa miséricorde, avoit choisie pour expier les fautes des chrétiens.

Au centre des mondes créés, au milieu des astres innombrables qui lui servent de remparts, d'avenues et de chemins, flotte cette immense cité de Dieu, dont la langue d'un mortel ne sauroit raconter les merveilles. L'Éternel en posa lui-même les douze fondements, et l'environna de cette muraille de jaspe que le disciple bien aimé vit mesurer par l'ange avec une toise d'or. Revêtue de la gloire du Très-Haut, l'invisible Jérusalem est parée comme une épouse pour son époux. Loin d'ici, monuments de la terre, vous n'approchez point de ces monuments de la cité sainte! La richesse de la matière

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dispute le prix à la perfection des formes. Là rè gnent suspendues des galeries de saphirs et de diamants, foiblement imitées par le génie de l'homme dans les jardins de Babylone; là s'élèvent des arcs de triomphe formés des plus brillantes étoiles; là s'enchaînent des portiques de soleils, prolongés sans fin à travers les espaces du firmament, comme les colonnes de Palmyre dans les sables du désert. Cette architecture est vivante. La cité de Dieu est intelligente elle-même. Rien n'est matière dans les demeures de l'Esprit; rien n'est mort dans les lieux de l'éternelle existence. Les paroles grossières que la Muse est forcée d'employer nous trompent: elles revêtent d'un corps ce qui n'existe que comme un songe divin dans le cours d'un heureux sommeil.

Des jardins délicieux s'étendent autour de la radieuse Jérusalem. Un fleuve découle du trône du Tout-Puissant; il arrose le céleste Éden, et roule dans ses flots l'amour pur et la sapience de Dieu. L'onde mystérieuse se partage en divers canaux qui s'enchaînent, se divisent, se rejoignent, se quittent encore, et font croître, avec la vigne immortelle, le lis semblable à l'épouse, et les fleurs qui parfument la couche de l'époux. L'arbre de vie s'élève sur la colline de l'encens ; un peu plus loin, l'arbre de science étend de toutes parts ses racines profondes et ses rameaux innombrables: il porte, cachés sous son feuillage d'or, les secrets de la Divinité, les lois occultes de la nature, les réalités morales et intellectuelles, les immuables principes du bien et du mal. Ces connoissances qui nous enivrent font

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