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toute la puissance du génie. Les Romains furent adroits, prévoyants, habiles à diviser, habiles à réunir; et, ne craignant pas pour eux-mêmes le reproche d'infidélité qu'ils adressaient à Carthage, ils ne ratifiaient que les traités favorables, ne se faisant aucun scrupule de désavouer les autres. Sous la république, la politique de Rome est envahissante; tous les moyens lui paraissent justes s'ils tendent à augmenter le pouvoir et à reculer les limites aussi nul gouvernement policé ne porta plus loin le principe de convenance. Mais, sous les empereurs, l'esprit des conquêtes commence à s'affaiblir; les guerres semblent n'avoir plus d'autre objet que d'assurer les frontières, d'entretenir la valeur guerrière, et de repousser les Parthes et les Germains. Bientôt une sorte d'indifférence destructive de l'amour de la patrie s'empare des peuples, et le cabinet impérial n'a plus sa sollicitude éveillée que sur l'esprit des légions ou les révoltes des généraux. Enfin Rome, parvenue à ne plus redouter qu'elle-même, concentra toute sa politique à l'intérieur, jusqu'à ce qu'elle tombât, au ve siècle, sous les coups des Barbares.

Depuis cette terrible invasion jusqu'à la destruction de l'empire romain en Orient, de grands événements altèrent successivement la face politique de l'Europe ou de la plupart des États qu'elle renferme. On signale d'abord la naissance des nouveaux gouvernements sortis, vers la fin du ve siècle, du bouleversement de l'empire d'Occident; puis l'origine de la puissance monarchique de France, bientôt elle-même anéantie; l'agrandissement de l'Allemagne et la réunion de la dignité impériale à la couronne germanique; du vi® au XIIe siècle, l'élévation de la puissance des papes ou leur théocratie universelle; les croisades, et le commencement de cette fermentation que produisirent les nouvelles idées de liberté; et au XIVe siècle, la décadence

du pouvoir pontifical. Les moyens politiques étaient peu compliqués; la plupart des traités étaient temporaires, dictés par les besoins du moment et sans prévoyance pour l'avenir même le plus rapproché; les trêves, suite de l'épuisement des partis, ne servaient qu'à se mettre, de part et d'autre, en état de continuer la guerre; peu de nations étant alors assez riches pour en soudoyer d'autres; on rencontre à peine quelques traités de subsides; il en est de même des ligues et des confédérations.

Mais au xv siècle, une révolution s'opère dans les mœurs, dans les institutions et dans les gouvernements; d'une part, la prise de Constantinople, en avertissant l'Europe du danger qui la menace, fait rapprocher de nouveau les États que les croisades. avaient déjà mis en rapport entre eux, et pour lesquels la féodalité était une espèce de lien commun; ce même événement fait refluer les sciences, les lettres et les arts vers l'Italie; la découverte de l'Amérique, le nouveau passage aux Indes orientales, la boussole perfectionnée, l'invention de l'imprimerie, l'application de la poudre à canon à l'art de la guerre, donnent une direction nouvelle à tous les esprits; d'autre part, les princes trouvent le moyen de diminuer le pouvoir des grands feudataires et des nobles; l'abaissement de ces vassaux mine peu à peu le système féodal et permet de remplacer cette institution dégénérée par des institutions plus conformes au but des sociétés. Plusieurs États auxquels le régime féodal n'avait pas permis de développer leurs forces, débarrassés de cette entrave, devinrent forts et puissants. Dès ce moment, les souverains étant parvenus à concentrer le pouvoir, voulurent lui imprimer une marche légale et ferme. Les ressorts, qui se trouvaient placés dans la main des gouvernements, étaient assez actifs pour assurer la

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tranquillité des peuples, mais il était possible de les détourner de leur destination. La guerre pouvait naître d'un instant à l'autre du sein même des institutions qui ne devaient tendre qu'au maintien de la paix. Les peuples, craignant alors que des ambitieux ne formassent des projets d'agrandissement et de conquêtes, recoururent à cette politique qu'avaient imaginée jadis les républiques italiennes, et dont Florence fut la modératrice; ils comprirent qu'il n'y avait de salut pour leur existence que dans un ordre de choses où les forces des États, exerçant les unes sur les autres une action et une réaction réciproques, se continssent mutuellement dans les limites du droit, et que la sûreté générale ne pouvait naître que de l'équilibre des moyens d'attaque et des moyens de défense. Cette politique nouvelle, qui exigeait de fréquentes communications entre les parties intéressées, donna lieu à ces ambassades, à ces négociations multipliées qui caractérisent les trois derniers siècles.

