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Nous arrivons enfin au grand épisode : un événement inouï va remettre en question l'œuvre entière de la pacification si laborieusement conduite jusqu'alors. Nous avons vu que c'était au milieu des difficultés que rencontrait l'organisation politique de l'Allemagne, qu'était venue fondre la nouvelle du départ de Napoléon de l'île d'Elbe. Cet avis était parvenu rapidement à lord Stewart par une dépêche de l'ambassadeur d'Angleterre à Florence, instruit qu'il était lui-même par le consul anglais à Livourne. Cette nouvelle fut aussitôt communiquée au prince de Metternich, aux souverains et aux ministres des grandes cours; mais on s'efforça de la tenir secrète afin de parer aux plus pressantes exigences de la situation; ce ne fut en effet, par la ville, qu'une sourde rumeur qui ne suspendit point le mouvement ordinaire des affaires et des plaisirs. On ignorait la route qu'avait prise Napoléon, et pendant cinq jours on resta sans aucune autre information. Mais le soir du cinquième jour, on était au bal chez le prince de Metternich, lorsque tout à coup, et par une sorte de commotion électrique, ces mots : <«< il est en France ! » furent jetés au milieu de l'assemblée. Alors on vit l'empereur Alexandre s'avancer vers M. de Talleyrand, laissant entendre ces paroles : << Je vous avais bien dit que cela ne durerait pas ; >> et l'ambassadeur, grave, impassible, de s'incliner en silence. A partir de ce moment, il faut renoncer à peindre la confusion où fut plongé le congrès, et l'effroi général que répandit dans la capitale de l'Autriche <«<l'audacieuse entreprise du maître et du prisonnier de l'Europe. >>

Napoléon avait espéré que lorsque son nom tonnerait à Vienne le congrès serait dissout, et avec le congrès l'alliance. Mais on a pu le dire avec vérité, dans cette conjoncture, la Pologne a sauvé l'Europe. On se rappelle,

en effet, quelle était l'attitude des puissances lors des débats de la question polonaise; on sait que toutes se préparaient à la guerre, et qu'au lieu d'avoir été licenciées, les phalanges de 1814 avaient été retenues sous les armes; elles se trouvèrent donc prêtes pour aller de nouveau combattre Napoléon, par l'effet de ces dissensions mêmes dont il s'était flatté de profiter.

Toutefois, ce ne fut pas sans de prodigieux efforts que l'on parvint à renouer le faisceau qu'avait si complétement désuni le traité secret du 5 janvier, et à diriger toutes les volontés contre un ennemi exclusif, c'est-à-dire Napoléon, séparé de la France; lorsqu'on apprit qu'il avait ressaisi le sceptre sans coup férir, et que pas un défenseur ne s'était levé pour les Bourbons, l'empereur Alexandre lui-même avait été ébranlé dans sa résolution, et il s'était écrié : <«< Non, non, jamais je ne tirerai l'épée pour eux. » Aussi, on déclara bientôt, sur la proposition de l'Angleterre, que les alliés s'engageaient, d'après le principe d'une sûreté mutuelle, à un effort commun contre le pouvoir de Napoléon, mais non pas dans la vue d'imposer à la France un gouvernement quel

conque.

Cependant, au 13 mars, le congrès a prononcé : une déclaration solennelle met Napoléon hors la loi des nations; et le 25, par des traités nouveaux, auxquels accèdent toutes les puissances, la quadruple alliance de Chaumont est confirmée. L'Europe apprend ainsi qu'une masse de forces de plus d'un million de combattants s'apprête à envahir la France.....

Telle fut la dernière délibération du congrès touchant les affaires européennes : arrêt suprême et terrible, puisque devaient bientôt suivre et les funérailles de Waterloo et les dures conditions des traités de

Quant aux autres travaux qui, à ce moment, n'étaient point encore achevés, quant aux négociations secondaires que nous avons sommairement caractérisées dans le cours de cet aperçu, on se hâta de les amener à conclusion, et le 5 juin, jour de la clôture, on signait l'acte général du congrès qui comprend, en cent vingt-un articles, outre dix-sept traités ou règlements annexés comme parties intégrantes, les dispositions fondamentales arrêtées dans les protocoles des conférences entre les puissances, et qui résumait, dans une transaction commune, tous les éléments constitutifs de la nouvelle organisation de l'Eu

rope.

