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chèrement ses victoires et ses conquêtes, la guerre ne l'avait pas tellement épuisée qu'elle ne se crût en état de la soutenir encore longtemps, pour profiter de plus en plus de sa bonne fortune. Tel avait été le dessein du cardinal de Richelieu, et le cardinal Mazarin remplissait parfaitement les vues de son prédécesseur. Outre la gloire de la nation, l'agrandissement de l'État et l'affaiblissement de ses ennemis, il trouvait dans la continuation de la guerre un avantage personnel, qui était de s'affermir dans le ministère, en occupant au dehors du royaume, des princes et des seigneurs qui pouvaient y exciter des troubles.

Cependant comme les ennemis et les alliés étaient également fatigués de la guerre, la cour de France était aussi déterminée à faire son accommodement, plutôt que de se voir seule abandonné au ressentiment de la maison d'Autriche; et sur cela il est naturel de penser que le cardinal Mazarin dut se proposer deux objets, comme il se les proposa en effet; le premier, de faire un traité avantageux, le second, d'en assurer l'exécution et la durée. Or, pour parvenir au premier de ces deux objets, voici quel était son projet, et par quels moyens il espérait le faire réussir.

La France étant actuellement en possession de plusieurs conquêtes importantes qu'elle avait faites en Italie, dans les Pays-Bas, et dans l'Allemagne, sans compter le Roussillon et la Catalogne, le cardinal Mazarin se proposa de conserver toutes ces nouvelles acquisitions pour augmenter la puissance des rois de France, par l'agrandissement de la monarchie, et affaiblir celle de la maison d'Autriche. Il y avait si longtemps, dit-il dans l'Instruction qu'il donna aux plénipotentiaires français, que la France était en possession des Trois-Évêchés, Metz, Toul et Verdun, et l'acquisition en était si juste, que l'empereur ne pouvait

pas raisonnablement les redemander, à moins qu'il ne voulût aussi retirer des mains des Espagnols tous les démembrements de l'Empire, qu'ils s'étaient appropriés avec beaucoup moins de justice, comme Besançon, Lindau et Cambrai, dont ils se disaient même seigneurs souverains; au lieu que les rois de France ne prenaient que le titre de protecteurs des Trois-Évêchés, avec le droit d'en garder les principales villes. La Lorraine devait naturellement souffrir plus de difculté; mais le cardinal prétendait qu'elle devait rester à la France, et qu'elle lui était dévolue par les infractions réitérées que le duc avait faites à ses traités, par le consentement formel de ce prince, et par le droit de conquête. On pouvait objecter aux Français que le duc de Lorraine n'était pas plus obligé de garder des traités faits à Paris avec le roi de France, que François Ier n'avait cru l'être d'exécuter celui qu'il avait fait à Madrid avec Charles-Quint; mais la différence de ces traités était sensible, car François Ier, ou du moins ses enfants, étaient encore prisonniers en Espagne, lorsqu'il traita avec Charles-Quint, au lieu que le duc de Lorraine avait traité avec la France étant en pleine liberté. Il était venu à Paris de son propre mouvement, et il en était sorti quand il avait voulu. Il avait envoyé la ratification du traité du milieu de ses États, après qu'il s'était vu rétabli, et pour marquer la satisfaction qu'il avait de la France, il avait envoyé Descoutures à la diète de Ratisbonne, pour y rendre un témoignage public à la générosité du roi à son égard, et effacer les fausses impressions qu'on avait voulu donner aux États des desseins de la cour de France. C'était donc du consentement du duc lui-même, consentement formellement exprimé dans son dernier traité, que la France avait droit de retenir la Lorraine. Mais les dépenses que cette guerre avait coûté à la France lui

donnaient encore un nouveau titre. C'est ainsi que la maison d'Autriche s'était agrandie, et le moindre avantage qu'il semblait que le roi dût attendre de la paix, c'était d'être une bonne fois en repos du côté d'un prince si turbulent. Au reste l'Empire ne pouvait avec justice se plaindre de cette aliénation, parce que le roi offrait de payer pour contribuer aux frais des guerres, ce que le duc était obligé de payer suivant le règlement des diètes; ou même de payer le double, si on voulait accorder au roi de France le droit d'avoir, en qualité de duc de Lorraine, ses députés aux diètes de l'Empire, comme le roi d'Espagne y avait les siens en qualité de duc de Brabant, et de souverain des Pays-Bas. On prétendait que Stenai ne relevait pas de l'Empire, mais quand même il en aurait relevé, il devait être indifférent que cette place passât en d'autres mains, pourvu que l'Empire en tirât les mêmes secours. Obliger la France à restituer ses conquêtes, tandis que la maison d'Autriche a toujours eu pour maxime de ne rien rendre, c'était faire naître à celle-ci l'envie de renouveler toujours la guerre.

