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couter et de rapporter les raisons de part et d'autre, et, comme le confident des deux partis, les faire valoir tour à tour avec un zèle parfaitement égal. On ne voulait pas même qu'il fit partir de courriers que de concert avec les plénipotentiaires. Lorsqu'il aurait quelque avis à donner à la cour de Rome ou aux nonces qui résidaient dans les cours de l'Europe, on voulait qu'il se servît de la voie des marchands; ou, si la chose pressait, qu'il défendît à ses courriers de courir les premières et les dernières postes, afin qu'on ne les prît que pour des voyageurs ordinaires. Il avait ordre de régler sur le même pied ses visites, ses discours et toutes ses démarches; et, enfin, ses domestiques devaient se conformer en cela à la conduite de leur maître. Le pape n'était cependant pas tellement neutre dans sa médiation qu'il n'eût quelques intérêts à ménager dans le traité : ils se réduisaient, en général, à favoriser les princes catholiques contre les protestants, à conserver les biens de l'Église, et à entretenir l'équilibre des puissances en Italie.

Ce dernier objet était aussi l'article essentiel que les Vénitiens avaient en vue de ménager dans le traité, et qu'ils recommandaient à leur ambassadeur. C'était le chevalier Louis Contarini', noble vénitien, qui s'était rendu à Munster plusieurs mois avant le nonce, pour partager avec lui la médiation au nom de la république de Venise. Ce ministre soutenait depuis près de vingt ans le titre d'ambassadeur de sa république à la Haye, en Angleterre, en France et à Constantinople avec beaucoup de réputation, d'adresse et de capacité. Il négociait le plus souvent avec cette retenue et ce flegme qui sont communs aux Vénitiens, quelquefois avec beaucoup de vivacité, selon que l'occasion l'exigeait, et il

'Élu doge en 1676.

y joignait toute la dissimulation et la subtilité ordinaires des Italiens. Quand il ne pouvait pas faire expliquer les Impériaux à Munster, il se servait du résident de Venise à Vienne pour faire parler les ministres de cette cour. Il employait apparemment la même ruse avec la France, et les plénipotentiaires français en donnèrent avis à la cour. Comme la France venait de procurer la paix à l'Italie par l'accommodement du pape avec le duc de Modène et les princes ligués, elle s'imagina que la reconnaissance de ce service lui rendrait la république de Venise et son ministre plus favorables. Contarini avait même autrefois paru fort attaché à la France, lorsqu'il résidait à Paris; mais si cet attachement fut sincère, devenu médiateur de l'Europe, il ne se crut plus permis de suivre ses inclinations particulières. La France l'accusa même quelquefois de ne pas tenir la balance avec assez d'égalité, et de pencher plus du côté de la maison d'Autriche. Dès le commencement de la négociation, elle se plaignit de quelques lettres qu'il écrivit peut-être avec trop peu de précaution aux résidents vénitiens dans les différentes cours de l'Europe, et de ce qu'il paraissait trop bien instruit des intérêts de la maison d'Autriche, comme s'il en faisait sa principale affaire : tant un médiateur a de ménagements à garder pour ne pas blesser la délicatesse des partis qu'il veut concilier! Les plénipotentiaires français se plaignirent encore de ce qu'il refusait la visite des envoyés de Portugal et de Catalogne. Ceux-ci avaient prié les deux médiateurs de leur permettre de les aller voir sans cérémonie, comme des personnes privées. Le nonce y avait consenti; mais Contarini s'obstina à le refuser, et engagea le nonce à révoquer sa permission, ce qui déplut beaucoup aux plénipotentiaires français. Il était cependant difficile à un médiateur d'en user autrement sans choquer ouver

tement l'Espagne, que son caractère l'obligeait de ménager autant que la France.

