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conserver la possession de cette place, et le duc de Savoie n'avait pas le droit d'en exiger la restitution, après l'avoir cédée par un traité solennel. On ne pouvait pas non plus alléguer que cette place relevait de l'Empire; car les ducs de Savoie ne la possédant que par la cession que les rois de France leur en avaient faite, elle ne relevait pas plus de l'Empire que le marquisat de Saluces. Quant à la garnison, les Espagnols ne pouvaient pas raisonnablement prétendre que la France y entretînt moins de deux mille hommes. Pour ce qui était de Casal, la cour de France n'avait d'autre vue que d'empêcher les Espagnols de s'en emparer, et la duchesse de Mantoue d'en abuser. Il était donc nécessaire que la place demeurât entre les mains du roi, jusqu'à ce que le duc de Mantoue fût en âge et en état de la défendre lui-même. Si cependant il n'était pas possible de faire la paix autrement, la France était disposée à accepter un accommodement. On pouvait, par exemple, faire garder la place par des Suisses que le roi de France payerait sous le nom du duc de Mantoue, et par des Vénitiens entretenus par la république. Mais si l'on prenait ce parti, il fallait que les ministres de Mantoue et les officiers de la garnison de Casal fissent serment de ne pas souffrir que les Espagnols s'en rendissent les maîtres, serment que le duc ferait aussi lorsqu'il serait en âge, et dont les États qu'il possédait en France seraient caution. Les Espagnols pouvaient proposer d'en faire raser la citadelle; mais la France n'y pouvait consentir avec honneur, parce que c'était abandonner un peuple qui avait signalé son attachement pour elle, et que cette place avait été le premier sujet de rupture entre les deux couronnes. Elle faisait d'ailleurs toute la sûreté du Montferrat, et rendait le duc de Mantoue considérable en Italie. Oter à cette ville sa défense, c'était l'ouvrir

aux Espagnols, qui ne manqueraient pas d'en rebâtir la citadelle, et rendre le duc de Savoie trop puissant, parce que c'était Casal qui bridait Turin et Verceil. Il est vrai que les Espagnols pouvaient s'autoriser de la démolition de Nancy; mais s'ils avaient la même raison de désirer celle de Casal, ils n'avaient pas le même droit de l'exiger, parce qu'ils n'étaient pas les maîtres de la place, comme les Français l'étaient de Nancy. Était-il juste qu'étant maîtresse d'une place, la France consentît à la raser, avec autant d'avantage pour ses ennemis que pour elle-même ?

Outre ces prétentions, qui étaient les principales dans le projet de la cour de France pour le traité de paix, il y avait encore quelques autres articles qu'elle voulait demander. Le traité de Monçon (1626) étant rendu nul par le nouvel accord passé entre les Grisons et les Valtelins, elle n'en pouvait pas exiger l'observation : mais ce nouvel accord étant contraire aux droits que la France avait acquis par son alliance avec les Grisons, il n'était pas juste qu'il fût exécuté. Ainsi les plénipotentiaires français furent chargés de proposer que les alliances demeurassent en l'état où elles étaient en 1617. Ils avaient aussi ordre de demander la restitution de Sabionette et de Corregio; mais c'était moins dans l'espérance de l'obtenir, que pour acquérir, par le refus des Espagnols, un nouveau titre pour. retenir Pignerol. On voulait d'ailleurs faire plaisir au duc de Bozzolo, qui avait des prétentions sur ces États, et dont le frère, marquis de Poma, servait dans les armées de France. Les plénipotentiaires français devaient aussi témoigner du zèle pour les intérêts du prince palatin; mais ce ne devait être que pour faire mieux valoir au duc de Bavière le sacrifice qu'on lui en ferait, si ce prince voulait écouter les propositions de la France; et pareillement si l'empereur se rendait

facile sur les demandes de la France, elle était disposée à lui être favorable sur l'article de la restitution du Wurtemberg.

