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peuples civilisés l'admettent comme base de la famille et par conséquent comme base de l'ordre social, que ce sont les parents qui doivent succéder aux parents. Et M. Delsol ajoute, avec non moins de raison, que le conjoint n'est point un héritier, mais un simple successeur irrégulier appelé dans des conditions toutes spéciales à l'exercice d'un droit sui generis.

donc Quelle comparaison voulez-vous faire entre l'héritier qui a son titre dans son acte de naissance, dans son acte de l'étatcivil et contre lequel, par conséquent, il fallu se prémunir de certaines dispositions d'indignité pour faire cesser l'effet de ce titre primordial, sa naissance, pour l'empêcher d'hériter de celui au préjudice duquel il s'est livré à des actes criminels ou délictueux, et le conjoint, qui n'a point de titre et auquel le mariage n'a jamais, en présence d'héritiers, constitué un titre à la succession du mort?

Il ne s'agit pas d'édicter un cas d'indignité contre le mari ou contre la femme. Il s'agit uniquement de déterminer les conditions dans lesquelles ce que vous avez appelé vous-même, mon honorable contradicteur, la succession irrégulière, aura son effet.

Le Sénat se rappelle l'exposé si clair, si lumineux que l'honorable M. Delsol faisait à la dernière séance: la femme qui hérite du mari, le mari qui hérite de la femme, ce ne sont point des héritiers; ils ne viennent à la succession qu'en vertu d'un droit successoral sui generis. Ce n'est pas en qualité d'héritiers qu'ils prennent dans la sucession une part quelconque. Vous leur faites cette part arbitrairement, permettezmoi de vous le dire, en considération uniquement de ce que vous appelez la dignité du mariage.

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Voilà ce que vous faites. Et quand vous voulez assimiler le cas prévu par la loi avec les conditions dans lesquelles vous entendez stipuler que cette femme étrangère à son mari, que ce mari étranger à sa femme recevra une part dans la succession, je dis que vous faites une confusion qui ne peut échapper à personne. Il ne s'agit pas ici d'un droit d'hérédité ordinaire, il s'agit d'un droit exceptionnel qui s'exerce dans des conditions particulières, conditions dans lesquelles, faisant une exception au principe de la dévolution des successions qui repose sur la consanguinité, vous appelez Tétranger par le sang à retirer une partie de la succession.

turel, quand il n'y a point d'héritiers du
sang, s'empare, au profit de tous, de cette
succession ainsi abandonnée. Et, de l'au-
tre, il y a le conjoint. Eh bien, oui si le
conjoint a été digne de l'intérêt public, s'il
a rempli son rôle d'époux ou d'épouse
comme il devait le faire, je consens avec
vous à ce qu'il passe avant l'Etat.

et

Mais là où je me sépare de vous, permettez-moi de vous le dire, violemment, j'ai le droit de me servir de cette expression excessive, parce que j'ai pour moi d'abord votre première opinion, monsieur le rapporteur, et ensuite l'opinion de l'Assemblée dont nous sommes membres tous deux et devant laquelle je parle en ce moment, où je me sépare, dis-je, absolument de vous, c'est quand le conjoint se sera rendu coupable d'un fait entraînant la séparation de corps. Laissez-moi vous dire qu'ici la place n'est pas aux hypothèses; il ne s'agit pas de savoir si la séparation est due à des motifs plus ou moins graves; nous sommes devant le législateur, nous parlons le langage de la loi, et nous savons, nous devons savoir que la séparation de corps n'est prononcée que pour les motifs les plus graves, les mêmes motifs qui font prononcer le divorce, il n'y a pas de diffé

rence.

Par conséquent, personne n'a le droit de dire que lorsque la séparation de corps a été prononcée contre l'un des deux époux, cet époux ne s'est pas rendu coupable envers son conjoint de coups, injures ou sévices graves. C'est la même formule dont la loi se sert en matière de divorce.

Ce qui est dénoncé dans la plupart des cas, quand la demande en séparation de corps émane de l'homme, c'est l'adultère; oui neuf fois sur dix, c'est l'adultère de la femme qui est en jeu. Est-ce que cela ne vous paraît pas suffisamment grave. Est-ce que la femme qui a trahi la foi conjugale n'a pas porté atteinte à l'honneur même de son mari et de sa famille?

