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sédait tout entières. On était même étonné qu'il osât risquer de la voir passer à un autre, en acceptant un emploi qui l'éloignait pour longtemps de la cour; et un zèle si désintéressé pour le bien public lui fit le plus grand honneur.

Philippe IV, roi d'Espagne, chef de la branche aînée de la maison d'Autriche, se trouvait, par rapport à la ↓ guerre, dans une situation à peu près semblable à celle où était Ferdinand; et par rapport à la paix, ses dispositions étaient précisément les mêmes. Depuis la fameuse trêve de 1609, que l'Espagne avait été forcée d'accorder aux Provinces-Unies, c'est-à-dire depuis plus de vingt ans, elle avait repris les armes contre la nouvelle république, et lui faisait une guerre sanglante par terre et par mer, dans l'Europe et dans le nouveau monde. Les Provinces-Unies, trop faibles pour résister seules à des forces si redoutables, tirèrent de grands avantages de la diversion des protestants en Allemagne. Elles reçurent aussi des secours considérables de la France, et firent de si grands efforts pour la défense de leur liberté, qu'elles balancèrent longtemps toute la puissance de la monarchie espagnole. En 1635, la déclaration ouverte de la France contre l'Espagne leur donna la supériorité, et les mit en état de s'étendre par de nouvelles conquêtes. L'ambition de Philippe et l'entêtement de ses ministres contribuaient encore à l'affaiblir; car au lieu d'employer toutes ses forces à reconquérir ses anciens domaines des PaysBas, suivant l'avis du fameux marquis de Spinola, Philippe aima mieux les partager, suivant le sentiment du comte-duc d'Olivarez, pour s'accroître en Allemagne des dépouilles du prince palatin, et pour faire de nouvelles conquêtes en Italie; or, en prenant ainsi le

change, il se vit sur le point de tout perdre. Les Suédois, les Français, les États protestants d'Allemagne chassèrent tour à tour les Espagnols du Palatinat. Le roi de France, ligué avec Christine sa sœur, duchesse régente de Savoie, arrêta leurs progrès en Italie, et s'y maintint dans quelques places importantes, pour s'opposer à leurs entreprises. Cependant les ProvincesUnies, profitant de ces grandes diversions, fortifiaient leur domination en Flandre, enlevant tous les ans à l'Espagne quelque nouvelle place, et ce qui acheva de consterner les Espagnols, Louis XIII conquit le Roussillon; la Catalogne et le Portugal se soulevèrent presqu'en même temps, et se détachèrent de la monarchie espagnole, l'une pour se donner à la France, l'autre pour reprendre le titre de royaume sous la domination d'un nouveau roi.

Des pertes si considérables rendaient sans doute la paix nécessaire à l'Espagne, et le conseil de Madrid en sentait toute la nécessité; mais il prévoyait que la France la mettrait à un trop haut prix, et la même raison qui en éloignait l'empereur, en donnait encore plus d'éloignement aux ministres espagnols, à la tête desquels était alors don Louis de Haro, neveu et successeur du duc d'Olivarez. L'Espagne, encore pleine des idées de grandeur et de supériorité que ses prospérités passées lui avaient inspirées, ne pouvait se résoudre à recevoir la loi d'un ennemi à qui elle l'avait si souvent donnée; et accoutumée à ne traiter que pour accroître son domaine, il lui semblait dur d'être forcée d'abandonner tant de conquêtes à l'ennemi, et de signer elle-même sa ruine. Elle aimait mieux attendre quelque révolution favorable. Elle espérait surtout voir naître en France, sous la minorité d'un jeune roi, des troubles qui occuperaient au dedans toutes les forces du royaume. Elle se flattait enfin de diviser ses en

nemis, et de les obliger ainsi à traiter séparément avec moins d'avantage.

Ce fut sur ce plan que Philippe dressa les instructions qu'il donna à ses plénipotentiaires à Munster. Ils étaient au nombre de trois le comte de Zapata, lequel étant décédé, fut dans la suite remplacé par le comte de Peñaranda; le comte Diego de Saavedra, et Antoine Brun, qui d'abord se trouvaient seuls chargés de la négociation. Le comte de Saavedra, extrêmement prévenu en faveur de sa nation et de son prince, avait dans sa manière de négocier beaucoup de hauteur et de fierté. Il avait d'ailleurs de l'adresse, et il savait dissimuler; mais il parut qu'il n'avait été envoyé à Munster que pour y attendre l'arrivée d'un ministre plus expérimenté. Antoine Brun, son collègue, était un des plus habiles ministres que le roi d'Espagne pût employer dans cette négociation. Il était né à Dôle, où il avait exercé la charge de procureur général au parlement. Il avait l'esprit cultivé par l'étude des sciences et des belles-lettres. Il écrivait avec beaucoup d'élégance en latin et en français, et il était en relation avec tous les beaux esprits de son temps. Il avait aussi donné plusieurs preuves de valeur et de courage, lorsque les troupes françaises portèrent la guerre dans sa patrie, alors sujette de l'Espagne. Mais le grand talent de ce ministre était de négocier. Il avait l'esprit doux, souple et vif. Il s'exprimait avec grâce et avec force. Il connaissait toutes les ruses qu'on peut employer dans une négociation, et il n'en fit peut-être que trop d'usage. Il était surtout bien instruit des affaires des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, sa patrie; et comme il fut le principal agent du traité des Espagnols avec les Provinces-Unies, on peut dire que l'Espagne lui fut redevable de son salut.

