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ne doutant point que si les alliés de la France appuyaient sa demande comme ils devaient, les Espagnols ne consentissent à céder du moins par une trêve ce qu'ils ne pourraient se résoudre à perdre pour toujours par un traité de paix, et qu'ils ne fussent même réduits à proposer eux-mêmes ce tempérament comme un moyen de sortir d'affaire avec moins de perte et de déshonneur. Au reste, comme le succès de ce projet demandait un profond secret, rien ne fut plus recommandé aux plénipotentiaires, et ils exécutèrent si bien leurs ordres qu'il ne fut jamais possible ni aux médiateurs, ni aux ennemis, ni même aux amis de la France, de pénétrer, du moins à fond, ce mystère caché de la politique du cardinal Mazarin.

Tel était le plan général de la négociation que ce ministre avait formé. Ce fut sur ces principes que les plénipotentiaires de France réglèrent toutes leurs démarches, et on sent assez combien l'exécution de ces grands projets demandait d'adresse et d'habileté. Claude de Mesme, comte d'Avaux, surintendant des finances et ministre d'État, et Abel Servien, comte de La Roche - des - Aubiers, qui devint aussi ministre d'État, étaient les deux plénipotentiaires à qui la cour de France avait confié cette importante négociation. Le comte d'Avaux s'était déjà fait connaître par ses ambassades de Venise et de Rome. Quelque difficile qu'il fût d'échauffer le flegme du sénat de Venise, accoutumé à temporiser dans les grandes affaires, et de persuader la guerre à des gens à qui leur habileté dans les négociations donnait tant d'avantages, le comte d'Avaux avait engagé, presque malgré elle, cette sage république à prendre les armes pour assurer au duc de Nevers la possession de Mantoue. Les principaux sénateurs furent eux-mêmes étonnés de leur facilité, et lui avoué

rent qu'il les avait menés beaucoup plus loin qu'ils ne voulaient aller. Il avait encore rendu à la république un service signalé, en étouffant des semences de division qui naissaient entre elle et le pape Urbain VIII, et dont on appréhendait des suites aussi fâcheuses que sous le pontificat de Paul V. Urbain fut si satisfait du comte, dans les entretiens qu'il eut à Rome avec lui, que tout régulier qu'était ce pape dans le partage de ses heures, il oubliait souvent toutes les autres affaires pour s'entretenir avec lui.

Dans toutes ses négociations, le comte d'Avaux montrait une grande pénétration d'esprit, un jugement net et solide, et beaucoup de cette éloquence qui persuade. On le trouve toujours actif, appliqué, vigilant, souple, insinuant, s'accommodant aux mœurs de tous les peuples, et au caractère des ministres avec lesquels il traite. Il gagnait ceux-ci par un certain air d'ouverture et de franchise qui inspirait de la confiance, et qui lui en faisait autant d'amis. Il savait surtout allier le cérémonial de son emploi avec la politesse française. Jamais ambassadeur n'a mieux soutenu la dignité de son caractère. Sa dépense toujours magnifique donnait un nouvel éclat à son ministère, et son zèle pour la religion couronnait de si beaux talents. Il fit éclater ce zèle dans les circonstances les plus délicates, jusqu'à déplaire aux principaux ministres de France, qui ne lui paraissaient pas toujours sur ce point aussi vifs qu'il l'aurait désiré. Il semblait qu'il ne se fût chargé des intérêts de la France en Allemagne, que pour y ménager ceux des catholiques; et cet attachement à sa religion, passant jusque dans ses mœurs, en faisait un des plus honnêtes hommes de son temps, bienfaisant, désintéressé, droit et modéré. Ces grandes qualités par lesquelles on le distinguera toujours entre les plus célèbres négociateurs,

se trouvaient jointes à une parfaite connaissance de l'histoire, des langues et des belles-lettres, qui l'égalait aux plus beaux esprits de son siècle. Voiture, Balzac, et tout ce qui brillait alors sur le Parnasse français, lui rendaient une espèce d'hommage, beaucoup moins parce qu'il était leur Mécène, que parce qu'ils le reconnaissaient pour leur maître dans ce style ingénieux et naïf auquel il s'exerçait quelquefois avec eux, pour charmer le peu de loisirs qu'il dérobait à ses pénibles occupations. Les duchesses de Savoie et de Longueville ne pouvaient se lasser de ses lettres; et ce qui peut surprendre dans un ministre aussi occupé qu'il l'avait toujours été, il écrivait avec la même facilité et la même politesse en allemand, en italien et en latin.