Quand il s'agit de l'homme, ce sont généralement des motifs d'une autre nature. Ce sont des mauvais traitements, c'est une femme qui est pérsécutée ou martyrisée. Il y a peut-être aussi le fait d'adultère en jeu; mais, enfin, c'est une femme pour laquelle la justice du pays a estimé que l'existence commune était intolérable et qu'il l'a séparée de corps. Eh bien, comparons ces deux concurrents à la succession. Il y a, d'une part, la collectivité, qui, dans l'intérêt de tous, demande à recueillir la succession. D'autre part, il y a l'époux coupable qui étend la main vers la succession du conjoint qu'il a trahi, et vous nous dites que, dans ce cas, la maxime fiscus post omnes a une application quelconque? Allons donc! Entre cet époux indigne qui empoisonné l'existence de son conjoint, qui a manqué à toutes ses promesses, qui à violé tous ses devoirs, et l'Etat, qui représente l'intérêt général, je n'hésite pas, quant à moi.

a

Enfin il faut que je dise un mot, parce que là mon sentiment personnel est en contradiction pour ainsi dire violente avec celui de mon honorable contradicteur, il faut que je dise un mot de l'application de cet adage que l'honorable M. Delsol n'a pas rappelé à la tribune, mais qu'il a écrit dans son rapport: Fiscus post omnes. Le fisc, disons l'Etat, si vous le voulez bien,-l'Etat vient à la suite de tous les degrés d'héritiers. J'admets cela à la condition qu'il s'aJ'ai lu tout à l'heure, monsieur le rapgisse d'héritiers véritables. Le conjoint n'en est pas un, vous l'avez dit, vous n'avez porteur, le passage de votre réponse à M. de Ventavon en 1877, et, avec vous, mon honoqu'à vous reporter à votre discours de la dernière séance, le conjoint n'est pas héri-rable collègue et avec le Sénat en 1877, je tier, vous lui refusez ce droit, vous le lui refusez en termes formels, vous rappelez qu'il est héritier dans des conditions contingentes, voilà ce que vous avez dit.

Je reconnais que dans l'intérêt de la conservation des propriétés dans les familles on a pu dire très sagement fiscus post omnes; mais permettez, il ne s'agit pas ici d'un héritier, il s'agit d'un étranger par le sang, que, par certaines considérations, vous voulez appeler à recueillir tout ou partie de la succession.

Eh bien, je le place, cet étranger, en face de l'Etat. Voilà l'Etat, la collectivité qui, en vertu d'un droit qui paraît absolument na

dis non, c'est l'Etat qui est préférable à ce conjoint qui s'est rendu coupable de cet excès, de cette trahison et la maxime fiscus post omnes n'a aucune espèce d'applica

tion.

Ah! vous vous rabattez sur l'intérêt qu'il y a à rester fidèle au texte de l'article 767 du code civil. Mais permettez-moi de vous dire que vous êtes en matière de réforme, que vous innovez sur le code civil, que vous ajoutez des dispositions qui n'y étaient pas précédemment, que vous trouvez que le code a eu tort, lorsque l'époux se trouve en présence de parents au degré successible, de ne pas luf allouer un droit

successoral, vous faites la critique et la réforme du code civil.

Mais que répondrez-vous donc à ces consultations que votre initiative a provoquées, son rapport à l'Assemblée nationale? Que que l'honorable M. Humbert a retenues dans retenez-vous des deux rapports de M. Sébert, dont je vous ai mis les principaux passages sous les yeux, qui vous attestent que, devant les rédacteurs du code civil, la question se posait. Une considération a troublé les esprits, celle de la réciprocité successorale. On disait: Mais si l'on déclare incapable de succéder l'époux contre lequel la séparation de corps a été prononcée, il faut appliquer la même incapacité à celui qui l'a obtenue. C'est le principe théorique, scolastique, de la réciproque l'honorable M. Humbert vous disait cité successorale. Vous avez entendu ce dans son rapport.

