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d'Autriche, sur qui s'étend-il, et en quoi consiste-t-il, puisque les États nommés au § 87 constituent la totalité de l'Alsace, hors les domaines autrichiens, et qu'il est dit que la France n'exercera pas sur eux de supériorité royale?

A mesure que nous avançons, l'obscurité augmente. L'acte particulier de cession qui fut délivré à la France, par les États d'Empire, le 24 octobre 1648, s'exprime sur ces cessions en termes tantôt plus formels, tantôt plus équivoques. Il est vrai qu'anciennement on doutait de l'existence de cet acte, parce que MEIERN n'en a donné que le projet1, et qu'on prétend qu'il n'en existe pas de traces dans les archives de l'Empire; mais son authenticité n'est plus douteuse, depuis que l'auteur de la première esquisse de cet ouvrage en a publié une copie tirée sur l'original déposé aux archives des Affaires étrangères de France, muni des sceaux et des signatures des plénipotentiaires des États de l'Empire. L'empereur et l'Empire y cèdent à la France, sans limitation, restriction ou réserve quelconque, le domaine suprême et direct, les droits de supériorité impériale, et tous ceux qui leur appartenaient, à eux et à l'Empire, sur les évêchés de Metz, Toul et Verdun, les villes de Metz, Toul et Verdun, et les districts de leurs évêchés, et nommément Moyenvic, ensuite Pignerol, de même que sur la ville de Brisach, le landgraviat de la haute et de la basse Alsace, et le Sundgau, en deçà et au delà du Rhin, de manière que tous ces droits devront, à l'avenir, appartenir de la même manière qu'ils appartenaient à eux et à l'Empire romain, et passer au roi très-chrétien et à la couronne de France, et y être incorporés, et leurs

' MEIERN, Acta pac. Westphal. V, 166.

2 Nous plaçons cet acte à la fin du volume sous la lettre D.

évêques, États et Ordres (sauf toutefois et excepté ceux qui, dans l'instrument de la paix, ont été nominativement exceptés et réservés à l'Empire romain), être comptés à l'avenir parmi les États, Ordres, vassaux et sujets de la France, et qu'elle puisse en recevoir l'hommage et le serment de fidélité, et exercer sur eux toute la juridiction suprême et royale, sans empêchement ni contradiction de l'empereur ou de ses successeurs. <«< Car nous renonçons, pleinement et parfaitement, de notre plein gré et volonté, à perpétuité, à tous les droits, actions et droits régaliens que nous et nos prédécesseurs avons eus, de telle manière que ce soit, ou pourrions avoir, sur les susdits évêchés, provinces, villes et forteresses, et absolvons ces trois évêchés et leurs évêques présents et futurs, les villes de Metz, Toul et Verdun, de même que Moyenvic, Pignerol, et la province des deux Alsaces, le Sundgau et la ville de Brisach, et tous leurs bourgeois, habitants, vassaux, sujets, de tout serment, hommage, fidélité et obligation, par lesquels ils étaient médiatement ou immédiatement liés à nous et au Saint-Empire romain, les en délivrons, déchargeons, etc. »

Deux choses frappent, à la lecture de ce diplôme; d'abord, la manière vague dont s'exprime la clause salvatoire qui y est insérée, et qui ne fait pas l'énumération des réserves; ensuite l'emploi des mots de province d'Alsace à la place de ceux de landgraviats d'Alsace. Nous verrons tout à l'heure quelles conclusions les partisans de la France en ont déduites.

Les publicistes allemands, antérieurs à la Révolution française, qui ont commenté le traité de Munster, se sont peu arrêtés au document dont nous venons de parler, et qu'ils ne connaissaient que comme un projet. Un écrivain moderne, qui a défendu, avec beaucoup d'érudition et de sagacité, les droits des États

d'Empire en Alsace, M. LEIST, convient' que si cet acte, au lieu d'avoir été signé séparément, avait été inséré dans le traité même, il faudrait avouer que la totalité de l'Alsace, avec tous les États et membres immédiats qu'elle renfermait, a été soumise à la souveraineté de la France. « Car, dit-il, que veulent dire autrement ces mots en recevoir l'hommage et exercer sur eux toute juridiction suprême et royale; et ceux-ci : absolvons la province des deux Alsaces de tout hommage? » M. LEIST pense que, puisque les articles 73, 74 et 87 de la paix de Munster sont le véritable titre de la cession de l'Alsace, et que l'acte particulier n'est, ainsi que le dit son préambule', qu'une confirmation spéciale de l'acte principal, le premier ne peut en rien déroger à l'autre ; et il faut s'en tenir uniquement aux paragraphes de la paix de Munster. Or, dans ces stipulations, les publicistes allemands ne voient que la cession de la partie de l'Alsace possédée par la maison d'Autriche, et le maintien de tous les autres États de cette province, dans la jouissance de la supériorité territoriale et dans l'immédiateté envers l'Empire.

