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sur cette insipide composition. On voit que ses auteurs ne connoissoient pas mieux les devoirs. que les droits, qu'ils ne parloient pas mieux la langue morale que la langue politique. C'est toujours la même confusion et la même exagération; toujours la même passion pour des maximes générales, sans aucun égard aux propositions particulières qu'elles renferment de fausses notions d'élégance et de pompe, le soin de diversifier les expressions quand elles doivent être les mêmes, un style épigrammatique et théâtral; enfin tous les défauts imaginables dans une composition légale qui exigeoit la justesse la plus sévère. On seroit tenté de croire qu'il y a dans l'esprit national en France, une vivacité impatiente qui ne se prête pas, à la fatigue des détails. Leur imagination court au résultat et passe par-dessus toutes les preuves. On veut de l'esprit, de la rapidité, de l'agrément dans des sujets qui exigent l'analyse la plus rigoureuse et le style le plus exact. Ce reproche tombe en particulier sur les écrivains politiques. Pour nous arrêter à l'époque où nous sommes, il y eut un grand nombre de déclarations de droits présentées en projet à l'Assemblée Nationale. Il n'en est aucune où l'on ne trouve des défauts semblables à ceux que nous avons relevés dans

les deux déclarations constitutionnelles. Celle qui fit le plus de bruit, celle qui eut le plus de partisans hors de l'Assemblée, surpassoit tantes les autres en exagérations. Les erreurs qu'elle contient ne sont, il est vrai, que celles d'un individu; elles n'ont point reçu la sanction de l'Assemblée mais ce sont des opinions avancées par un homme d'un esprit distingué, par un homme qui eut beaucoup d'influence; et je ne crois pas inutile d'examiner ici trois ou quatre articles de cette composition, pour achever de donner une juste notion des principes anarchiques qui régnoient à cette époque.

Examen partiel d'une Déclaration des Droits, proposée par un Membre de de l'Assemblée Constituante.

Dès le début, l'auteur se fonde sur des

fictions et même sur des faussetés manifestes: il déclare qu'une chose est, parce qu'il veut qu'elle soit, et qu'il sait qu'elle n'est pas. Chaque Société, dit-il, ne peut être que l'ouvrage libre d'une convention entre tous les associés.

Qu'une Société politique puisse se former par une convention, c'est ce que je ne veux pas nier; mais qu'une Société ne puisse exister que par une convention, c'est un fait évidemment faux. Qu'est-ce donc que tous les Etats du monde qui se sont formés de différentes manières, sans aucune trace de convention? N'existent-ils pas ? ou ne plaît-il pas à l'auteur de les appeler des Sociétés politiques ? Déclare-t-il de son autorité privée tous ces Gouvernements nuls et illégitimes? Invite-t-il les peuples à se soulever contr'eux ? Proclame-t-il la sédition et l'anarchie? ce n'est pas son intention, mais c'est le sens de l'article.

Il est un signe certain auquel on peut reconnoître un homme qui est tombé dans cette espèce de manie qu'on peut appeler l'idolatrie de soi-même. Il prend quelques mots de la langue en faveur, il leur donne un sens particulier, il les emploie comme personne ne les a jamais employés, et il est déterminé à ne les prendre jamais dans leur sens vulgaire : ce sera liberté, propriété, souverain, loi, gouvernement, nature etc. Muni de ce mot comme d'une espèce de chiffre avec ses affides, il fait des propositions qui dérangent toutes les idées reçues ; il donne une apparence de profondeur à des riens, il a toujours l'air d'un penseur capable que l'on n'entend pas, et il regarde en pitié ceux qui lui font des objections, parce qu'ils se servent des mots selon leur acception commune. Ce petit artifice est facile à démasquer, mais il réussit quelque temps. Le fait est que quand on vient à examiner ces propositions prétendues profondes, composées d'un terme pris dans un sens contraire à l'usage on les trouve d'une telle nullité ou d'une telle fausseté, qu'on ose à peine soupçonner un homme d'esprit d'en être l'auteur. On lui cherche long-temps une idée fine pour ne pas lui attribuer une absurdité

toute nue.

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L'objet d'une Société politique ne peut être que le plus grand bien de tous.

Ne peut pour ne doit. Toujours cette puérile substitution d'un terme impropre et ambigu, à un terme propre, également familier et clair. Il est vrai qu'on donne ainsi à une pensée triviale un air de mystère et de profondeur.

Chaque homme est le seul propriétaire de sa personne, et cette propriété est inaliénable.

Quelle expression! comme si un homme et sa personne étoient deux choses distinctes, et qu'un homme pût tenir sa personne comme it tient sa montre, dans une de ses poches! Mais. Taissons l'expression et passons au sens.

Etre seul propriétaire de sa personne, c'est apparemment avoir la disposition exclusive de soi-même, de ses facultés actives et passives, spirituelles et corporelles: aucun homme n'est autorisé à se servir de ma personne, sans mom aveu, plus qu'il ne pourroit le faire de mes autres propriétés. Mais cette idée de propriété appliquée à la personne, est le renversement de toutes les lois. La loi ne peut donner aucun. droit au mari sur sur la personne de sa femme, ni au père sur celle de ses enfants, ni à l'officier sur celle des soldats, ni au Juge sur celle des malfaiteurs. Tout exercice d'autorité sur leur

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