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Ainsi l'on prépare tous les matériaux destinés à reconstruire l'édifice détruit du système politique de l'Europe, et le congrès de Vienne (1er novembre 1814) réglera les immenses intérêts qui vont être débattus. Les difficultés sont nombreuses, et plusieurs trèsgraves; la Pologne et la Saxe pourraient amener la rupture des conférences; mais la conclusion est soudainement forcée par le retour de Napoléon en France. Les princes et les peuples apprennent alors ce que c'est que la loi de nécessité; l'alliance de Chaumont est confirmée par l'alliance de Vienne (25 mars 1815); toutes les puissances de l'Europe sont invitées à y accéder, et les contingents s'élèvent à plus d'un million de soldats. Napoléon n'est pas ébranlé de ces apprêts formidables; il attaque avec intrépidité, mais la journée glorieuse de Waterloo voit briller le dernier éclat du météore, et quem cursum dederat Fortuna peregit.

De nouvelles uégociations sont entamées avec le gouvernement royal, dont la réintégration suivit le triomphe des alliés, et le second traité de Paris est conclu le 20 novembre 1815.

On conçoit que pendant les premières années de cette période, la diplomatie dut se ressentir de l'état de perturbation où se trouvait le monde politique; plus tard, la main puissante qui se saisit de l'épée n'admit point de résistance: tout l'art des négociations consistait alors à ajuster des conditions réciproques sur le tracé d'une volonté unilatérale; toutefois, il convient de dire que les formes n'en étaient pas moins observées, et les ordres impériaux n'arrivaient du moins que sous l'aspect d'offices polis; c'était déjà une sauvegarde précieuse que les chancelleries demeurassent confiées à des ministres comprenant la dignité des

couronnes. Enfin, lorsque fut arrivé le terme de la lutte guerrière, au congrès de Vienne, l'influence que peuvent exercer sur les transactions politiques les formes de la vie sociale, se manifesta par les plus heureux effets; on n'entendit plus parler de ces disputes d'étiquette, de préséances qui, cent ans auparavant, avaient si longtemps retardé le traité d'Utrecht, et les rapports personnels furent mieux fixés par l'adoption d'un règlement sur le rang des agents diplomatiques.

Quant aux hommes d'État qui, durant cette période et dans les divers pays, se sont illustrés, nous devrons ailleurs citer leurs noms, inséparables désormais du faisceau de la gloire nationale; nous présenterons surtout cette brillante élite de la diplomatie, réunie au congrès de Vienne, sous la présidence du prince de Metternich, que ses hautes lumières et sa rare habileté rendaient digne d'une telle position; mais ici, nous bornant à signaler les principales notabilités diplomatiques du pays où nous écrivons, nous devons inscrire les noms de Barthélemy, de Talleyrand, Laforest, Otto, Caulaincourt, Champagny, Bassano, Bignon, Richelieu, Rayneval, La Ferronnays.

CINQUIÈME PÉRIODE

(POLITIQUE CONSERVATRICE)

CONGRÈS DE VIENNE

1815-1847.

L'Europe sortait d'une de ces longues tourmentes qui, à des siècles d'intervalle, changent la face du monde; en tous sens elle avait été sillonnée par le char révolutionnaire; des monarchies entières, les plus anciennes républiques avaient disparu; des royaumes avaient été créés; quelques-uns des États qui avaient survécu au désastre, privés de la meil

leure partie de leurs ressources, n'étaient plus assez forts pour maintenir entre eux un juste équilibre de puissance; la constitution germanique elle-même, l'ouvrage des siècles, n'avait pu résister au torrent. Puis enfin, la France qui, par une suite de victoires tenant du prodige, était devenue dominatrice avouée du continent, avait vu tous les peuples se soulever contre elle, et le grand empire s'était écroulé. Le moment était donc venu de réparer les désordres de vingt années de violences, en assurant l'indépendance des nations, de ramener le règne de la justice, en réintégrant tous les légitimes possesseurs, et de rétablir entre les puissances un équilibre durable, en donnant des formes nouvelles au système des États européens instauratio facienda ab imis fundamentis. Telle fut proclamée en effet la mission de cette illustre assemblée de rois et de ministres, convoquée à Vienne, et qui, pour la première fois, montrait la chrétienté tout entière appelée à former un congrès.

