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noir; et les tribunes étaient peintes en larmes. Qu'on juge des sommes prodiguées pour cette vaine pompe, dans un temps où règne la plus profonde misère, dans un temps où les pauvres meurent de faim! Mais de quel droit la Municipalité jette-t-elle de la sorte les fonds de la Commune? Les Sections doivent-elles souffrir que la subsistance de la veuve et de l'orphelin serve au faste des ennemis de la Patrie ?..... »

Et pendant cette fète funèbre, les soldats de marine se révoltent à Brest contre l'oppression de leurs Officiers, comme ceux de Toulon viennent de le faire tout récemment, tandis que les Aristocrates préparent l'insurrection dans le camp de Jalès, tandis que la Droite, marchant toujours à la contre-révolution, aura bientôt (21 octobre) l'audace de demander la cocarde blanche pour les marins, que l'abbé Maury s'abandonnera à sa fureur contre la Gauche jusqu'à ébranler la tribune et la saisir comme pour la lancer sur elle, et que les officiers de la garnison de Bedfort oseront crier (29 oct.): Vive l'Aristocratie! A bas la Nation!

Aussi l'organe des Contre-révolutionnaires, l'Ami du Roi, est transporté de joie et d'espérance, insolent et menaçant! Il outrage tous les auteurs de la Révolution, et par conséquent même l'Assemblée Nationale quand elle était révolutionnaire!... Il traite les patriotes de mutins, de rebelles, de factieux, de brigands, et les menace tous du même châtiment que Bouillé vient d'infliger à ceux de Nancy...

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Loustalot meurt de douleur au sujet du massacre.

Le 19, veille de la fête funèbre, Loustalot, dont le talent et le patriotisme ont attiré deux cent mille abonnés au journal de Prudhome les Révolutions de Paris, meurt, à l'âge de vingt-huit ans, de douleur d'avoir vu la guerre civile à Nancy.

On trouvera peut être que nous avons trop souvent prononcé son nom et cité son opinion: mais c'est qu'à

nos yeux, Loustalot est un des plus purs défenseurs de la Révolution, un des écrivains qui ont exercé le plus d'influence en sa faveur et qui lui ont fait le plus grand nombre d'amis; sincèrement ami lui-même du Peuple et de l'égalité, c'est par ses sentiments populaires plus encore que par son talent qu'il nous paraît recommandable : Puissions-nous contribuer à perpétuer sa mémoire!

Du reste, écoutez ses derniers accents! Voyez comme son âme patriotique est profondément blessée des malheurs que le massacre de Nancy lui fait présager pour son pays!

« Le sang des Français a coulé! La torche de la guerre civile a été allumée!... Ces vérités désastreuses abattraient notre courage, si la perspective des dangers qui menacent la Patrie ne nous faisait un devoir de faire taire notre profonde douleur... Que vous dire, Français?... Quel conseil vous donner?..... Quel avis pouvez-vous entendre?... Dans certaines crises, tout se touche, tout se confond: le bien et le mal s'opèrent presque par les mêmes moyens.... Justice et Vérité, sous quel épais nuage vous présentez-vous aux regards de vos sincères adorateurs! Comment se préserver des pièges où le Corps législatif, où les Sages de la France, sont tombés?... Comment saisir sous de fidèles rapports une multitude de faits, tous extraordinaires, que tant de citoyens ont besoin de connaître tout-à-l'heure sans réticence et sans déguisement? Comment raconter avec une poitrine oppressée?... Comment réfléchir avec un sentiment déchirant?..... Ils sont là, ces cadavres qui jonchent les rues de Nancy.... et cette cruelle image n'est remplacée que par le spectacle révoltant du sangfroid de ceux qui les ont envoyés à la boucherie, par le rire qui égaie le front des ennemis de la liberté!.... Attendez ! attendez ! la Presse, qui dévoile les crimes et qui détruit toutes les erreurs, va vous enlever votre joie et vos espérances! Il serait doux d'être votre dernière victime!!! >>

Nous l'avouerons, après le douloureux spectacle du massacre, nous aimons à entendre ces sentiments d'un cœur patriote.

Legendre (qui s'est formé, aux Cordeliers, à l'école de Danton, et qui sera l'un des premiers acteurs dans les

journées les plus terribles), prononce sur la tombe de Loustalot ces paroles menaçantes :

<«<< Malheureux ami de la Constitution, dans l'autre monde, puisque telle est ta destinée ! C'est la douleur du massacre de tant de nos frères à Nancy qui a causé ta mort... Va leur dire qu'au seul nom de Bouillé le patriotisme frémit! Dis-leur que chez un Peuple libre rien ne reste impuni..... Dis-leur que tôt ou tard ils seront vengés!! »

Mais, nous l'avouerons encore, nous n'avons pu lire sans une profonde émotion le discours d'un autre orateur; et nous ne pouvons résister au désir de le transcrire ici comme un des morceaux qui nous ont le plus frappés par l'éloquence, le sentiment, et la hauteur des vues politiques.