Le second plénipotentiaire, Abel Servien, d'abord procureur général au parlement de Grenoble, avait été fait conseiller et secrétaire d'État sous le cardinal de Richelieu. Il avait appris, sous cet habile ministre, à manier les plus grandes affaires. Il avait déjà négocié avec succès en Italie, où il avait été plénipotentiaire pour le traité de Quérasque. Il avait l'esprit vif et pénétrant; il était prompt dans ses résolutions, et ferme jusqu'à l'opiniâtreté. Il écrivait avec beaucoup de feu et de justesse en français; il n'avait peut-être pas l'esprit aussi orné que le comte d'Avaux; mais il avait le style plus serré et plus nerveux. Il était d'ailleurs naturellement fier et impatient, brusque et rude dans ses manières. Lorsqu'il alla en 1647, à la Haye, pour le traité de garantie, il négocia si durement avec les États-Généraux, qu'ils lui témoignèrent leur mécontentement, en lui refusant le présent ordinaire. Il était aussi naturellement jaloux des moindres avantages qu'on prenait sur lui; son humeur chagrine éclata quelquefois à Munster de la manière la plus fâcheuse, et ses querelles avec d'Avaux ont acquis une triste célébrité.

La cour avait enfin placé à la tête de l'ambassade Henri d'Orléans, duc de Longueville, qui n'avait été, en apparence, envoyé à Munster que pour la représentation. Rien ne semblait d'ailleurs plus contraire à l'inclination que ce prince avait pour le plaisir et à son humeur inquiète, surtout dans un temps où la situation de la cour pouvait fournir des occasions de lier des intrigues et de former des cabales; mais il se laissa persuader que le bien du royaume demandait sa présence dans une assemblée aussi importante que celle de Munster, et la chose était vraie, du point de vue du cardinal Mazarin, qui était d'éloigner de la cour un prince capable d'y exciter des troubles. On comptait si peu sur sa capacité, quoique ce prince eût d'ailleurs du mérite, que la négociation était déjà avancée lorsqu'il se rendit à Munster, et qu'on lui permit de revenir en France avant la conclusion du traité. On avait même lieu d'appréhender de sa part quelque fausse démarche, parce que les princes ont une manière de traiter décisive et indépendante, qui pouvait déconcerter la politique raffinée du cardinal Mazarin; mais le crédit que le comte d'Avaux avait sur l'esprit du duc rassurait la cour. On était aussi bien aise que ce prince qui était magnifique, affable et bienfaisant, donnât de l'éclat à l'ambassade par son nom et par sa dépense.

Comme les alliés de la France partageaient avec elle les succès de la guerre, ils étaient bien résolus de partager aussi les avantages de la paix, ou même, s'il était possible, d'en avoir la meilleure part. Les principaux de ces alliés étaient la Suède et les ProvincesUnies. La défense de la religion protestante et de la liberté germanique n'était que le prétexte dont les

Suédois s'étaient servis pour porter la guerre dans l'Empire. Le véritable motif qui leur avait fait prendre les armes, était le désir de se faire un établissement dans l'Allemagne, d'où ils fussent à portée d'avoir plus de communication avec les princes protestants de l'Empire, et qui leur donnât de la considération en Europe. De toute les provinces de l'Allemagne, la Poméranie était celle qui était le plus à leur bienséance. Elle confinait d'un côté avec la Prusse, où ils avaient des intérêts à démêler, et dans sa longueur elle s'étendait le long de la mer Baltique, où ils faisaient leur plus grand commerce. Ils prétendaient même avoir des droits sur cette province, en vertu des traités faits avec les anciens ducs de Poméranie; mais on n'y aurait apparemment pas eu beaucoup d'égards si leurs droits n'avaient pas été soutenus par la force des armes. Ils étaient déjà depuis plusieurs années en possession de la plupart des places de cette province, et il n'était pas aisé de les en chasser. Ils avaient même poussé leurs conquêtes beaucoup plus avant dans l'Empire, où leurs fréquentes victoires les rendaient de jour en jour plus redoutables, eux qui dans les siècles précédents, contents d'avoir secoué le joug des rois de Danemark, vivaient cantonnés à l'extrémité de l'Europe, ne songeant que rarement à se montrer en deçà de la mer Baltique. Aussi n'était-ce que sur la supériorité de leurs armes qu'ils fondaient l'espérance d'obtenir la Poméranie, soit en vertu des droits qu'ils avaient sur cet État, soit en dédommagement des frais de la guerre, à titre de satisfaction. Le refus que l'empereur avait toujours fait de leur accorder cette province, les avait obligés jusqu'alors de continuer la guerre, quelque épuisée que fût la Suède depuis douze ou treize ans qu'elle en soutenait le poids; et comme ils n'ignoraient pas que la France était ré

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