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- Les deux plus considérables alliés de la maison d'Autriche étaient les ducs de Bavière et de Lorraine. Le premier était en Allemagne le chef du parti de l'empereur, auquel il était attaché depuis longtemps par les liens du sang, par l'intérêt de la religion, qui était pour lui un intérêt d'État, et par la nécessité de ménager une puissance dont les pays héréditaires environnaient et bloquaient pour ainsi dire tous ses États. Il avait reçu pour prix de son attachement le haut Palatinat et la dignité électorale. Mais c'était peu d'avoir obtenu ces avantages, s'il ne les conservait par un traité de paix pour les perpétuer dans sa maison. Or c'est ce qu'il ne pouvait guère espérer dans la décadence où le parti de la maison d'Autriche était tombé. Il avait au contraire tout lieu de craindre que les Français, et surtout les Suédois, avec les États protestants d'Allemagne, ne conspirassent à le dégrader pour rétablir le prince palatin. Cependant son penchant pour la maison d'Autriche, la crainte du ressentiment de l'empereur, et le péril auquel ses enfants demeureraient exposés après sa mort, que son grand âge lui faisait regarder comme prochaine, prévalaient encore dans son esprit sur toutes les autres considérations. Il n'ignorait pas d'ailleurs qu'il aurait toujours une ressource dans la France, dès qu'il voudrait se retourner de ce côté. Car cette couronne ayant un extrême désir de le détacher de la maison d'Autriche, dont il était un des plus fermes appuis, avait souvent offert à ce prince sa protection et son alliance; et il savait qu'en acceptant ces offres, il engagerait sans peine le roi de France à lui conserver tous les avantages dont il jouissait; mais une démarche si contraire à toute sa conduite passée ne pouvait être justifiée que par une extrême nécessité, à laquelle il ne se croyait pas encore réduit, et pouvait d'ailleurs avoir des suites dange

reuses s'il la faisait sans le consentement de l'empereur, qu'il n'avait pas lieu d'espérer. Ainsi, se voyant d'une part encore en état de soutenir la guerre, et de demeurer fidèle à ses anciennes liaisons, et de l'autre n'ayant, dans la situation présente des affaires, aucun avantage à espérer d'un traité de paix, il ne songea dans le commencement de la négociation, à l'exemple de l'empereur et du roi d'Espagne, qu'à faire naître des obstacles qui retardassent le traité, bien résolu de recourir à la France, lorsque la fortune des armes ne lui laisserait plus d'autre ressource; mais déterminé à ne le faire qu'à l'extrémité, lorsque l'empereur lui-même ne pourrait pas raisonnablement le désapprouver, ou du moins l'en faire repentir. C'est ce qui arriva quelque temps après; et par une heureuse révolution, on verra ce prince devenir le principal instrument de la paix de la France avec l'empereur, après en avoir été un des premiers obstacles.

Il n'en fut pas ainsi de Charles III, duc de Lorraine, à l'égard de la paix de la France avec l'Espagne. Car ses intérêts furent l'occasion ou le prétexte dont les Espagnols se servirent pour rompre la négociation. Ce prince, après avoir, par son humeur inquiète, attiré les armes françaises dans ses États, et s'être vu plusieurs fois réduit aux dernières extrémités, avait souvent été obligé de recourir à la clémence des vainqueurs; mais quelque modération que ceux-ci affectassent dans leurs victoires pour gagner un ennemi dont ils estimaient le courage, et dont les armes et le voisinage les incommodaient beaucoup, le duc de Lorraine semblait ne faire de nouveaux traités avec la France que pour avoir occasion d'exciter de nouveaux troubles. Il était encore en négociation avec la cour de France, lorsque les plénipotentiaires français com

mençaient celle de Munster. Les articles du traité étaient déjà réglés à Paris, et on y comptait sur le secours des troupes lorraines pour le siége de Gravelines, lorsque le duc, au lieu de se joindre à l'armée française, tourna tout à coup du côté des ennemis. Malheureusement pour lui il fut toujours la première victime de son inconstance. La France était maîtresse de toutes les places fortes de la Lorraine, et l'empereur n'était pas en état de l'obliger à les restituer. On ne fit même mention du duc de Lorraine dans la négociation que lorsqu'elle était déjà fort avancée. Car, comme le duc traitait à Paris avec Louis XIII, lorsqu'on négociait à Hambourg le traité préliminaire, dans lequel par conséquent on n'avait pas pu le comprendre, le roi de France se crut en devoir de lui refuser un sauf-conduit pour envoyer des députés à Munster.