«Est-il un seul vrai patriote, un seul bon citoyen, un seul honnête homme, qui n'ait élevé la voix contre ces scènes d'horreur ? Mais quoi! l'Assemblée Nationale, le Monarque, Lafayette, couverts du sang des amis de la liberté!... Affreuse image, elle me poursuit sans cesse et me glace d'effroi!.. A combien de cœurs sensibles elle a été funeste! Loustalot n'est plus! C'est elle qui a porté le trouble dans son imagination, jeté le désordre dans ses frêles organes, et qui vient de trancher, à la fleur des ans, le fil de ses jours!.. Loustalot n'est plus!.. Fidèle défenseur de la Patrie, il lui consacra ses premières armes presqu'à l'époque de la Révolution : dès-lors il combattit toujours pour elle; il combattit avec succès. Son cœur ne connut point les transports du patriotisme; mais il brûlait doucement les feux du civisme le plus pur; et s'il ne fit jamais d'enthousiastes à la liberté, il lui faisait des amis chaque jour. Trop peu versé dans la politique pour pénétrer d'un seul coup-d'oeil les noirs complots de nos ennemis, moins encore pour sentir la nécessité de soulever contre eux l'opinion publique, et pour connaître le magique pouvoir d'un affreux scandale, jamais il ne porta l'épouvante dans leur sein; jamais il ne les força de suspendre ou d'abandonner un projet sinistre ; jamais il ne les provoqua à des actes impuissants de fureur; jamais il ne les poussa à se perdre par de vains attentats; jamais il ne les entraîna dans le précipice en allirant sur lui un bruyant orage: mais il saisissait avec art, l'un après l'autre, les fils d'une trame odieuse; il la développait avec méthode et l'exposait très-bien au grand jour. Etranger aux grands mouvements de l'éloquence, à ces traits de feu qui enflamment, entraînent, subjuguent, il n'avait aucune des qua35

T. I.

lités d'homme d'Etat fait pour retenir sur le bord de l'abîme la Patrie prête à périr, et pousser un Peuple ignorant, lâche et corrompu, à briser le joug de ses tyrans; mais, doué d'un esprit calme, juste et méthodique, mûri par le temps, il eût été merveilleusement propre à former à la liberté un Peuple nouveau. Chez une Nation heureuse, sa perte eût été sensible; elle eût été douloureuse chez une Nation opprimée; mais, chez une Nation menacée de la servitude, sa perte est amère et cruelle... Chère Patrie! n'est-ce donc pas assez qu'environnée d'ennemis implacables, tu sois menacée par les uns, déchirée par les autres! Fallait-il encore que l'aspect de tes enfants égorgés fit mourir d'effroi l'un de tes plus zélés défenseurs ?.. Périsse jusqu'au dernier rejeton la race impie des tyrans et leurs suppôts; ils ne laisseront aucun regret dans les cœurs honnêtes: mais, tant que le soleil éclairera la terre, les amis de la liberté se souviendront avec attendrissement de Loustalot... Ombre chère et sacrée, si tu conserves encore quelques souvenirs des choses de la vie dans le séjour des bienheureux, souffre qu'un frère d'armes, que tu ne vis jamais, arrose de ses pleurs ta dépouille mortelle, et jette quelques fleurs sur ta tombe!.. Que nos infidèles Représentants prennent le deuil pour les oppresseurs de la liberté : enfants de la Patrie, ne le portez que de ses défenseurs... Et nous, redoublons d'énergie en soutenant sa cause, et réparons par notre zèle la perte que nous avons faite!!! >>

Du reste, comme il faut que toutes les opinions soient connues sur cette épouvantable affaire de Nancy, nous terminerons par celle de M. Thiers. Voici son jugement sur Bouillé et sur le massacre.

« Cette victoire répandit une joie générale, et calma les craintes qu'on avait conçues pour la tranquillité du royaume. Bouillé reçut du Roi et de l'Assemblée des félicitations et des éloges. Plus tard on le CALOMNIA et on accusa sa conduite de cruauté. Cependant elle était IRRÉPROCHABLE, et dans le moment elle fut applaudie comme telle... Bouillé était plein d'honneur, dit ailleurs M. Thiers, son serment prêté, il ne songea plus qu'à servir le Roi et la Constitution. »

FIN DU TOME PREMIER.

« EelmineJätka »