Jamais, depuis que les nations ont établi l'usage de ces conciles politiques, l'histoire n'avait offert l'exemple d'une réunion de négociateurs chargés de régler de si grands intérêts; jamais non plus il ne s'était trouvé un pareil concours; c'était les hommes les plus éminents de l'Europe, les plus sages conseillers des rois, l'élite de ces diplomates qui avaient si souvent participé à la distribution des États.

Quelque favorables que fussent les conjonctures, les hommes d'État expérimentés prévoyaient les obstacles qui s'opposeraient à ce que l'édifice nouveau reposât sur des bases entièrement libérales. Cependant jamais il ne fut mieux démontré que les puissances, même les plus grandes de la terre, sont soumises à l'influence de l'esprit de leur siècle. Ici les gouvernements ont reconnu comme principes fondamentaux :

qu'une indispensable nécessité peut seule justifier les princes et les peuples de faire la guerre; que les États doivent réciproquement respecter leur indépendance; que les formes de gouvernement ont besoin d'être réglées par des lois précises; que les souverains doivent concéder à leurs peuples le droit de participer à la législation; que l'esclavage et la servitude sont des maux qu'il faut détruire; que la manifestation de la pensée par des écrits et par la voie de la presse doit être libre; enfin et avant tout, qu'il doit y avoir un lien commun et indissoluble entre la religion, la politique et la morale. Voilà sous quelles inspirations généreuses s'est opérée la rénovation du système politique de l'Europe.

Les huit parties contractantes au traité de Paris avaient pour plénipotentiaires au congrès, savoir : L'Autriche, le prince de Metternich et le baron de Wessenberg; l'Espagne, le chevalier de Labrador; la France, le prince de Talleyrand, le duc de Dalberg, le comte de La Tour du Pin et le comte A. de Noailles; la Grande-Bretagne, lord Castlereagh, le duc de Wellington, le comte Clancarty, le comte Cathcart, lord Stewart; le Portugal, le comte de Palmella, M. de Saldanha de Gama et le comte de Lobo; la Prusse, le prince de Hardenberg et le baron Guillaume de Humboldt; la Russie, le comte de Nesselrode, le prince Rasoumofski et le comte de Stackelberg; la Suède, le comte de Lowenhielm. Parmi les autres ministres, on remarquait pour la Bavière, le prince de Wrede et le comte de Rechberg; pour le Danemark, le comte de Bernstorff; pour la Sicile, le duc de Serra-Capriola; pour la Sardaigne, le marquis de Saint-Marsan; pour Gênes, le marquis de Brignole-Sale; pour les Pays-Bas et Nassau, le baron de Gagern et le baron de Marschall; pour le Hanovre, le comte de Münster, etc.; et enfin Gentz, l'organe le plus distingué de cette école élégante

du noble langage diplomatique, créée par M. de Melternich, était chargé des rédactions importantes.

Les réunions se tenaient à l'hôtel de la chancellerie d'État, et le secret le plus absolu enveloppait les délibérations.

Le traité de Paris avait posé les bases sur lesquelles la pacification finale de l'Europe devait être réalisée, et avait déterminé que, dans le délai de deux mois, toutes les puissances qui avaient été engagées dans la dernière guerre enverraient des plénipotentiaires à Vienne pour régler les arrangements qui devaient compléter les dispositions arrêtées. Mais dès le mois de juin, lors du voyage que firent à Londres l'empereur de Russie et le roi de Prusse avec leurs ministres, ainsi que le chef du cabinet de Vienne, un profond dissentiment sur des questions de premier ordre s'était déjà manifesté, et l'on convint d'ajourner l'ouverture du congrès au 1er octobre. A cette époque, une nouvelle prorogation jusqu'au 1er novembre fut annoncée par une déclaration qui donnait à connaître que l'on avait jugé nécessaire, afin de fixer les idées, de concilier les opinions et d'amener à maturité les questions qui étaient à résoudre, d'établir d'abord des communications libres et confidentielles entre les plénipotentiaires de toutes les puissances.

Dès le 25 septembre, l'empereur de Russie et le roi de Prusse avaient fait leur entrée solennelle à Vienne, où se trouvèrent bientôt réunis les rois de Bavière, de Danemark, de Wurtemberg et la plupart des souverains d'Allemagne. Ils avaient été précédés de leurs ministres, des plénipotentiaires de toutes les puissances, et d'un grand nombre de députés, de personnes de toutes les classes qui venaient invoquer la justice de l'auguste tribunal'.

La réunion des princes, ministres, députés, secrétaires, sans

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