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suivre un ambassadeur pour atteindre au but. Cependant il existe, à cet égard, des règles qui ont été tracées, dès longtemps, par un ministre célèbre; les voici textuellement rapportées d'après un curieux manuscrit qui a pour titre :

INSTRUCTION GÉNÉRALLE AUX AMBASSADEURS, TRAICTANT DE TOUT CE QUI SE DOIBT PAR EUX OBSERVER ET NÉGOCIER, ET DES CIRCONSTANCES LES PLUS NOTTABLES QUI DÉPENDENT DE CETTE CHARGE.

« Un ministre ou ambassadeur qui veut dignement s'acquicter de sa charge et conserver honnorablement la réputation d'un prince qui le dépesche vers ceux esquels il est envoyé, doibt en premier lieu se monstrer grand observateur de sa religion, de la justice et du bien public; estre grave et modeste en ses actions et touttefois aimable et famillier non seullement aux grands, mais encore à ceux qui ont quelque accez ou entrée avec luy, s'accomodant dextrement aux coustumes des lieux où il est, louant et magniffiant à propos et à temps leurs personnes, leurs puissances, leurs païs, leurs loix, leurs actes généreux et ceux de leurs devanciers et bref touttes leurs actions, avec un artifice qui ne sente pourtant son adulation et flatterie.

<< Est important qu'à son arrivée il donne une bonne impression du prince qui l'envoyé et que sa première audience fasse aprouver aux plus entendus l'eslection qu'on a faict de son jugement et que sa libéralité est plus tost supperflue que reserrée afin de faire priser à tous la magnifficence du maistre par la despense du servitteur, méditant particulièrement l'un et l'autre des deux deffaulx du sieur de Lancôme qui cuida ruiner les affaires du roy très chrestien aux païs du Levant. «Il se doibt conserver tant qu'il pourra sans soupçon

vers ceux qu'il prattique et ne poinct perdre d'occasion de leur faire entendre les bons offices qu'il leur procure, excusant les choses passées si quelqu'unes leur a depleu, sans les attribuer à son maistre.

« Si l'affaire qu'il négocie est trop difficile, il ne la doibt poinct poursuivre ny opiniastrer quand bien le droict seroit tant pour luy que pour eux; mais avec industrie doibt aprouver quelqu'unes de leurs contradictions ou raisons, et par ce moien tascher d'obtenir son dessein lorsque le temps produira quelqu'occasion ou que l'authorité du prince duquel il est envoyé leur sera nécessaire et utile.

«< Et quand il luy conviendra faire ou dire quelque chose contre leur opinion, il la doibt excuser et palier de telle sorte qu'elle ne semble poinct venir de son invention, mais du conseil de son maistre qu'il ne doibt pas volontiers exécuter s'il void ne leur estre poinct agréable, la justiffiant néantmoins au mieux qu'il se pourra en leur donnant espérance de si bien disposer les affaires par son ministère envers son maistre qu'ils en recevront toutte sattisfaction et faire en sorte qu'il ne leur en demeure aucun soupçon; et s'il luy arrive quelqu'affaire importante, il doibt diligemment en procurer les dépesches; que s'il s'agist que d'une simple promesse, il fera qu'elle soit gracieusement escouttée faisant au surplus tout son possible pour avoir des advis de tous les costez et n'en communiquer avec les personnes qu'il traicte sinon de ce qu'il jugera leur plaire et rendre contents, les instruisants et conseillants suivant les occurences d'iceux afin que sa bonne volonté soit non-seulement recognue, mais aussy sa prudence et sa dextérité et ses entremises luy servant le plus souvent d'accez avec ceux dont il pourra tirer quelque particuliarité qui luy soit utile et de laquelle il se puisse servir.

<<< Ne se doibt que fort peu descouvrir aux ministres des autres princes, mais tâcher d'arracher plustost quelque chose d'eux pour en donner le premier advis sans touttefois leur monstrer de la deffiance ny triste visage pour aucunes mauvaises nouvelles, et s'il s'offre lieu d'obliger ou eux ou leur maistre en ce qui ne peut préjudicier au sien, y aporter une promptitude qui tesmoigne la volonté qu'il a de leur sattisfaire.

<< Doibt estre diligent de sçavoir les particuliaritez de la cour où il réside et quels y sont plus eslevez en authorité, quels mediocres et quels moindres et en quoy leur grandeur conciste, si c'est en réputation, en amour ou bienfaicts, afin de traicter et sans faire en un chacun suivant leurs grades et qualitez, taschant de gagner par amis les domestiques de ceux qui sont les plus favoris, en prisant les biens, l'esprit et la fortune du prince ou seigneur auprès duquel ils sont, et cela se doibt faire si acortement et si dextrement, qu'il ne s'y puisse recognoistre et descouvrir de malice et de finesse.