Non, le principe de réciprocité successorale cède ici, disparaît devant le principe supérieur de la personnalité des peines. La cour d'Amiens, la cour de Nancy, la cour de Besançon, les seules, vous disent: « Mais, il n'y a que l'éje crois, qui aient traité la question, poux coupable qu'il faut frapper! l'époux innocent doit conserver le bénéfice des avantages qui lui ont été faits! quant à l'époux coupable, il faut le frapper et le cours d'appel. frapper seul! Voilà ce que disent les

Et vous croyez que, pour une sorte de nument juridique qui s'appelle le code fétichisme pour le texte de ce grand mocivil, il faut laisser échapper cette occasion de donner satisfaction à la conscience publique, de dire à l'époux qui s'est mis Vous ne pouvez plus avoir rien de commun, dans le cas de se faire séparer de corps: non seulement avec la personne de votre époux, mais encore avec sa succession?... Je ne le crois pas, quant à moi, et je persiste absolument dans les conclusions de mon amendement. ((Très bien! très bien !)

M. Fallières, garde des sceaux, ministre de la justice. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Messieurs, je désirerais présenter de très courtes observations pour déclarer, malgré la manifestation contraire qui vient de se produire, que le Gouvernement partage, sur ce premier point, le sentiment de la commission.

La réforme qui vous est proposée vous a été expliquée par l'honorable M. Delsol dans une précédente séance avec une lucidité à laquelle je suis heureux de rendre hommage après l'honorable M. Demôle.

Cette réforme, messieurs, a pour principe la dignité même du mariage.

Îl a semblé inadmissible qu'après le matendre sur la succession de l'époux dériage l'époux survivant n'eût rien à précédé.

Ne croyez pas cependant que la commission du Sénat et la Chambre des députés n'aient pas reconnu la nécessité d'établir quelques exceptions à la règle qu'elles venaient de proclamer. Le Sénat aurait pu s'en rendre compte si, au lieu du paragraphe 1er de l'article 767 qui est discuté isolément, l'ensemble de cet article lui avait été soumis. Il lui eût été permis de constater que satisfaction avait été donnée dans une certaine mesure à l'honorable M. Demôle.

On a fait une distinction, selon moi, capitale entre le cas où il existe des enfants naturels ou des héritiers au degré successible et celui où on ne rencontre, au contraire, aucune de ces deux catégories de per

sonnes.

Dans le premier cas, que propose la commission? J'appelle sur ce point toute l'attention du Sénat: elle vous demande de respecter, sans modification aucune, les dispositions du code civil.

En ce qui concerne la seconde hypothèse, deux innovations sont proposées.

L'article 767 n'a subi de la part de la commission qu'une seule modification excessivement légère. Je vais vous lire l'article du code civil et mettre en regard l'article de la commission.

L'article 767 du code civil est ainsi conçu : «Lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent au conjoint non divorcé qui lui survit. »

Voilà le principe. La seule modification introduite par la commission et par la Chambre des députés a consisté à mettre, après le mot « appartiennent », l'expression en pleine propriété ». De sorte que le texte nouveau serait ainsi rédigé : « Les biens de sa succession appartiennent en toute propriété au conjoint non divorcé qui lui

Survit. »

Pourquoi ces mots « en pleine propriété»? Est-ce pour ajouter au texte du code civil? Non. C'est parce que, dans les paragraphes suivants, on établit pour des cas déterminés, au profit du conjoint survivant, un droit d'usufruit; c'est donc uniquement pour la régularité de la rédaction qu'on a fait cette addition au code civil.

Il ne faut pas, messieurs, vouloir tout discuter et réformer à la fois. Une correction n'en amène pas une autre, sans qu'un examen attentif n'ait prouvé que la seconde est justifiée comme la première.

Les dispositions du code civil sont à étudier en elles-mêmes, et le législateur actuel doit comme celui de 1804 oublier les espèces particulières et éviter les hypothèses. Les auteurs du code civil n'ont pas eu la prétention de recueillir la dernière pensée du prémourant. Nous devons les imiter : nous n'avons pas, en effet, à rechercher ici, comme devant la justice, quels sont les motifs qui ont fait prononcer la séparation de corps contre la femme ou contre le mari. Aujourd'hui surtout que le divorce a été rétabli, nous devons nous souvenir qu'il s'agit d'un mariage qui a subsisté, qui à survécu à des querelles et à la séparation de corps prononcée entre les époux. Les liens du mariage n'ont pas été définitivement rompus; ce sont deux conjoints dont l'un survit à l'autre.

Voilà dans quelle situation nous nous trouvons.