La médiation du nonce était bornée à la réconciliation des princes catholiques, c'est-à-dire de l'empereur, du roi de France, du roi d'Espagne, des ducs de Savoie, de Lorraine, de Bavière, de Neubourg et de quelques autres princes. Celle de Venise s'étendait plus loin, et comprenait la république des Provinces-Unies, les États protestants d'Allemagne et la Suède même, qui depuis plusieurs années avait accepté la médiation des Vénitiens, et l'aurait sans doute préférée dès le commencement à celle du roi de Danemark, si elle n'avait craint d'irriter ce prince. Depuis la déclaration de guerre entre les couronnes de Suède et de Danemark, la France voulant se faire un mérite auprès des Vénitiens, de leur procurer l'honneur de la médiation entre l'Empire et la Suède pour le traité d'Osnabruck, s'intéressa de nouveau pour la faire accepter aux Suédois, qui l'agréèrent en effet. Mais il s'y trouva quelque difficulté. On craignit d'offenser Contarini en lui donnant un collègue, et on n'espéra pas pouvoir persuader aux Suédois de se contenter de l'entremise d'un simple secrétaire. Cet inconvénient obligea les Impériaux et les Suédois de s'en tenir à un usage assez ordinaire en Allemagne, qui fut de traiter par écrit, et de s'entrecommuniquer leurs cahiers sans l'entremise d'aucun médiateur. Les pouvoirs du nonce et de Contarini furent ainsi restreints à la seule négociation de Munster; mais ils ne laissèrent pas d'agir quelquefois pour avancer celle d'Osnabruck dans les occasions où leur autorité parut nécessaire. Il faut encore ajouter que si la médiation de Contarini avait plus d'étendue que celle du nonce, en ce qu'elle comprenait également les intérêts des catholiques et des protestants, Chigi avait, par sa dignité de nonce apostolique, une grande supé

riorité sur le médiateur vénitien dans les affaires qui regardaient les princes catholiques. Car c'était le nonce seul qui recevait les écrits, les propositions et les répliques des plénipotentiaires. Lui seul les gardait et les signait. Il appelait chez lui Contarini, quand il voulait communiquer les affaires. Enfin c'était chez lui que les plénipotentiaires s'assemblaient pour conférer avec les médiateurs. Il est vrai que le nonce ne se servit pas de tous ses droits à la rigueur; mais il en fit assez pour faire remarquer sa supériorité, de sorte qu'il pouvait sembler que Contarini, quoiqu'il soutînt en effet le plus grand poids des affaires, était moins le collègue du nonce que son substitut.

Intérêts des puissances. -On sait quelles étaient les puissances ennemies dont les médiateurs devaient ménager la réconciliation. C'étaient d'une part la →maison d'Autriche et ses adhérents, et de l'autre la France avec ses alliés deux partis redoutables, dont les moindres mouvements ébranlaient toute l'Europe, et dont les prétentions intéressaient tous les princes catholiques et protestants. Jamais les États germaniques n'avaient ressenti de plus cruels effets de la guerre ; jamais les empereurs depuis Charles-Quint n'avaient vu tant d'ennemis soulevés contre l'autorité despotique qu'ils affectaient dans l'Empire. La situation de l'Allemagne, d'ailleurs si avantageuse au milieu de l'Europe, ne servait qu'à faciliter aux ennemis de Ferdinand III les moyens de l'attaquer de toutes parts, et de porter la guerre dans tous ses États ou dans ceux des princes qui lui étaient attachés. La France l'attaquait du côté de l'Occident, avec des forces qu'elle ne s'était point encore connues à elle-même et qui étonnaient toute l'Europe. Elle

était, sinon secondée, du moins favorisée dans cette guerre par la république des Provinces-Unies, qui, sans déclarer la guerre à l'empereur, affaiblissait beaucoup sa puissance, en le privant des secours de l'Espagne, occupée à se défendre elle-même. Les Suédois du côté du nord, après s'être ouvert l'entrée de l'Empire avec cette impétuosité qu'aucun obstacle n'avait pu arrêter, s'étaient répandus comme un torrent dans toutes les provinces. Ils s'y maintenaient par leur valeur, et du fond de la Suède ils recevaient tous les ans de si grandes recrues, qu'il semblait que ce royaume tout entier voulût se transporter jusque dans le sein de l'Allemagne. Un autre ennemi, quoique peu redoutable dans un autre temps, profitait de la conjoncture pour insulter l'Empire du côté de l'Orient. C'était Ragotski, prince de Transylvanie, qui, osant alors paraître en campagne à la tête d'une armée de Transylvains et de Hongrois rebelles, refusait avec hauteur les propositions d'accommodement que l'empereur lui faisait. Enfin les propres vassaux de l'Empire soulevés contre leur chef y entretenaient une espèce de guerre civile également dangereuse et incommode. Tels étaient le landgrave de Hesse-Cassel, l'électeur de Trèves et quelques autres princes alliés de la France ou de la Suède.

Cependant l'empereur, obligé de partager ses troupes pour faire face de tous côtés, n'avait, pour résister à tant de peuples conjurés que les seules forces de ses États héréditaires, et celles qu'il pouvait tirer de l'Allemagne. Les électeurs de Saxe et de Brandebourg, et les ducs de Lunebourg, ne songeant qu'à garantir leurs États de l'embrasement général, refusaient d'épouser son parti, et lui faisaient même envisager comme un grand avantage la neutralité qu'ils observaient. Christian IV, roi de Danemark, à qui les Suédois venaient tout récemment de déclarer la guerre,

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