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tualité qui, tôt ou tard, deviendrait l'inévitable refuge de la France.

La Prusse, l'Autriche et la Russie elle-même, malgré sa vive antipathie pour la révolution de Juillet, reconnaissent le gouvernement de Louis-Philippe, et bientôt le choix de la France se trouve sanctionné par les reconnaissances diplomatiques de toutes les autres puissances de l'Europe.

Tout le monde avait compris, en effet, qu'il s'agissait ici de la grande question de la paix ou de la guerre, de l'ordre ou du désordre, et que, s'il y avait une chance pour le salut de l'Europe, elle reposait uniquement sur la consolidation du régime monarchique en France; tâche immense à laquelle se dévouait un prince éminemment supérieur, et seul capable d'opposer une digue au torrent révolutionnaire1.

Louis-Philippe, pour premier gage, enverra, comme ambassadeur à Londres, le prince de Talleyrand, qui avait attaché son nom aux traités de 1814 et de 1815, et confiera le portefeuille des affaires étrangères au comte Molé, cet ancien ami du duc de Richelieu, dont la parole valait un traité, et lui-même homme si généralement estimé, et dont la probité et les principes inspiraient tant de confiance.

Dès son entrée aux affaires, M. Molé proclame le principe de non-intervention, et déclare que si la Prusse intervenait à main armée contre la révolution belge, la France et son armée tout entière se précipiteraient sur la Belgique.

De son côté, M. de Talleyrand, en arrivant à Lon

Tel était le sens, a-t-on assuré, des premières dépêches des ambassadeurs, le comte Appony, le comte Pozzo di Borgo, sir Ch. Stuart, le baron de Werther, etc. On sait d'ailleurs quelle fut, à cette époque, l'attitude admirable de tout le corps diplomatique.

dres, provoque la réorganisation de la Conférence de Londres, jusque-là formée seulement des plénipotentiaires anglais, français et russe, et exclusivement occupée des affaires de la Grèce; propose d'y adjoindre les plénipotentiaires d'Autriche et de Prusse, et présente ainsi un moyen, non-seulement de décider la question belge, mais encore de résoudre, par la voie des négociations, toutes les difficultés qui ne pouvaient manquer de surgir'.

Louis-Philippe s'empressait donc de rassurer l'Europe sur son dessein fermement arrêté de maintenir intacts les traités existants, et d'accomplir avec loyauté les engagements antérieurs de la France.

Cependant, à deux reprises assez éloignées l'une de l'autre, à deux moments bien distincts, le parti du mouvement voulut entraîner le gouvernement à soutenir partout la tendance que montraient les peuples à conquérir l'indépendance. S'engager dans cette voie, la plus dangereuse des témérités, c'était reprendre la lutte avec l'Europe entière, appeler l'invasion, ruiner les finances, arrêter l'essor du commerce et de l'industrie; c'était, en un mot, provoquer l'anarchie, la guerre, le bouleversement de l'état social.

Mais Louis-Philippe, soutenu par le véritable esprit public, par l'assentiment unanime des classes éclairées, entouré des hommes de gouvernement qui se trouvaient à la tête des grands corps de l'État, et qui lui en exprimaient les vœux, secondé par les hommes éminents qu'il appela successivement à son conseil, par ces ministres dont les lumières et le courage

'La conférence se trouvait ainsi composée : lord Palmerston, prince d'Esterhazy, prince de Talleyrand, baron de Bulow, prince de Lieven.

* M. Pasquier, président de la chambre des Pairs, M. Casimir Périer d'abord, et ensuite M. Dupin aîné, présidents de la chambre des députés, M. Portalis, premier président de la cour suprême, etc.

étaient à la hauteur des événements, Casimir Périer, qui succombe victime de son patriotisme, Molé, Broglie, Guizot, Montalivet, Thiers, Louis, Humann, Duchâtel, Sébastiani, Gérard, Soult, etc., Louis-Philippe, disons-nous, s'appliquant à réprimer tout esprit de propagande, réussit à contenir un élan qui était plus généreux que réfléchi, et parvint enfin à faire triompher son système de résistance.

