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cachant ce qui se doibt tenir secret soubs des chiffres et caractères si peu recognus que les curieux ou malveillants y perdent leur peine et leur industrie, ne s'excusant jamais, s'il se peut, si en telles et telles affaires on n'a poinct faict encores aucune délibération. Car si bien il ne peut y avoir rien apris toutaffaict, néantmoins il peut, avec un peu de peine et de soing, faire jour aux plus obscures intentions, réveillant et méditant les propos de ceux qui conduisent et traictent les entreprises.

<«< C'est aussi le debvoir de l'ambassadeur qu'aux matières plus importantes il face et envoye le duplicata de ses dépesches, et qu'il marque les articles du duplicata en façon que ce qui s'ensuit après soit recognu pour survenu du depuis.

« Et d'autant que les maistres les plus libéraux blasment les servitteurs despenciers, tout ministre bien advisé doibt espargner autant qu'il s'en peut adviser, et garder les courses et les postes importants des pacquets les moins importants se servant des advis qui relèvent le moins des courriers d'autruy et chargeant ses extraordinaires parties de ses advis secrets en telle façon qu'on ne les puisse prendre en mensonge ny l'estimer autrement que bon messager.

« Bref, tant et tant de parties doibvent accompagner un personnage bien digne de cette vocation, qu'on ne la peut discuter ny comprendre; et surtout qu'il soit tellement discret et modéré que les médisances ne lui servent poinct de subject pour entretenir son prince, si ce n'est qu'elles servent nécessairement à la conservation de la vie, de la réputation, ou de l'Estat d'iceluy; lisant souvent les Colloques d'Erasme ou le traité de Plutarque, Du trop parler, afin d'éviter de tomber en pareille faute de celuy duquel l'imprudence fut employé en Alemagne où il ne se peut encores garder de

continuer. J'ay veu depuis ce personnage Francisco Davilla en nostre cour de France déshonorer la charge qu'il exerçoit par les indignitez qu'il escrivoit de Leurs Majestez très-chrestiennes, lesquelles j'aurois honte de réciter, bien que j'en sois particulièrement informé, tant elles ressentent l'imprudence d'un ministre passionné, et me sui meintes fois estonné du respect et de la dissimulation dont on escript, voyiant et lisant les termes diffamatoires dont il charge les advis à son maistre.

<«< Un ambassadeur envoyé doibt faire relation à son maistre de sa réception bonne ou mauvaise de celuy envers lequel il est envoyé; sa lettre doibt estre succincte et ne regarder que son office.

<< Doibt faire lettre seconde ès affaires d'importance, et les envoier par diverses voies et raporter les parolles expresses de leurs responses.

<< Doibt prendre garde au courage, action, volonté et parolle du prince avec lequel il a à négocier, et remarquer et considérer les raisons, les mouvements du corps et les tournoyements des yeux, le changement du visage, la voyx haulte ou basse, sa véhémence, s'il passe légèrement d'une affaire à une autre, s'il parle ambiguëment et avec obscurité.

<< Doibt aussy considérer la brièveté, la tardiveté, le répéter, la retenue, le tressissement de paroles et celles qui semblent estre entendues, et voir s'il y a véritté et sincérité en sa personne, donnant advis de tout ce qui luy semble.

<< La relation d'un négociateur doibt estre simple et se doibt garder d'escrire les choses douteuses pour asçurées et certaines, s'arrestant sur les conclusions générales quand il n'a poinct d'autre asseurance et qu'il doibt faire en sorte qu'il ne donne plus d'esperance de l'issue de son affaire qu'il est convenable à la prudence.

<< Il doibt être advisé qu'en choses dittes diversement d'aléguer son autheur et de sonder le jugement que l'on faict de sa négociation.

«< Aussytost qu'un ambassadeur est arrivé, il doibt escripre par tous les courriers, afin d'estre tenu pour acort et vigilant aux affaires de son maistre.

<< Il doibt tenir registre des lettres qu'il escript, lire souvent ses dépesches et recevoir souvent ses lettres.

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Après l'audience de sa négociation doit faire mémoire de toutes les choses négociées de poinct en poinct, de chefs en chefs, et tenir ses lettres prestes pour en avertir son maistre s'il n'envoye exprès un courrier.