« L'ambassadeur ne doibt permettre ne tollerer sans s'en esmouvoir, qu'on taxe ou qu'on offence l'honneur de son prince sur quelque subject que ce soit, se mirant à l'exemple de M. Dacqs, ambassadeur de France à Constantinople, qui contraignist son truchement avec un poignard de démentir le premier visir en pleine audience, parlant autrement du roy son maistre qu'il ne falloit; et sur toutes choses sans exception ni considération de quoy que ce fust ou que ce soist, ne doibt pas plus craindre la mort que le mespris de l'honneur de son maistre et le ravalement de son authorité, et particulièrement en la présence d'un autre prince, imittant en cela le sieur de *** à la procession de la Feste-Dieu à Rome, lorsqu'il fist cedder la place à son compétiteur espagnol, et le sicur

de Saint-Gonard, marquis de Pizany à la canonisation de saint Diego d'Alcala de Henarez en la mesme cour, comm'aussy le sieur Perny à la circoncision du fils d'Amurath à Constantinople, se gardant du tout d'estre taxé de mensonge et principalement aux choses importantes, car c'est un vray moien de perdre son crédit. «Se doibt bien donner garde de n'asseurer jamais les choses doutteuses pour vérittable ny assoir trop de fondement aux propos d'autruy, mais aléguer toujours tesmoings ou bien ouï dire, mesmes pour ce qui est des choses qu'on traicte pour sa république ou pour son roy, j'entends où l'on void quelque incertitude ou qu'on le prévoit par quelque changement, et en doibt parler avec artifice, tant que ceux avec lesquels il traicte ne puissent poinct se dire trompez, quand mesme les affaires succedderoient tout au rebours, scachant en tout événement bien et dignement excuser son maistre et si bien se justiffier qu'on ne le puisse accuser de mauvais offices ou de fausseté.

<< Il doibt tenir pour une maxime générale de n'espérer ny desespérer des lieux où l'on négocie, car aisément les intentions et les choses changent suivant les succez et le temps.

« Quant à la forme que doibt tenir un ambassadeur vers son maistre pour luy estre plus utile et nécessaire, c'est qu'il ne doibt jamais escripre pour aucune expédition de touttes celles qu'il négocie sans les tesmoigner par les actes ou par les honneurs à ceux ausquels son prince ait parfaicte créance, d'autant qu'hors cette observation s'il arrivait quelque changement dans les affaires, comme il se faict le plus souvent, tel changement ou autres cas pareilz lui pourroient causer son indignation ou pour le moins le faire accuser de peu de prudence ou légèreté; partant il sera tousjours beaucoup plus loué de faire que d'es

crire, et pourra, s'il ne faict paroistre une bonne conclusion, de la faire au moins donner de l'espérance de quelque bon succez de ce qu'il négocie.

<< Illuy est aussi très nécessaire d'avoir les personnes affectionnées en la cour desdits princes et allieurs, desquels l'authorité puisse aider et favoriser la recommandation de ses services, procurant de divers endroits et par hommes hors de soupçon de faire escrire à son maistre ou à son conseil ses mérites et ses labeurs, surtout combien il est agréable à la cour où il réside, et combien en ladite cour il est en réputation d'estre aimé de son roy, aquoy sert merveilleusement qu'il tasche d'estre adverty souvent et que le nombre des despesches le tesmoignent homme de service et de qualité, usant de telle dilligence aux siennes qu'il n'y perde aucune occasion d'escrire ou les conceptions plus secrettes ou les nouvelles moins populaires (quoiqu'aucuns tiennent qu'il fault atendre les seconds avis), distinguant pourtant icelles qui sont déterminées et résolues, changeant ses advis non-seulement de ce qui s'est faict, mais aussi de ce qui se doibt faire, dont on vient aisément à bout, mesmes ez cours les plus retenues, moyenant diligence et argent, car de tenir sans plus son maistre adverty du présent ou du passé, c'est la moindre partie requise en un ministère bien entendu; auquel survenant quelques affaires pressées vers le prince qu'il négocie, sa charge ne le contrainct pas d'attendre une nouvelle instruction, mais peut de luy mesme, après en avoir donné advis, en venir à l'exécution, et selon que les affaires augmentent, ne perdant heure ny moment d'en rendre capable ceux desquels il dépend en ses desseins non-seulement ja conceuz, mais aussy du jugement qu'on faict de ceux. qui sont à concevoir, et ce avec un stil plus facile et intelligent qu'orné de phrases et périodes obscures,

« EelmineJätka »