En résumé, trois événements de premier ordre ont changé la face de la société en Europe: l'abolition du servage, commencée au x11° siècle, et qui affranchit l'humanité; la réforme religieuse, commencée au xv, et qui proclama la liberté des consciences; et la réforme politique, commencée au xvi1o, et qui émaacipa les nations. Ces événements ont dû leurs manifestations, d'abord aux conquêtes des chrétiens en Asie sur les mahométans, ou aux croisades; ensuite, aux conquêtes des mahométans en Europe, sur les chrétiens, ou à la prise de Constantinople, qui fit refluer les arts de la Grèce en Italie; enfin, à la découverte de l'Amérique, qui répandit la richesse dans toute l'Europe, et à celle de l'imprimerie, qui, de toutes parts, a fait jaillir la lumière. L'impulsion donnée au monde depuis cette époque ne s'est pas ralentie, et

c'est à cette impulsion que l'Europe doit ses arts, son industrie et ses mœurs. Ainsi, l'Europe a été successivement barbare et civilisée, puis replongée dans la barbarie, d'où elle est enfin sortie, sans avoir à craindre d'y retourner jamais, tant que l'art de Guttenberg subsistera dans son sein. Mais elle a fait encore peu de progrès dans l'art social; et si la plupart des autres arts de la Grèce et de Rome ont reparu dans tout leur éclat, la science la plus importante, celle qu'Aristote appelait la maîtresse science, en est encore à ses premiers pas, ou plutôt elle entre dans une phase nouvelle, l'ère des Constitutions au Nord, au Sud, les phénomènes en apparaissent; mais partout aussi, à Berlin, à Munich, à Rome, à Turin, à Florence, les gouvernements qui suivent les conseils inspirés de Dieu, les princes vraiment habiles, acceptent le progrès du temps, devancent, avec cette sage mesure que commande la raison d'État, les vœux justes de leurs peuples, et savent ainsi leur imprimer une direction salutaire. C'est qu'en effet les symptômes de transformation sociale abondent, et, comme on l'a dit au sujet des œuvres d'un grand ministre qui a voué sa vie au triomphe des idées auxquelles est attaché l'avenir de la civilisation en Europe, c'est que le caractère et les conditions, le but et les ressorts du gouvernement sont changés; il ne s'agit pas seulement aujourd'hui de gouverner le monde, il s'agit de le refaire; il ne s'agit pas seulement de rétablir l'ordre matériel, mais encore l'ordre moral; il ne s'agit pas seulement de satisfaire les intérêts, mais encore les principes; il ne s'agit pas seulement de diriger les passions et les volontés, mais encore les idées et les esprits. Le gouvernement n'appartient donc plus à la force, à la ruse, à la routine; il appartient à la raison, à l'esprit, à la science, à la pensée.

PREMIÈRE PÉRIODE

(POLITIQUE ET RELIGIEUSE)
1492-1618.

Cette période vit éclater presque à son début la Réformation, qui lui imprima un caractère particulier; les intérêts religieux se mêlèrent à la politique des princes, et cette alliance détermina la direction de l'esprit du siècle. Le fait dominant de cette période, c'est que l'Espagne s'élève au premier rang. Cette puissance, devenue le centre de tous les mouvements politiques, pèse sur l'Europe, et la menace. Mais sa grandeur même lui devient funeste, et ses excès l'affaiblissent. La force croissante de la France lui impose. Charles-Quint avait créé la puissance de l'Espagne, Philippe II la soutient, puis en abuse, et elle se perd sous le règne de ses successeurs.

On peut distinguer quatre époques dans cette première partie :

PREMIÈRE ÉPOQUE.

1492-1515.- Charles VIII, qui nourrit un projet de conquêtes gigantesque, qui veut chasser les Turcs d'Europe, prendre Constantinople et rétablir l'empire grec dans tout son éclat, croit arriver plus facilement à l'exécution de son dessein en s'emparant du royaume de Naples, sur lequel la France a des droits réels à faire valoir, et que Louis XI avait reçus de Charles du Maine, dernier héritier de la maison d'Anjou. Charles, aussi téméraire que son père était prudent et avisé, entreprend donc les guerres d'Italie, que Louis XII poursuivra, mais qui, mal dirigées sous l'un et l'autre règne, hâtent l'élévation et augmentent la puissance de l'Espagne.

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