<< Et voulant s'en retourner, doibt prendre instruction des qualitez du prince, s'il est aymé ou hay, s'il se plaist à la guerre ou à la paix, quels amis il a faict et ceux qui lui sont chers et agréables, de quels ennemis il a le plus souvent de crainte, quels sont ses desseins, les terres qu'il possedde, ce qu'il peut faire pour les mainctenir et les difficultez qu'il a de les conserver.

« Quelle différence il y a de son gouvernement à celuy de son père ou de son ayeul, s'il est meilleur ou pire, et comment il se conseille et avec qui, comme les choses de sa justice se passent, combien il est cher à ses subjectz, combien il ayme ou crainct, quell'est sa prudence, sa vigilance, sa puissance, sa dextérité et sincérité, ceux qui sont les plus favorisez et pour quelles causes ils sont plus ou moins favorisez, combien ils sont bons, justes et prudents, en quoi ils peschent et sont intolérables ou bien dignes d'honneur et de louanges.

Quels ambassadeurs ou agents résident en cette les changements qui y sont arrivez, et est convenable qu'il pratique et converse avec ses semblables.

cour,

« Un ambassadeur doibt avoir deux intentions: la première, d'exposer la volonté de son maistre, qui est la fin et la cause de sa légation, la deuxiesme, de faire paroistre la bonne volonté de celuy qui l'envoye; par le premier, il est tenu de sçavoir ses commissions; par le deuxiesme, de faire plus ou moins.

« Un ambassadeur partant pour aller vers un prince doit visiter l'ambassadeur de celuy vers lequel il s'en va et captiver ses bonnes graces pour avoir cognoissance de ses amis et parents, afin de s'en servir pour le bien de sa négociation.

<< Doibt avoir pour ami cet ambassadeur et ses parents, par le moyen desquels il pourra tirer quelques bons advis.

<< Pour ce qui est de la république de Venise l'ambassadeur qui y est envoyé doibt visitter les sénatteurs, quelques grands qu'ils soient, et s'il n'en est forcé, cette visite ne se doibt faire que deux fois l'année seulement. >>

La conclusion à tirer de cette Instruction, qui est un modèle de logique et de sagesse, c'est que la science proprement dite du négociateur est la science la plus difficile à acquérir, et que, d'ailleurs, elle exige dans la personne même de l'ambassadeur une réunion de mérites divers que le ciel n'a point prodigués. On vient de le lire, en effet, le négociateur doit avoir un extérieur prévenant, de l'urbanité dans les manières, le tact des convenances, une discrétion naturelle et point apprêtée, de la sérénité, sinon dans l'âme, du moins sur le front, et cette candeur aimable qui inspire à la fois et annonce de la confiance. Il doit être habitué aux faux jours des Cabinets, posséder au suprême degré le talent de la discussion familière, et savoir manier tous les moyens de puissance qui ont prise sur le cœur humain et sur les passions des gou

en

vernants. Tant et de si précieuses qualités sont parfois un présent du hasard, mais elles peuvent, partie, s'acquérir par l'éducation, par les voyages et par l'usage des hommes et des cours. Cependant, comme rarement elles se trouvent réunies dans une même personne, on est convenu de les faire suppléer par une fortune brillante qui donne de la grâce et de l'esprit à ceux qui ne sont pas doués à un haut degré de ces deux avantages. Le sénat de Venise était le prince qui savait le mieux tirer parti de ce prestige universel. Quand il avait un patricien trop riche, il l'envoyait poliment se ruiner dans une cour.

TRAITÉS PUBLICS EN GÉNÉRAL.

On appelle traité public des gens « un engagement solennel contracté dans des formes déterminées entre des puissances indépendantes1. »

«<> On donne quelquefois aux traités le nom de convention. Cependant ces deux expressions ne sont pas synonymes. Le mot de traité s'applique particulièrement aux engagements d'une nature plus grave et plus importante, le mot de convention à ceux qui roulent sur des objets comparativement secondaires ou sur de simples mesures d'exécution. On dit un traité de paix, un traité d'alliance, un traité de commerce, une convention postale, une convention pour l'échange des prisonniers. La question, d'ailleurs, est purement grammaticale, puisque les traités et les conventions ne sont qu'une même espèce d'actes, soumis aux

'L. DE VIEL-CASTEL, Encyclopédie du XIX siècle.

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