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était moins que jamais en état de le secourir; et si Ferdinand se flatta de tirer quelque avantage de cette diversion, ses espérances s'évanouirent bientôt par l'accommodement qui se fit entre les deux couronnes. Les Polonais, quoique naturellement favorables à la maison d'Autriche par l'intérêt de la religion et les alliances de leurs rois, imitèrent la conduite des Danois dans cette guerre et n'en furent que les spectateurs. L'Italie observait aussi une parfaite neutralité, excepté la Savoie, que des liaisons d'intérêt et de sang unissaient étroitement à la France contre l'Espagne; de sorte qu'il paraissait difficile que l'empereur, ainsi abandonné à lui-même, ne succombât pas enfin sous les efforts de tant de puissances unies contre lui.

En effet, depuis 1630 que Gustave-Adolphe porta la guerre en Allemagne, et 1635 où la France prit les armes d'abord contre l'Espagne, et quelque temps après contre l'empereur, presque toutes les années furent marquées par de sanglantes défaites des Impériaux, ou par la prise de quelques grandes villes. Il est vrai que ceux-ci réparèrent quelquefois assez heureusement leurs pertes, surtout après la mort du roi de Suède, et qu'ils vendirent cher aux vainqueurs quelques-unes de leurs conquêtes; Ferdinand regagna aussi quelques princes de l'Empire qui s'étaient détachés de son parti. Mais il ne put jamais acquérir la supériorité, et toujours plus faible ou moins heureux, il voyait de jour en jour augmenter ses pertes et les avantages de ses ennemis. La France s'était rendue maîtresse de plusieurs places dans le Luxembourg et dans les électorats de Cologne et de Trèves, de presque toute la haute et basse Alsace, et de toutes les villes forestières. La Suède occupait la Pomeranie, et avait des garnisons dans plusieurs places importantes de la Bohême, de la Silésie et de la Moravie, de

la haute et basse Saxe, et jusque dans la Westphalie. L'empereur, ainsi resserré de toutes parts, avait le chagrin de voir l'ennemi aux portes de sa capitale, et quelquefois du haut de ses remparts il put voir de ses propres yeux l'incendie des villages et le ravage des provinces. Au lieu de ce pouvoir despotique que Ferdinand II avait exercé dans l'Empire, Ferdinand III, son successeur, conservait à peine son autorité légitime. Un cri général, suscité et habilement soutenu par la France et la Suède, avait réveillé dans tout le corps germanique l'amour de son ancienne liberté, et à l'ombre de ces deux puissantes protections, les princes et les États de l'Empire, pour forcer l'empereur à leur restituer leurs anciens droits, refusaient d'obéir à ses plus justes décrets. La paix seule pouvait calmer les troubles et mettre fin à tant de malheurs. Mais dans le mauvais état de ses affaires, quelle paix Ferdinand pouvait-il se promettre? Il prévoyait que le démembrement de l'Empire en faveur de la France et de la Suède, et la réduction de son autorité à celle d'un simple chef de république, en serait le prix; et il ne pouvait envisager ces conditions qu'avec horreur. La nécessité seule, et une extrême nécessité, pouvait le contraindre à les accepter; mais il ne se croyait pas encore réduit à ces termes. Ses forces étaient abattues, et son courage se soutenait encore. Il se persuada qu'en se roidissant contre la mauvaise fortune, le temps amènerait quelque conjoncture plus favorable qui le mettrait en état de traiter avec plus d'avantage. La déroute de l'armée française à Duttlingen, quoique moins considérable que les Impériaux le publiaient, commença à relever ses espérances; encore une pareille victoire, et il se flattait de donner la loi à ses ennemis. En effet, le cardinal Mazarin était lui-même persuadé de cette maxime, que le succès du traité de

paix dépendait uniquement du succès de la guerre en Allemagne. Les Impériaux, de leur côté, en étaient si bien convaincus, qu'ils comptaient pour rien toutes les pertes qu'ils faisaient ailleurs, pourvu que leurs armes réussissent dans l'Empire. C'est que par ce moyen ils espéraient contraindre tous les États à se ranger sous les enseignes de l'empereur et qu'ils jugeaient avec raison que si tout le corps germanique se réunissait une fois sous l'autorité d'un seul chef, il n'y avait aucune puissance en Europe qui pût lui disputer la victoire. Fondés sur ce principe, ils voyaient avec un plaisir secret la France consumer une grande partie de ses forces dans les États voisins, où la conquête d'une seule place était l'unique fruit d'une année de guerre et d'une prodigieuse dépense, tandis qu'elle leur abandonnait en Allemagne des provinces entières, où l'empereur fortifiait sa domination, et d'où il tirait des troupes avec lesquelles il espérait porter la guerre dans le sein de la France même, et reprendre en une seule campagne toutes les conquêtes qui avaient coûté aux Français tant d'années de guerre.

