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qui est ennemi. Parce que tout y est à inventer, ce n'est pas qu'il n'y ait beaucoup à savoir. La masse de ce qu'il faut connaître est immense; mais c'est un bagage qui n'est bon qu'à soutenir le pied, et rendre l'observation plus haute et plus sûre, et duquel on essayerait vainement de faire sortir un principe... Il est nécessaire ici, avant d'entreprendre aucun calcul, d'avoir pénétré à fond dans les desseins des cabinets, démêlé avec soin, et souvent avec plus d'adresse qu'ils ne le font eux-mêmes, afin d'y accommoder les plans imprévus, leurs côtés faibles et leurs intérêts, de posséder le secret de leurs ressources et de leurs forces, d'être en état, suivant les circonstances, de démasquer des vues propres soit à faciliter des alliances, soit à en déjouer, soit à ruiner celles qui étaient déjà conclues; d'avoir constamment à l'esprit le souvenir de toutes les précédentes manœuvres des États et de leurs traités rompus ou subsistants. Il y a là un dédale politique, avec un encombrement au milieu duquel le génie seul est capable de se mouvoir à l'aise et sans être étouffé par le détail. »

Sans doute, au milieu de cette scène mouvante, qui réclame tant de sagesse, de mesures et de connaissances positives, on s'appuie sur quelques principes généraux, sur quelques maximes assurées, pour juger ce qui constitue la véritable grandeur d'un État, et pour déterminer aussi quelle doit être sa véritable politique. Ainsi, l'on reconnaît qu'il faut trois éléments pour amener une nation à cet état d'aplomb et de stabilité que des secousses passagères ou quelques mouvements de fermentation ne peuvent plus ébranler savoir, une étendue suffisante de territoire, des productions qui aient une réelle valeur, et le commerce extérieur, afin d'en opérer l'échange.

Un État qui réunit ces éléments primitifs doit avoir

quatre sortes de forces force territoriale, force pécuniaire, force militaire, force fédérative; il est parvenu au plus haut degré de puissance, quand ces forces sont entre elles dans un parfait rapport, et il s'y maintient, tant qu'elles se prêtent un mutuel secours. C'est alors que naît en sa faveur le pouvoir d'opinion, lequel «résulte de l'idée avantageuse qu'un État donne aux autres de ses forces physiques et morales. Cette opinion accréditée n'est pas toujours en raison directe des forces réelles; elle tient encore aux principes, au langage, au ton, aux démarches, à toute l'allure politique d'un gouvernement sa conduite noble, ferme, courageuse, commande le respect, inspire la confiance et fait quelquefois illusion sur toute l'étendue de ses ressources. Cette conduite suppose sans doute un certain degré de force, mais elle suppose surtout une fermeté et une énergie de caractère qui ajoutent à cette force et la rendent plus respectable à tous les yeux. Il sied bien à une grande puissance de ne pas prendre ombrage de tout; mais elle ne doit pas donner le change sur les bornes de sa patience. Il est des choses sur lesquelles elle pourrait garder le silence sans que ses forces réelles en souffrissent, et que néanmoins elle ne doit ni permettre ni pardonner, de peur de laisser porter atteinte à son crédit, et de perdre dans l'opinion. Tant que son crédit est intact, et que les autres États ont une haute opinion de ses ressources et de sa vigueur, il suffira souvent d'une simple déclaration pour obtenir ce qu'elle demande; car on sait que, sans aimer la guerre, elle ne la craint pas, et on évite de la provoquer. Au contraire, dès qu'elle sera tombée dans l'opinion, en montrant trop de facilité et de condescendance, il faudra qu'elle arme et qu'elle agisse où, dans des temps plus heureux, il lui eût suffi de parler et d'écrire. Le ressort de l'opinion est

donc à la fois un effet et une cause de la force réelle. Lorsqu'une puissance est en possession des avantages que nous venons d'énumérer, elle doit apporter tous ses soins à se créer et à suivre, à l'égard des autres nations, un plan raisonné, un bon système diplomatique. Ce système doit être fondé sur des intérêts naturels, parce que ceux-là seuls sont immuables, et que si parfois ils peuvent être contrariés, ils ne peuvent du moins jamais être détruits. Tel est, en particulier, le caractère de la politique traditionnelle des maisons royales. Chaque État tient, en effet, de ses mœurs, de ses lois, de sa position topographique et de la forme de son gouvernement, une manière d'être qui lui est propre, et qui décide seule de ses vrais intérêts. En s'y conformant, il s'agrandit, se conserve ou retarde sa ruine, suivant qu'il est constitué pour s'accroître, se conserver ou ne pas subsister longtemps. Si l'objet qu'il se propose dans ses négociations est contraire à cet intérêt fondamental, il demeure, malgré tous ses efforts et quelques succès passagers, dans l'impuissance de franchir l'intervalle qui le sépare de la fin qu'il veut atteindre.