Ce traité que le cardinal Mazarin projetait, était dressé sur un plan dont le cardinal de Richelieu avait déjà tracé les principaux crayons, et il faut avouer que rien ne pouvait être plus glorieux ni plus avantageux à la France que l'exécution de ce projet. Car indépendamment de ce que, par ce seul traité, elle réparait toutes les pertes qu'elle avait faites par les traités précédents, elle acquérait un nouveau degré de puissance, qui la mettait en état de balancer désormais toutes les forces de la maison d'Autriche, cette dangereuse rivale, qui depuis plus d'un siècle lui portait des coups si funestes. Mais comment assurer l'exécution et la durée de ce traité, si les ennemis l'acceptaient, et comment le faire agréer aux ennemis? Sur le premier de ces deux points, le cardinal Mazarin imagina de faire deux ligues, l'une entre tous les princes d'Allemagne, l'autre entre tous les princes d'Italie, indépendantes pourtant l'une de l'autre, parce que les intérêts étaient différents, mais qui auraient toutes deux pour objet la garantie du traité de paix, et dont le fruit serait le repos de l'Europe. Il chargea les plénipotentiaires de France d'en faire la proposition, et il crut que les princes d'Allemagne y consentiraient sans peine, parce que l'Italie semblait déjà désirer d'elle-même cette ligue. Mais le second point qui consistait à faire agréer aux ennemis les demandes de la France, était sans contredit le plus important, ou plutôt c'était tout l'objet de la négociation; ce devait être le chef-d'œuvre de la politique du cardinal, et s'il réussissait, il pouvait se flatter d'effacer la gloire de son prédécesseur.

Ce ministre était trop éclairé pour ne pas comprendre que le succès d'une telle négociation dépen

drait beaucoup plus de la force et du bonheur des armes, que de l'adresse et de l'habileté des négociateurs, et que ni l'empereur ni le roi d'Espagne ne souscriraient à des demandes qui devaient leur paraître si exorbitantes, qu'après avoir épuisé les dernières ressources du désespoir. Il fallait par conséquent continuer de pousser la guerre avec vigueur, et c'est ce qu'il était bien résolu de faire. Ce n'était pas même assez; car enfin la France s'épuisait par les frais d'une si longue guerre, et quelques efforts qu'elle pût faire, elle se serait en vain flattée d'abattre avec ses seules forces toute la puissance de la maison d'Autriche. Elle ne pouvait espérer en venir à bout qu'avec le secours de ses alliés. Aussi le cardinal Mazarin regardait-il l'étroite union de la France avec ses alliés comme le premier et le plus solide fondement de ses espérances, et le ressort dont il attendait le plus de succès dans la négociation comme dans la guerre. De là cette attention à écarter tout ce qui pouvait donner aux alliés le moindre soupçon de quelque traité particulier, et le soin extrême qu'il eut toujours de prévenir tout ce qui pouvait leur donner de l'ombrage et blesser leur susceptibilité, qui n'était pas médiocre, sans cependant leur donner lieu de se prévaloir aux dépens de la France du besoin qu'elle avait d'eux. Ce fut aussi par ce motif qu'il fut ordonné aux plénipotentiaires de commencer la négociation par les intérêts des alliés, afin de les attacher de plus en plus à la France par cette preuve de zèle, et pour détourner tous les soupçons qu'on pourrait leur faire naître de quelque infidélité de sa part, si elle commençait par assurer ses propres intérêts. A ce premier moyen le cardinal Mazarin se proposait d'en ajouter un second qui ne devait pas être moins efficace; c'était de faire entrer dans ses vues, et d'intéresser à la satisfaction de la

France, les alliés mêmes de l'empereur, comme le duc de Bavière et les autres princes et États de l'Empire qui soutenaient le parti de Ferdinand. Et comme la vue de leur propre intérêt pouvait seule faire réussir un semblable projet, il aurait voulu leur faire croire, s'il eût été possible, que la France désintéressée dans cette guerre, n'avait armé que pour eux-mêmes, et n'avait envisagé que leur liberté et leur sûreté. Du moins il se flattait de leur persuader, ce qui était vrai, que si la France obtenait par ce traité de paix la satisfaction qu'elle demandait, ils en retireraient eux-mêmes de grands avantages, non-seulement parce que la France obligerait en même temps l'empereur de restituer à la nation son ancienne liberté et tous ses droits; mais parce qu'étant une fois bien établie dans le voisinage de l'Allemagne, elle serait à portée de secourir dans l'occasion les princes et les États que l'empereur voudrait opprimer. Il voulait surtout qu'on fît envisager au duc de Bavière, qu'en favorisant les demandes de la France, il travaillerait pour lui-même; parce que c'était le moyen le plus infaillible de s'assurer la possession du haut Palatinat et de la dignité électorale.

Mais il est aisé de s'apercevoir que ce projet général regardait principalement l'Allemagne, et il faut se rappeler ici que la France souhaitait avec les Espagnols une longue trêve de dix ou douze ans préférablement à la paix. Sa raison était que, voulant retenir toutes ses conquêtes, et n'espérant pas les conserver par un traité de paix, elle se flattait que l'Espagne consentirait à les lui laisser du moins pour quelques années par un traité de trêve. C'était là le véritable objet de la politique du cardinal Mazarin; mais pour parvenir à ce but, il s'était persuadé qu'il fallait prendre une voie détournée, c'est-à-dire demander toujours opiniâtrément la paix avec toutes les conquêtes,

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