Les vues du cardinal Mazarin s'étendaient encore plus loin, au sujet des conquêtes que les Français avaient faites en Allemagne. Car il voulait que la France, déjà maîtresse de Brisach, retînt cette place, et acquît toute l'Alsace haute et basse, en retenant les places qu'elle y possédait déjà, et en s'accommodant pour les autres avec les princes de qui la cession dépendait; c'était un dédommagement qu'il croyait que l'empereur devait à la France pour les frais de la guerre. Il prétendait même que l'Allemagne étant intéressée à resserrer la domination de l'empereur, qui abusait de sa trop grande puissance pour l'opprimer, elle ne pouvait le faire plus sûrement qu'en cédant l'Alsace à la France, d'autant plus que cette couronne n'ayant rien

à prétendre en Allemagne, la cession qu'on lui ferait de cette province ne pouvait avoir aucun inconvénient, et ne servirait qu'à mettre la France en état de secourir, au besoin, les princes d'Allemagne, et surtout le duc de Bavière, qui semblait devoir s'intéresser le plus à l'exécution de ce projet.

La cour de France n'était pas plus disposée à restituer aux Espagnols les places dont elle s'était emparée. Le Roussillon appartenait au roi de France par des droits si anciens et des titres si authentiques qu'on était résolu de le retenir tout entier avec ses dépendances. La Catalogne était dans le même cas. Philippe, disait le cardinal Mazarin, n'avait plus rien à prétendre, puisqu'en violant les conditions auxquelles les Catalans s'étaient donnés à l'Espagne, il avait rendu leur liberté et tous leurs droits à ces peuples, qui avaient pu par conséquent disposer d'eux-mêmes, et se donner à la France. Le droit des Catalans, ajoutait-il, est si ancien, et confirmé par tant d'actes et de titres, qu'on ne peut pas le contester. La forme ordinaire de leur gouvernement, et la manière dont ils reçoivent le prince dans leur ville capitale, est encore une preuve de leur indépendance; et si le roi d'Espagne ne pouvait plus redemander la Catalogne, le roi de France pouvait encore moins, sans se déshonorer lui-même, renoncer à ses droits, et abandonner au ressentiment des Espagnols une province qu'il avait reçue sous sa protection. La France était également déterminée à ne point abandonner le Portugal; mais elle était encore plus fortement résolue de retenir toutes les places qu'elle avait conquises dans l'Artois et dans la Flandre. Si les Espagnols, dit l'Instruction des plénipotentiaires, demandent la restitution de l'Artois, il faut leur redemander la Navarre, à laquelle ils n'ont jamais eu de droit, d'autant plus que la France avait réservé ses droits sur ce

royaume dans le traité de Vervins. A toute extrémité, la France consentait à rendre à l'Espagne les places conquises dans le Luxembourg et le comté de Bourgogne, Damvilliers et Landrecies, pourvu que les Espagnols ne se rendissent pas trop difficiles pour tout le reste. L'Italie était un sujet de querelle entre la France, l'Espagne, les ducs de Mantoue et de Savoie. Le traité de Quérasque ayant été ratifié par la duchesse de Savoie, la cour de France voulait que ses plénipotentiaires en demandassent l'exécution, en sorte que le duc de Savoie payât au duc de Mantoue les quinze cent mille livres promises pour la valeur des terres qui lui avaient été assignées en partage. Le roi de France consentait à payer aussi de son côté la somme promise par le même traité, et de l'employer à acquitter les dettes du duc de Mantoue en France. Pour mieux étouffer toutes les divisions qui pouvaient encore naître entre ces deux États voisins, la France proposait de faire épouser la sœur du duc de Mantoue au duc de Savoie. Cette proposition devait être publique; mais on devait en faire une secrète, dont l'objet était d'attacher le duc de Mantoue à la France. C'était de faire épouser à ce prince, Mademoiselle, qui lui porterait des biens considérables. Le roi de France voulait de plus, que les Espagnols restituassent au duc de Savoie, entre les mains de la duchesse sa mère, toutes les places qu'ils lui avaient prises; restitution d'autant plus juste que le roi s'offrait à restituer de son côté toutes celles qu'il occupait, quoiqu'elles fussent en plus grand nombre. Il voulait encore qu'on en assurât la possession au duc, en laissant la duchesse maîtresse d'y mettre telle garnison qu'elle voudrait, et il avait donné sur cela aux Espagnols de grands exemples de désintéressement. Mais il prétendait qne Pignerol devait être excepté de cette restitution. Car la France était déterminée à se

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