Dans le même temps, il se manifestait sous les auspices de M. de Talleyrand, et par l'organe de MM. de Sainte-Aulaire, de Barante, d'Harcourt, de Rayneval, de Rumigny, Maison, de Flahaut, Bresson, etc., une école de diplomatie, qui sans rechercher auprès des diverses cours une sympathie impossible à obtenir et dangereuse à rechercher, mais espérant une impartialité favorable, s'imposait le devoir de prouver à l'Europe que la France avait pu faire une révolution sans être une perpétuelle menace pour les autres États, et s'appliquait à démontrer « que la clef de la paix européenne est à Paris, »

C'est en suivant cette ligne de conciliation, de prudence et de modération que Louis-Philippe fit accepter au dehors la révolution de Juillet, et qu'il réussit à en amortir le contre-coup qui s'était fait sentir dans toute l'Europe, en Belgique, en Pologne, en Italie et en Allemagne.

Les puissances étrangères, en effet, avaient pris confiance dans le système de la couronne, et elles ne cherchèrent plus à entraver le développement politique des droits et des forces de la France.

Ainsi, Louis-Philippe avait refusé le trône de Belgique pour son fils le duc de Nemours, mais, à l'attaque inattendue du roi des Pays-Bas, il pourra secourir ce royaume nouveau, qui s'est donné pour roi lę prince Léopold de Saxe-Cobourg.

L'expédition d'Ancône, qui aura pour but d'empêcher en Italie l'invasion autrichienne, toujours menaçante, recevra son exécution, sans que ce hardi coup de main soit envisagé comme un acte d'intervention. D'accord avec l'Angleterre, la France, par la quadruple alliance, exercera librement son influence organisatrice, et favorisera la régénération de l'Espagne et du Portugal.

Enfin l'honneur du pavillon sera vigoureusement soutenu à Lisbonne, à Haïti, au Mexique, à BuenosAires, et désormais le royaume de l'Algérie, conquête glorieuse des soldats de la France, ne sera pas pour elle seulement un trophée, c'est un fleuron de plus à la couronne.

Mais tous ces résultats d'une haute sagesse, d'une politique habile, avaient été rendus plus faciles parce que l'Angleterre avait ouvertement accepté l'alliance de la France, et qu'entre ces deux pays, dès le commencement du nouveau règne, il s'était établi des rapports de gouvernement à gouvernement, de famille royale à famille royale, qui chaque jour étaient devenus de plus en plus intimes.

C'était, en effet, sur une étroite union avec l'Angleterre que reposait le système politique de la France, et telles étaient même les démonstrations de cette intimité, que l'on a vu le premier ministre de la GrandeBretagne1 venir, en plein Parlement, proclamer que si Louis-Philippe exerce une si haute influence sur les destinées de. son pays « c'est moins parce qu'il en est le monarque et qu'il a les attributs de la royauté, que parce que, grâce à la réunion d'un si grand cœur, d'une si grande énergie, d'une si grande expérience, d'une si grande sagesse, il sera placé

1 Sir Robert Peel, chambre des Communes, séance du 22 mars 1839.

dans l'estime de la postérité en France, au-dessous seulement du grand Napoléon. »

Cependant peu de mois s'écouleront, après cette mémorable séance, et l'entente cordiale, qui durait depuis dix ans, recevra une profonde atteinte, à l'occasion de la question d'Orient.

C'est ce qu'il s'agit d'expliquer, en remontant au principe et en suivant la filiation des alliances.

Aussi longtemps que les entreprises de l'esprit révolutionnaire avaient tenu les cabinets en éveil, la Russie et l'Autriche étaient restées étroitement unies. L'insurrection des Grecs vint exciter la défiance de cette dernière puissance, et elle ne voulut même point prendre part au traité de Londres de juillet 1827.

En 1828, l'Autriche, qui a toujours eu pour principe traditionnel qu'elle doit sa protection et son appui à la Porte ottomane, fit les plus grands efforts pour arrêter les progrès de la Russie dans la guerre contre les Turcs, et elle manifesta même le dessein de s'établir aux bouches de Soulina, dans le double but d'empêcher les Russes de s'en emparer, et d'augmenter ainsi sa propre influence sur les pays que baigne le Danube. C'est alors que l'on pouvait croire imminente une rupture entre les deux grandes puissances de l'Europe orientale; mais les événements vinrent bientôt rétablir les anciens rapports; d'une part, la prompte conclusion de la paix d'Andrinople qui apaisait les susceptibilités de l'Autriche, et d'autre part, la révolution de Juillet qui rappelait à l'unité de direction par l'identité des intérêts..

Depuis, nous avons vu ces deux puissances prendre part aux Conférences de Londres, bien qu'on ait affirmé que, dans l'origine, MM. de Liéven et d'Esterhazy n'avaient point obtenu l'assentiment formel de leurs gouvernements.

« EelmineJätka »