Que d'autre part, le conseil qui gouverne les affaires étrangères d'une nation ne lie pas par un fil systématique toutes ses opérations, il sera bientôt forcé d'obéir aux événements. Chacun de ses agents pourrait réussir en particulier dans la négociation dont il serait chargé, et il ne résulterait de tous ces succès qu'un chaos d'affaires impossible à débrouiller.

Le système dont il s'agit, après avoir été soumis à la maturité du jugement et des réflexions, doit être rédigé de manière à faire ressortir les motifs qui ont déterminé son adoption, les circonstances au milieu desquelles il a été créé, les avantages qu'il assure et les inconvénients dont on n'a pu le dégager. Il constitue

alors en quelque sorte une pragmatique sanction, déposée dans les archives de l'État, pour servir de règle aux divers ministres qui se succèdent, car la politique, dont tout le code peut se résumer dans les mots prévoir et prévenir, ne saurait porter trop loin ses regards pour découvrir le punctum saliens des événements futurs. Il est en effet démontré que, rarement, les calculs et les combinaisons de la diplomatie offrent de ces avantages que l'on puisse saisir sur-le-champ, si on ne les a fait naître ou longtemps à l'avance préparés : elle ne se presse donc jamais de construire, mais elle ne cesse de rassembler des matériaux, prévoyant bien qu'un jour l'occasion de les utiliser se présentera. « Quelles que soient les conjonctures, disait l'empereur Léopold, d'après tous ses prédécesseurs, cherchons toujours à nous étendre et formons de grands projets; nous aurons au moins la gloire de n'avoir rien entrepris de médiocre et nous trouverons souvent en nous-mêmes des ressources que nous ignorions. Quelque succès qu'on ait d'abord, on est bien avancé quand on laisse à la postérité comme des pierres d'attente qui l'avertissent de son devoir et qui l'encouragent à mettre la dernière main à un ouvrage commencé. »

Cependant, il faut bien se garder de trop généraliser cette idée d'un système; les principes les plus sages se transformeraient en erreurs dangereuses si l'on prétendait en faire l'application à tous les temps, à tous les hommes et à toutes les circonstances. Tout système absolu, exclusif, doit donc être banni. C'est ainsi, par exemple, qu'au milieu de la fluctuation des cabinets de l'Europe et des variations de leurs forces et de leurs projets, on ne saurait concevoir un système fédératif permanent.

Ce serait une étude intéressante que celle des variations des grandes cours dans le choix de leurs alliés ;

mais ce n'est pas ici le lieu de développer un pareil sujet, et nous ne devons l'envisager que sous le point de vue le plus général.

Et d'abord on entend par système fédératif l'ensemble des alliances choisies et combinées par un gouvernement pour affermir ou augmenter sa puissance; et, par une extension du principe, on appelle système fédératif l'association de plusieurs États, et même l'association générale de toutes les puissances, dont les représentants forment ou pourraient former un tribunal souverain ayant pouvoir de déterminer les droits de chaque État, de fixer leurs rapports mutuels et de les assurer par le déploiement d'une grande force coactive.

En rapportant au système fédératif la réunion de plusieurs États en un seul corps d'État souverain, on distingue deux modes suivant lesquels ces États peuvent être réunis : 1° lorsque des États souverains s'unissent pour la défense et la garantie communes de leurs droits, sans reconnaître un pouvoir suprême et commun; ils forment alors un système d'États confédérés qui, dans ses relations extérieures, est considéré comme une seule personne morale formant une puissance, quoique chacun des États conserve l'exercice indépendant de ses droits de souveraineté; 2o lorsque plusieurs États se réunissent sous un souverain commun, cette réunion peut être personnelle, c'est-à-dire n'avoir lieu que dans la personne régnante, soit pour un temps déterminé, soit indéfiniment, ou réelle, de manière que les États, sans être confondus, soient réunis entre eux avec une égalité parfaite de droits.

Des alliances transitoires sont appelées ligues; elles ont pour objet un intérêt passager ou un but spécial, tel que celui d'arrêter un ennemi commun dans ses conquêtes ou de les lui ravir. Lorsque des liaisons politiques sont permanentes, ce sont des alliances pro

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