Les autres alliés de la maison d'Autriche étaient les électeurs de Cologne et de Mayence, et le duc de Neubourg, qui suivaient à peu près les impressions que le duc de Bavière leur donnait pour la guerre ou la paix. Quelques autres princes moins considérables et divers États d'Allemagne étaient entraînés dans le même parti, soit par l'autorité de l'empereur, soit par la crainte de leurs voisins ou par quelque intérêt particulier, comme le landgrave de Hesse-Darmstadt qui avait un grand démêlé avec celui de Hesse-Cassel. Les cercles suivaient les mouvements de leurs directeurs, et dans chaque cercle, les États particuliers étaient obligés de suivre le torrent. Mais nous n'expliquerons point ici tant d'intérêts différents, parce que ce détail exigerait une discussion infinie de droits et de prétentions qui se développeront assez d'ellesmêmes dans le cours des négociations. Nous dirons seulement que tous ces princes souhaitaient la paix

avec ardeur, affligés qu'ils étaient de voir depuis si longtemps toute l'Allemagne en proie à des armées étrangères qui y faisaient les plus cruels ravages. Cette considération obligea, presque dès le commencement de la négociation, l'électeur de Saxe à se détacher du parti de Ferdinand, pour faire avec les Suédois un traité de neutralité. Les ducs de Lunebourg en avaient fait un semblable, les années précédentes, avec l'empereur, de sorte que ces princes n'eurent plus à démêler, dans le traité de la paix générale, que les intérêts communs du collége électoral et des princes de l'Empire. Mais l'électeur de Brandebourg, quoiqu'il observât aussi la neutralité, fut un de ceux qui eurent le plus de part au traité. Ce prince avait de grands droits sur la Poméranie, et comme l'intérêt qu'il avait d'acquérir cette province était lié à celui que l'empereur avait de ne pas souffrir que les Suédois s'y établissent, il se trouvait nécessairement engagé dans le parti de la maison d'Autriche. D'un autre côté ce prince avait aussi des droits bien fondés sur les États de Clèves et de Juliers, qu'il avait été obligé de partager avec le duc de Neubourg, et dont il prétendait que la possession entière lui était due. Pour faire valoir ce dernier droit, il se ménageait une étroite alliance avec le prince d'Orange, dont il voulait épouser la fille, et il recherchait aussi la protection de la France, flottant ainsi entre les deux partis, sans se déclarer ni pour l'un ni pour l'autre. On suivit de part et d'autre à peu près la même conduite à son égard, c'est-à-dire qu'on ne lui témoigna ni beaucoup d'opposition, ni beaucoup de zèle pour ses intérêts, si ce n'est dans les occasions où la politique crut devoir les favoriser pour ménager ses propres avantages.

Tel est le tableau du parti de la maison d'Autriche. Voici celui du parti contraire, composé de la

France, de la Suède, des Provinces-Unies, et de leurs alliés.

On connaît déjà les motifs qui avaient fait prendre les armes à la France, pour défendre d'un côté l'Italie et les Provinces-Unies contre l'Espagne, et d'un autre côté, les Suédois et les États protestants d'Allemagne contre l'empereur. Depuis la guerre déclarée, la France n'avait pas eu lieu de se repentir de la démarche qu'elle avait faite. Du côté des Pyrénées, maîtresse du Roussillon, elle comptait les Catalans entre ses sujets, et les Portugais au nombre de ses alliés. Du côté des Alpes elle possédait Pignerol, qui donnait à ses troupes un libre passage en Italie. Elle était maîtresse de Casal dans le Montferrat, et de plusieurs places dans le Piémont, d'où elle portait avec succès la guerre jusque dans le Milanais. Sur le Rhin elle avait conquis presque toute l'Alsace et les villes forestières. Philippsbourg lui facilitait la communication avec la landgrave de Hesse son alliée, et donnait entrée aux Français jusque dans le sein de l'Empire. Enfin du côté des Pays-Bas, elle avait étendu ses frontières par la prise de plusieurs places dans l'Artois, la Flandre, le Luxembourg, et jusque dans les électorats de Cologne et de Trèves. Telle était la situation de la France, qui après avoir ressenti depuis Charles-Quint de cruels effets de l'excessive puissance de la maison d'Autriche, lui rendait alors une bonne partie des maux qu'elle en avait reçus; elle ne s'était jamais vue à un si haut point de splendeur, et l'on peut dire que tant de succès étaient l'ouvrage du cardinal de Richelieu qui en avait tracé le plan, et dont le génie semblait encore présider aux conseils de la France, et donner le mouvement à ses entreprises. Quoique les ennemis de cette monarchie lui vendissent

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