Le premier ambassadeur ou plénipotentiaire d'Espagne était don Gaspard Bracamonte, comte de Peñaranda. Il avait embrassé dans sa jeunesse le parti des lettres, ressource ordinaire de ceux que la nature a mieux traités que la fortune; il était déjà professeur dans l'université de Salamanque, lorsqu'il devint l'héritier de sa maison par la mort de ses deux frères. Il changea aussitôt de vues et d'inclinations, et épousa une demoiselle d'une qualité distinguée et d'une beauté parfaite. Ce fut, à ce qu'on prétend, la beauté de la comtesse qui lui donna de l'accès à la cour, ou plutôt qui l'en fit éloigner avec le titre brillant de plénipotentiaire 1. Comme il avait été jusqu'alors peu employé dans les affaires, et qu'il n'était jamais sorti d'Espagne, il était extrêmement prévenu en faveur de sa nation, et ne connaissait rien de grand sur la terre que la seule maison d'Autriche; de sorte qu'il parut, dans les commencements, comme frappé d'étonnement lorsqu'il entendit à Munster mettre d'autres princes en

1 On assure, en effet, que ce fut un motif complétement étranger à la capacité diplomatique qui fit mettre le comte de PEÑARANDA à la tête de l'ambassade d'Espagne. Dans un âge assez avancé, il avait épousé une très-jolie femme, qu'il tenait cachée dans ses terres, où il vivait solitairement avec elle. Les précautions prises par l'époux pour dérober la comtesse aux regards des courtisans, font désirer de la voir. On suppose qu'appelé à la cour, sous quelque prétexte qui lui ferait honneur, il n'y viendra pas sans elle; on lui écrit donc que le roi veut le consulter sur les affaires de la paix. Il arrive. Quand on l'a entendu, on lui trouve tant de connaissances, tant de talents et de dextérité à manier les esprits, qu'on croit ne pouvoir se passer de lui à Munster. Il part comme chef de l'ambassade. Mille difficultés qu'on lui montre, empêchent qu'il ne puisse emmener la comtesse. Comme les affaires se prolongent, il demande à revenir, afin, disait-il, de ne pas laisser périr la race des Bracamonte. Mais le salut de l'État était bien d'une autre importance que la durée d'une famille, qu'il aurait été perpétuer dans ses terres. La comtesse l'attendit à la cour, dont on rendit le séjour assez agréable au comte, quand il y fut revenu, pour qu'il ne regrettát plus ses déserts.

parallèle avec l'empereur ou le roi d'Espagne. Il était d'ailleurs impérieux et plein de ses propres idées, taciturne et réservé, ne parlant que par nécessité : opiniâtre dans sa dissimulation, jusqu'à lasser la patience de ceux qui traitaient avec lui, paraissant dans les plus mauvais succès mépriser ses ennemis, et se consoler du présent par une extrême confiance dans l'avenir. Quoique ce fût naturellement à lui, dans l'état où étaient les affaires d'Espagne, à faire les premières démarches, et qu'il souhaitât passionnément d'entrer en matière avec les plénipotentiaires de France, il attendit cependant toujours avec une constance étonnante que ceux-ci s'expliquassent eux-mêmes les premiers, et modérassent leurs prétentions. Il voyait chaque jour la monarchie espagnole tomber en ruine, sans en être ébranlé, déterminé à ne rien céder pour ne point témoigner de faiblesse; et il profitait cependant habilement du temps pour conclure avec les Hollandais un traité particulier, qui déconcerta toute la politique du cardinal Mazarin. Servien écrivit au cardinal que c'était un esprit extrêmement cauteleux et malin........., qu'il était difficile de se parer de ses artifices, et qu'il couvrait d'une apparente sincérité une dissimulation et une fourberie continuelles. Ces traits, quoique peut-être un peu outrés, conviennent mieux au caractère du ministre espagnol que celui que lui prête l'historien des Provinces - Unies, qui le représente comme un homme irrésolu. Un pareil défaut s'accorde mal avec la conduite de ce ministre dans tout le cours de la négociation; car on le vit suivre toujours avec beaucoup de fermeté le même plan, qui était de détacher les Provinces-Unies du parti de la France; et le succès de ce projet, quoique la principale gloire en soit due à Antoine Brun, doit être regardé comme une preuve de son habileté.

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