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CHAPITRE XX.

'AUTRES RÈGLES RELATIVES AU DÉBAT.

LES

Es règles que nous allons exposer ne sont pas de la même importance que les précédentes ; mais elles tendent toutes à prévenir des inconvénients et à produire un meilleur débat. Les premières sont de nécessité: cellesci sont de prudence.

1.° Adresser les discours au Président, et non à l'Assemblée en général.

Cet usage, constamment suivi dans la Chambre des Communes, est très-convenable à une assemblée nombreuse, pour donner à ceux qui parlent un point fixe de direction, et un centre commun à tous les discours.

Il est naturel que chacun s'adresse à celui qui, par son office, a le droit de juger si l'on s'écarte de la question, ou si l'on tombe dans quelque irrégularité défendue par le Règlement.

Le discours adressé au Chef de l'Assemblée sera plus grave et plus tempéré que s'il l'étoit à l'Assemblée entière. Un homme passionné même, en s'adressant à un Magistrat impar

tial, à un Chef respecté, sentira la nécessité de mesurer ses expressions, et de réprimer des mouvements d'indignation et de colère.

Si ces Membres se parloient entr'eux directement, la discussion dégénéreroit plus facilement en personnalités.

Il n'est point d'habitude plus utile dans une Assemblée politique, que celle de considérer le Président avec déférence et respect; et rien n'est plus propre à former cette habitude que de l'envisager comme le centre de la délibération, comme l'Assemblée personnifiée.

3. Eviter les noms propres en désignant les Membres de l'Assemblée auxquels on répond.

Cette règle, strictement observée dans la Chambre des Communes, oblige à recourir à différentes circonlocutions, pour désigner un individu. L'honorable Membre à ma droite ou à ma gauche, le gentilhomme au ruban bleu, le noble Lord, mon savant ami (en parlant d'un homme de loi), etć. La plu→ part de ces expressions sont polies sans fadeur; les noms propres amènent souvent une kirielle d'épithètes complimenteuses, comme on en voit divers exemples dans les discours de Ciceron, prononcés dans le Sénat de Rome: mais le

véritable inconvénient est que, dans les débats, la mention du Nom est un appel plus fort à l'amour-propre que toute autre désignation. Il est moins choquant de dire « l'honorable Membre qui a parlé l'avant-dernier est tombé dans une erreur grossière » que de le signaler nominativement. C'est comme une abstraction faite de l'individu, pour ne le considérer que dans son caractère politique. Cette règle est gênante, et quand les débattants sont échauffés, ils ont beaucoup de peine à s'y soumettre. Cela même prouve combien elle est nécessaire. 4. Ne jamais supposer de mauvais motifs. C'est encore là une règle absolue du débat Britannique. Vous pouvez en toute liberté reprocher à un préopinant son ignorance, ses méprises, ses fausses représentations d'un fait ; mais ne dites pas un mot qui inculpe ses motifs. Appuyez sur toutes les conséquences nuisibles de son opinion ou de la mesure qu'il soutient; montrez qu'elles sont funestes, qu'elles tendent à établir la tyrannie ou l'anarchie mais ne supposez jamais qu'il ait prévu et voulu ces conséquences.

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Strictement, la règle est fondée en justice : car s'il nous est difficile de connoître toujours nos vrais et secrets motifs, il y a bien de la

témérité à prétendre démêler ceux des autres; et, par notre propre expérience, nous devons savoir combien l'on se trompe aisément à cet egard. La réserve qu'impose cette règle est utile à tous; elle est favorable à la liberté des opinions; elle est la sauve-garde commune. Vous devez, dans le débat politique comme dans la guerre, ne vous permettre aucun des moyens que vous ne voulez pas qu'on emploie

contre vous.

Mais surtout cette maxime est conforme à la prudence. Votre antagoniste est-il dans l'erreur? il peut recevoir de vous la vérité que vous lui présentez en le ménageant: accusez-vous ses motifs, vous l'offensez, vous le provoquez; vous ne lui laissez pas le. calme nécessaire pour vous écouter avec attention. Il devient partie contre vous. Le feu se communique de l'un à l'autre. Ses amis prennent fait et cause avec lui: et de-là souvent des ressentiments qui se prolongeant au-delà des débats, portent dans l'opposition politique, toute l'âpreté des haines personnelles. Ce n'est pas assez d'exclure les personnalités; il faudroit encore proscrire les expressions amères et violentes; il faudroit les proscrire comme des actes de maladresse, encore plus que comme des traits de passion.

Tous ceux qui ont suivi des Assemblées politiques savent que des expressions peu ménagées sont les sources des incidents les plus tumultueux et des écarts les plus opi-: niâtres (1).

5. Ne faire aucune mention des vœux du Prince et du Pouvoir exécutif.

Ce vœeu, par lui-même, ne prouve rien par rapport à la convenance ou à l'inconvenance de la mesure; il ne peut avoir aucun bon effet, et n'en peut produire que de mauvais.

L'admission de ce moyen seroit incompatible avec la liberté de l'Assemblée, nonseulement dans cette occasión particulière;

(1) L'Orateur le plus distingué de l'Angleterre, M. Fox, qui attaquoit ses adversaires avec une logique si pressante, avoit porté au plus haut degré l'art d'éviter tout ce qui pouvoit les blesser.-Dans les moments les plus animés, lorsqu'il étoit comme entraîné par le torrent de ses idées, toujours maître de lui-même, il ne manquoit jamais aux égards de la plus scrupuleuse politesse. Il est vrai que cette heureuse qualité étoit moins encore en lui un secret de l'art oratoire, que l'effet d'un caractère bienveillant, modeste dans sa supériorité et généreux dans sa force. Cependant jamais homme ne s'exprima ni plus courageusement ni moins cérémonieusement: les mots alloient, comme dit Montaigne, où alloit la pensée.

« EelmineJätka »