Du milieu de cette vaste réparation, il s'est formé une aristocratie avouée des grandes puissances; née des circonstances, elle fut diplomatiquement fondée par la quadruple alliance de Chaumont, consolidée par la forme même des négociations de Vienne; elle s'était complétée, par l'accession de la France, au congrès d'Aix-la-Chapelle (1818).

On se proposait ainsi d'établir un concert des grandes puissances, qui rendrait les questions européennes. Cette pensée, qui servit à l'aplanissement de toutes les difficultés qui surgirent, était formulée par l'établissement de conférences entre les ambassadeurs.

Mais une plus haute sanction devait être donnée à la politique; c'est celle de la religion. La sainte-alliance, formée à Paris (septembre 1815) par la Russie, l'Autriche et la Prusse, et fortifiée ensuite par l'accession des autres puissances, excepté l'Angleterre, quant à la forme seulement, n'était, suivant l'expression de Bossuet, que la morale chrétienne appliquée au gouvernement des hommes, et à la politique à observer entre les souverains. Et en effet, les alliés, en fon

dant sur ce traité célèbre le nouveau système de stabilité, proclamaient leur détermination inébranlable de ne prendre pour règle de leur conduite, soit dans l'administration de leurs États respectifs, soit dans leurs relations politiques avec tout autre gouvernement, que le principe puisé dans la parole et la doctrine de notre sauveur Jésus-Christ, qui a enseigné aux hommes qu'ils devaient vivre comme frères, non dans des dispositions d'inimitié et de vengeance, mais dans un esprit de paix et de charité.

De 1845 à 1818, on n'aperçoit en Europe que les bienfaits de la pacification. Les États s'affermissent et relèvent leur commerce; mais, en même temps, on observe une tendance générale à l'établissement du système représentatif fondé sur des constitutions écrites. L'opinion s'était si hautement prononcée, sur l'exemple de l'Angleterre, pour la monarchie constitutionnelle, que cette forme de gouvernement devint prédominante, et imprima au système politique un caractère particulier qui le consolidait, parce qu'il remplaçait la turbulence du régime électif par la constance uniforme de la légitimité.

A dater de la fin de 1818, la diplomatie de la haute cour européenne prend une direction nouvelle, et entre en lutte, non-seulement avec les mouvements des peuples, mais aussi avec les princes du second rang qui favorisent l'élan vers l'ordre constitutionnel.

Cette époque remarquable, riche de conférences, de négociations, de congrès, nous montre la sainte-alliance, dont le sceptre a passé des mains de l'empereur Alexandre, son magnanime fondateur, à celles de l'Autriche, toujours occupée à Carlsbad, à Francfort, à Vienne, à Troppau, à Laybach et à Vérone, de poser pour premier principe le maintien de ce qui existe, et

de prendre toutes les mesures pour le rétablissement de ce qui venait d'être détruit.

Cependant, à Troppau, il n'y a plus unité de foi parmi les grands cabinets, et l'Angleterre conteste les *maximes émises par le congrès.

Puis, vers 1824, la sainte-alliance s'affaiblit, et, trois ans plus tard, un rapprochement intime s'opère entre la France, l'Angleterre et la Russie. La principale direction de la politique extérieure des grandes puissances consiste alors, pour la France, dans l'alliance russe; pour la Grande-Bretagne, dans l'alliance autrichienne et dans la défiance à l'égard de la Russie; pour l'Autriche, dans l'influence qu'elle exerce sur la Russie et sur la Prusse, et pour la Prusse enfin, dans une attitude respectable entre l'Autriche et la Russie.

C'est alors qu'éclate la révolution de 1830, qui change complétement le système général des alliances. Mais avant d'exposer les modifications qu'il subit, il convient d'abord de rappeler la situation.

Un parjure, la violation d'une parole de roi, brise le pacte qui unissait la France à la branche aînée de la maison de Bourbon. Les conseils de la nation déclarent le trône vacant, en fait et en droit, et viennent offrir la couronne au duc d'Orléans, qui est aussitôt proclamé roi des Français.

L'Angleterre, sous l'influence des whigs, bien que les tories fussent alors au pouvoir, est la première qui reconnaît le nouvel établissement royal. « Elle salua, courrier par courrier, la pensée de 1688 » sur laquelle déjà, trente ans auparavant, elle avait été pressentie par M. de Talleyrand, à Londres même, lors de l'ambassade de Chauvelin, proposition qu'il avait renouvelée en 1815, au congrès de Vienne, au moment du retour de Napoléon, en la présentant comme une éven

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