Quant à la Suède, il la voyait alors occupée à la guerre de Danemark, et quoique le général Torstenson eût déjà reparu sur l'Elbe après avoir repoussé les Danois, Ferdinand ne douta pas que cette diversion ne dût avoir de grandes suites pour le rétablissement de ses affaires. Il considérait d'ailleurs que les Suédois n'avaient acquis tant de puissance dans l'Empire que par le secours des Allemands mêmes qui composaient en effet une grande partie de leurs armées, et qui n'étaient entretenus que par les subsides que la Suède tirait de la France. Or jugeant des Allemands par ce qu'on voit presque toujours arriver dans les autres États, il se persuadait que les membres de l'Empire se lasseraient enfin de prêter ainsi leur secours à un peu

ple étranger pour déchirer leur patrie; ou du moins il se flattait que la France ne serait pas longtemps en état de fournir à la subsistance de ces troupes, soit par l'épuisement de ses finances, soit par les dissensions civiles que la jeunesse du roi Louis XIV devait naturellement occasionner sous une reine espagnole et un premier ministre étranger. Alors toute la puissance de la Suède serait tombée d'elle-même, et tous les membres de l'Empire, se réunissant à leur chef légitime, devaient conspirer à rétablir le calme dans l'Allemagne. Enfin, au défaut de toutes ces ressources, la maison d'Autriche comptait toujours que l'adresse de ses ministres, ou des intérêts particuliers faisant naître tôt ou tard quelques divisions entre la France, la Suède et les autres alliés, lui donneraient l'avantage sur des ennemis qui n'étaient redoutables que par leur union.

Plein de ces grandes espérances, Ferdinand, quoiqu'il désirât sincèrement la paix, croyait devoir en éloigner plus que jamais la conclusion, pour attendre des conjonctures plus favorables; et tels furent en effet les ordres qu'il donna au comte de Nassau et à M. Volmar, ses plénipotentiaires à Munster. Jean-Louis comte de Nassau-Hadamar, était un prince affable et poli, d'un caractère doux et bienfaisant; mais le peu de part qu'il avait eu jusqu'alors aux affaires ne lui avait pas permis d'acquérir toute l'expérience nécessaire pour soutenir le poids d'une négociation aussi importante que celle de Munster. Car il n'avait encore eu qu'un vain titre de plénipotentiaire à Cologne, où il avait demeuré plusieurs années dans une entière inaction. M. Isaac Volmar, qu'on lui avait donné pour adjoint, était un jurisconsulte qui avait corrigé le pé--dantisme des universités par l'usage de la cour et le commerce des grands, et qui avait appris à manier les

affaires avec assez d'habileté. Cependant le comte d'Avaux n'ayant trouvé à Munster que ces deux plénipotentiaires de la cour de Vienne, jugea, comme il était vrai, que l'empereur avait peu d'empressement pour la paix. « J'aurai, écrivit-il à la cour de France, meilleure opinion de la disposition des Impériaux à la paix, lorsque je verrai arriver ici le comte de Trauttmansdorff ou le vice-chancelier Curtz. » En effet, le comte de Nassau et le docteur Volmar n'apportèrent à Munster que des instructions générales et un pouvoir limité, et leur principal objet devait être d'éloigner la négociation. Le comte d'Aversberg, remplacé peu de temps après par le comte de Lambert, et M. Crane, qui avaient le même emploi à Osnabruck, avaient aussi reçu en partant les mêmes ordres, et ce fut là une source des chicanes et des contestations presque puériles qui retardèrent, dans ces deux endroits, le commencement de la négociation.

Ce ne fut que huit mois après l'ouverture du congrès que l'empereur envoya à Osnabruck son premier plénipotentiaire le comte de Trauttmansdorff. L'arrivée de ce ministre, attendu depuis si longtemps, fut un événement pour l'Europe, car elle ranima les espérances de la paix, jusque-là si incertaines. C'est un homme, disait une lettre écrite de Munster, qui est très-grand très-laid, un nez retroussé, les yeux enfoncés, et paraît extrêmement sévère, avec une méchante perruque sur les yeux. Mais ce portrait, esquissé d'un crayon moqueur, était effacé dans la personne de ce ministre par toutes les qualités d'un esprit ferme, solide et judicieux, et par un caractère plein de douceur et de franchise, de droiture et d'équité. A son mérite personnel il joignait plusieurs titres considérables qui le plaçaient hors ligne, et ce qui contribuait encore à le distinguer, c'était la confiance et la faveur de son maître, qu'il pos

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