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rope leur doit sa politique et la plus grande partie de ses progrès. Les appuis au moyen desquels ce système pouvait se maintenir, et se maintenait en effet, en garantissant aux faibles leur sûreté et leur indépendance contre les puissants, étaient de différentes sortes. A la vérité, il s'en fallait de beaucoup que la situation relative des différents États compris dans le système fût, dans le fait, établie aussi régulièrement que le pouvait supposer la théorie; mais, par un effet des progrès de la civilisation, il s'établissait et dans la paix et dans la guerre un Droit des gens fondé non-seulement sur des traités exprès, mais sur une convention genérale et tacite, et dont les maximes obligatoires, quoique souvent négligées, n'en exerçaient pas moins une grande influence; et même le strict et quelquefois excessif cerémonial observé entre les divers gouvernements ne pourra paraître à beaucoup près indifférent, si on le considère comme une reconnaissance mutuelle de l'indépendance que conservaient, les uns à l'égard des autres, des États souvent trèsinégaux en puissance et en situation.

Le premier et le plus important résultat de ce Droit des gens fut d'établir en principe la sainteté du droit de propriété légitime, appui principal et élément indispensable d'un pareil système. La constitution héréditaire de la plupart des États de l'Europe contribua beaucoup au maintien du principe de propriété aussi fut-ce par le partage inique d'un royaume électif qu'il perdit en Europe toute son autorité; jusque-là les usurpations particulières n'avaient fait que l'établir plus fortement.

Le système trouva son second appui dans le principe reconnu de la nécessité de maintenir ce qu'on appelle l'équilibre politique. Cet équilibre se maintient par l'attention des divers États à soutenir leur indépendance réciproque contre les envahissements qui pourraient amener la prépondérance d'un seul. C'en est assez sans doute pour faire comprendre ses avantages. A la vérité, comme rien ne le garantit d'abus ou de destruction, il ne procure pas une sûreté parfaite, mais seulement la plus grande sûreté possible; il n'y a point de sûreté parfaite pour les institutions humaines. Leur conservation ne peut être l'ouvrage que de la plus haute politique; ce serait une vue bien courte que de la chercher dans l'égalisation des forces matérielles des différents États. Ses résultats sont : 1° une grande vigilance de la part des gouvernements à s'observer les uns les autres, et les rapports variés qui s'établissent entre eux par des alliances et des contre-alliances; 2° l'importance qu'acquièrent

ainsi dans le système politique les États de seconde et troisième classe; 3° un sentiment de respect pour l'indépendance, et une politique supérieure aux calculs de l'égoïsme.

L'établissement des puissances maritimes fournit un troisième appui au système européen, en contribuant plus qu'aucune autre cause au maintien de l'équilibre politique. L'établissement des puissances maritimes, et l'importance toute particulière qu'elles acquirent dans la balance de l'Europe, empêchèrent que tout ne se décidât au moyen des forces de terre, toujours plus faciles à rassembler que les autres, parce qu'elles consistent surtout dans le nombre des hommes.

Dans un système formé d'États pour la plupart héréditaires, les alliances de famille contractées entre les maisons régnantes étaient pour elles un moyen de force tantôt plus, tantôt moins considérable, jamais entièrement nul. Le principe généralement reçu que les princes ne pouvaient s'allier qu'avec des princesses, prévenait les inconvénients qui résultent toujours du mariage d'un souverain avec une de ses sujettes, et une heureuse circonstance sauva l'Europe des dangers non moins réels d'une alliance de famille entre des souverains trop puissants; ce furent les principautés de l'Allemagne qui fournirent des reines à la plupart de ses États. Ainsi se formèrent, entre presque toutes les maisons régnantes, des liens de parenté qui, sans être assez rapprochés pour dominer immédiatement la politique, établissaient cependant entre elles des motifs d'union impossibles à méconnaître, et qui, par leur force naturelle, se maintenaient encore lorsque tous les autres paraissaient se détruire. »>

NOTE B.

Ces feuilles étaient à l'impression lorsque les affaires de la Suisse ont soulevé un grave débat au sein des chambres. Une question de Droit des gens dominait toute la discussion. Il s'agissait en effet de déterminer si les puissances européennes s'étaient rendues garantes du pacte fédéral. A la chambre des députés, M. Thiers a soutenu la négative. Cette opinion de l'illustre orateur devait nécessairement appeler à la tribune M. le président du conseil, ministre des affaires étrangères, et voici en quels termes s'est exprimé M. Guizot:

« L'honorable M. Thiers voit encore aujourd'hui, en Suisse

comme en France, cette lutte toujours flagrante, il y veut la victoire de l'un des partis sur l'autre. Moi je pense que le temps de la lutte a cessé, que le jour de la justice, de la liberté et de la paix est venu pour tous les partis, et qu'il faut la leur imposer à tous, en Suisse comme en France. (Oui! oui!) Là est, entre l'honorable M. Thiers et moi, la véritable question. (Adhésion au centre.)

"Avant de l'aborder, j'ai besoin d'éclaircir un point de fait et de droit aussi, qui a une grande influence sur la question tout entière.

« L'honorable M. Thiers disait hier que les puissances de l'Europe avaient été complétement étrangères au pacte fédéral de la Suisse, que c'était seulement au congrès de Vienne qu'elles avaient commencé à s'occuper des affaires de la Suisse, et qu'elles s'y étaient uniquement occupées de ses affaires territoriales et pas du tout de son organisation fédérale.