Les publicistes français, au contraire, regardent cet acte particulier comme le titre principal qui, signé le même jour que le traité, développe et précise ce que celui-ci n'indique qu'en peu de mots assez obscurs. Ils en infèrent que la cession faite à la France comprenait, outre la pleine propriété des possessions autrichiennes, le droit de domaine direct et de haute souveraineté sur les autres États de cette province. Ils

1 Just.-Christoph. LEIST, tractatus juris publici de pacis Ryswicen-. sis, art. 4, etc., 1796, Gætinga, p. 114.

2 Inter cæteras conditiones hoc quoque specialiter conventum est.

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Principalement PFEFFEL, dans sa Dissertation de limite Galliæ; et l'auteur de la première esquisse de cet ouvrage dans un discours prononcé, le 1er février 4792, à l'Assemblée nationale de France.

prétendent que les mots de landgraviats de la haute et basse Alsace, qui, ainsi que ceux de duché, comté, etc., désignaient originairement une charge ou fonction, avaient depuis longtemps perdu cette signification purement politique; que, d'après l'usage allemand d'attacher à chaque pays un de ces titres, on avait pris l'habitude de donner celui de landgraviat à toute la province d'Alsace; que, par conséquent, ces mots doivent être pris dans un sens géographique, et qu'ils signifient la province d'Alsace. Ce qui vient à l'appui de cette assertion, c'est que, dans l'acte particulier, le titre de landgraviat est une fois remplacé par celui de province. En accordant que le mot de landgraviat ait conservé un sens purement politique, comment sera-t-il possible d'enlever le sens géographique au mot de province? D'ailleurs, le landgraviat de l'Alsace inférieure n'existait plus; les fiefs qui avaient été attachés à cette charge avaient été démembrés, et le titre seul était resté inhérent à l'évêché de Strasbourg; mais, dans un sens plus général, on appelait ainsi toute la basse Alsace. Comment, continuent les mêmes publicistes, aurait-on nommé le landgraviat de la basse Alsace parmi les possessions autrichiennes, puisqu'aucune partie de ce landgraviat n'appartenait à la maison d'Autriche? Quelle est donc la cession faite à la France sous la dénomination de landgraviat de l'Alsace inférieure, si ce n'est la souveraineté de cette province? Pourquoi enfin évite-t-on, dans le traité, de nommer les villes alsaciennes occupées par les troupes françaises, parmi celles qui doivent être évacuées, tandis que le § 85 du traité donne la liste de toutes les restitutions à faire par la France, sur la rive . droite du Rhin?

A ces questions on peut en opposer une autre si les mots de landgraviats de la haute et de la basse

Alsace signifient, dans le traité, la province d'Alsace, pourquoi leur a-t-on accolé ceux de préfecture des dix villes impériales, laquelle était comprise dans la province d'Alsace? Si c'est parce que cette préfecture appartenait à la maison d'Autriche, il paraît qu'au moins elle aurait dû être nommée, non comme une cession particulière, mais comme une partie des deux landgraviats.

Il est difficile, d'après les publicistes français, de concilier toutes les contradictions apparentes qui se trouvent, à l'égard de la cession de l'Alsace, entre les dispositions des traités, à moins d'admettre que, les SS 73 et 74 ayant cédé à la France la souveraineté de toute l'Alsace qui appartenait à l'empereur et à l'Em ́pire, on a voulu, par les exceptions insérées au S 87, réserver aux États possessionnés en Alsace, autres que la maison d'Autriche, leur immédiateté, c'est-à-dire la possession de leurs seigneuries, avec la supériorité territoriale dont ils jouissaient auparavant, de manière cependant que cet état de choses ne préjudiciât pas à la haute souveraineté cédée à la France.

Si, après des opinions aussi respectables, il nous est permis d'en avoir une, nous dirons. que l'histoire des négociations dont nous avons donné le précis, fait connaître que c'est à dessein qu'on a enveloppé ces articles dans des ambiguïtés qui permettaient aux deux parties de les expliquer un jour, selon que les circonstances leur seraient favorables'; il paraît que les mi

'Un publiciste alsacien, GRAUEL, auquel la cour de France demanda, en 1661, son avis relativement à l'étendue des droits du roi sur l'Alsace, dit, entre autres, dans son mémoire, qu'ayant fait des observations au comte de SERVIEN, sur l'ambiguïté des termes du traité de Munster, celui-ci répondit que l'on aurait toujours assez de droits pour les faire valoir avec l'épée, lorsque quelque occasion favorable se présenterait. Voy. JOH. FRED. PFEFFINGERI Vitriarius illustr., ed. 3. Gothæ (s. a.), vol. III, p. 4082.

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