« Il y a ici une erreur.

« Voici les faits précis et les documents authentiques sur lesquels ces faits reposent.

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C'est le 6 avril 1814 que la diète des dix-neuf cantons se reconstitua à Zurich. Le 12 avril, la diète entra en relations avec les envoyés de Prusse, d'Autriche et de Russie, qui avaient été délégués auprès d'elle pour délibérer avec elle sur les affaires de la Suisse.

« Voici les pouvoirs donnés dès les derniers jours de mars à ces envoyés :

« Le comte de Lebzeltern était l'envoyé autrichien; ses pouvoirs portaient :

Plein pouvoir pour le chevalier Louis de Lebzeltern, en sa qualité d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire près la diète des États de Suisse.

« Nous, François Ier, par la grâce de Dieu, empereur d'Autriche, roi de Hongrie, de Bohême, etc., etc.

<«< Des difficultés se sont opposées à la confection d'une œuvre aussi salutaire pour le bonheur même et la tranquillité de la Suisse. La diète cependant se rassemblera pour travailler à cette constitution, et nous sommes décidé à nommer pour résider près de cette diète des États de la Suisse, en qualité d'envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, notre

conseiller aulique, le chevalier Louis de Lebzeltern, chevalier de l'ordre royal de Saint-Étienne de Hongrie, etc., l'autorisant et lui donnant plein pouvoir, comme par les présentes nous l'autorisons, de faire connaître de la manière la plus solennelle l'intérêt que nous prenons aux délibérations de la diète; quels sont les principes qui nous guident, et ceux d'après lesquels nous et nos augustes alliés LL. MM. l'empereur de toutes les Russies et le roi de Prusse, nous sommes disposés à garantir la constitution des États de la Suisse ainsi que son indépendance.

« Voilà le premier acte.

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« Les pouvoirs des envoyés de Prusse et de Russie étaient conçus dans les mêmes termes. Quelques jours après, le 18 juin, on communiqua à la diète un article secret du traité de Paris, art. 2, ainsi conçu :

« Art. 2. La France reconnaîtra et garantira, conjointement avec les puissances alliées et comme elles, l'organisation politique que la Suisse se donne sous les auspices desdites puissances alliées et d'après les bases arrêtées avec elles. >>

(Communiqué à la diète par le comte Capo d'Istria le 18 juin 1814.)

« Ces envoyés européens travaillèrent en commun avec la diète à la rédaction du pacte; il y a des mémoires remis par eux à la diète à mesure qu'elle avançait dans ce travail, et dans lesquels ils discutaient les différents articles du pacte. Du 18 juin au 10 septembre, le projet du pacte fut rédigé et adopté par la grande majorité des cantons. Le congrès de Vienne se réunit; trois plénipotentiaires furent envoyés par la Suisse au congrès de Vienne, pour s'occuper des affaires de la Suisse : le congrès nomma un comité chargé spécialement de ces affaires. M. le prince de Talleyrand, alors ambassadeur de France à Vienne, nomma le baron de Dalberg pour prendre part avec ce comité au règlement des affaires de la Suisse, dans ces termes :

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Le prince de Talleyrand à M. Reinhard.

Vienne, 26 octobre 1814.

D'après le traité du 30 mai 1814, les puissances qui y ont concouru, devant garantir l'organisation politique que la Suisse a dû se donner sous les auspices des puissances alliées et d'après les bases arrêtées avec elles antérieurement à la date

dudit traité, S. M. le roi de France a choisi M. le duc de Dalberg pour conférer sur ce sujet avec MM. les commissaires de la Suisse qui se trouvent en ce moment à Vienne. Le prince de Talleyrand a l'honneur d'en prévenir M. de Reinhard, et de lui renouveler l'assurance, etc. »

«Et le comité suisse répondit à cette lettre :

A S. A. le prince de Bénévent, etc.

Vienne, 6 novembre 1814.

« La légation suisse a l'honneur d'accuser la réception de la note, datée du 26 octobre 1814 et reçue le 5 novembre, par laquelle S. A. le prince de Bénévent lui communique la nomination de M. le duc de Dalberg pour conférer avec les commissaires de la Suisse sur les objets relatifs à elle et résultant de la paix de Paris.

« La légation suisse aura l'honneur de se mettre en rapport avec M. le duc de Dalberg, et de conférer avec lui dès qu'il le désirera, ne doutant pas que cette mesure marchera de concert avec les intentions des puissances alliées, et qu'elle produira le plus heureux résultat pour la Suisse.

<< Elle a l'honneur de renouveler à S. A., etc. »

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Ainsi, c'est de concert avec les puissances et les envoyés de la diète à Vienne que l'organisation de la Suisse a été réglée. « Voici les termes du rapport du comité qui statue en définitive sur les affaires de la Suisse :

Rapport du comité institué pour les affaires de la Suisse.

16 janvier 1815.

« Les puissances alliées se sont engagées à reconnaître et à faire reconnaître, à l'époque de la pacification générale, la neutralité perpétuelle du corps helvétique, de lui restituer les pays qui lui furent enlevés, de renforcer même, par des arrondissements territoriaux, la ligne de défense militaire de cet État; mais de ne considérer ces engagements comme obligatoires qu'autant que la Suisse, en compensation des avantages qui lui étaient réservés, offrirait à l'Europe, tant par ses institutions cantonales que par la nature de son système fédératif, une

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