Elle était la même en 1804. On comprend donc que laissant de côté les hypothèses dont je parlais tout à l'heure, et même, dans une certaine mesure, cette intention pré

sumée du défunt dont il est bien difficile de se faire une idée à distance, nous ayons préféré adopter une règle générale s'appliquant à tous les cas et dominant la matière des successions. Quand on a fait entre les héritiers du sang la dévolution des biens de l'époux prédécédé et qu'on se trouve dans cette alternative, ou de remettre en pleine propriété les biens à une personne pour quelle subsistent les liens du mariage ou de les laisser à l'Etat, on doit facilement pencher pour la personne survivante.

la

De telle sorte que je ne m'explique pas bien, quelle que soit la pensée de réforme qui puisse vous animer et qui m'anime moi-même, pourquoi, sur ce point, nous changerions la disposition du code civil. En ce qui me concerne, je trouve sage

cet article 767.

Remarquez que jusqu'au moment où l'honorable M. Delsol a déposé son projet, il n'a pas été discuté; on estimait que les droits de dévolution étaient suffisamment respectés.

Lorsque tout à l'heure l'honorable M. Demôle nous disait qu'il ne comprenait pas pourquoi on avait soulevé la question des indignités, je ne saisissais pas très bien son argumentation.

M. Delsol vous a très justement fait remarquer, en effet, que la législation de 1804, tout en établissant l'échelle successorale, a indiqué que certains cas d'indignité peuvent en suspendre l'application. Ces cas, énumérés par lui, sont au nombre de trois, et, quels que soient les efforts faits par l'honorable M. Demôle pour soutenir que la question ne doit pas dévier dans cet ordres d'idées, il me paraît difficile de ne pas reconnaître qu'aux trois cas d'indignité du code civil, on en ajouterait un quatrième, si, comme il le demandait tout à l'heure, on frappait de déchéance absolue le conjoint survivant.

Celui-ci se trouve, entendez-le bien, en présence seulement de l'Etat; il n'a autour de lui aucun parent du défunt au degré successible, aucun enfant naturel, il est seul, absolument seul; il faudra donc choisir, alors que la question ne paraît même pas s'être posée au moment de la confection du code civil, entre le conjoint survivant contre lequel la séparation de corps aura été prononcée et l'Etat, cette puissance anonyme qui est toujours disposée à absorber ce qu'on lui offre, mais qui ne peut pas compter, semble-t-il, en matière de succession. On parlait tout à l'heure des liens de la consanguinité; il me serait difficile de relier, par une pensée quelconque, l'Etat à la matière successorale.

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Je mets aux voix l'ensemble du paragraphe 1er.

(Le paragraphe 1er est adopté.)

M. le président. Je donne lecture des paragraphes 2, 3, 4 et 5, au sujet desquels aucune contestation n'a été élevée :

« Le conjoint survivant non divorcé qui ne succède pas à la pleine propriété et contre lequel n'existe pas de jugement de séparation de corps passé en force de chose jugée, a, sur la succession du prédécédé, un droit d'usufruit qui est :

« D'un quart, si le défunt laisse un ou plusieurs enfants issus du mariage;

« D'une part d'enfant légitime le moins prenant, sans qu'elle puisse excéder le quart si le défunt a des enfants nés d'un précédent mariage;

«De moitié, dans tous les autres cas, quels que soient le nombre et la qualité des héritiers. »

Personne ne demande la parole?... Je mets ces dispositions aux voix. (Les paragraphes 2, 3, 4 et 5 sont adop tés.)

7 et 8, M. Demôle a proposé un amende M. le président. Sur les paragraphes 6, ment qui est conçu en ces termes :

<< Remplacer les paragraphes 6, 7 et 8 du nouvel article 767 par la disposition sui

vante :

Donc et c'est sur ce point que je ter« L'époux survivant n'a droit que sur les mine le Sénat voudra bien considérer biens dont le prédécédé n'aura disposé ni que nous n'avons pas encore abordé la par- par acte entre vifs ni par acte testamentie du code civil qu'on a l'intention de réfor-taire, et sans préjudice des droits des hérimer... (Très bien ! C'est cela! à gauche.) tiers auxquels une quotité de biens est réNous sommes en présence de l'article 767 servée et des droits de retour déterminés tel qu'il a été voté en 1804, tel qu'il a été par la loi. Sur le montant de leurs droits appliqué et auquel, je le répète, on ne fait respectifs, l'époux et les héritiers sont tenus d'imputer les libéralités provenant du subir qu'une modification insignifiante; on ajoute simplement un mot à son texte défunt, directement ou indirectement. » pour le rendre plus clair non pas en luimême, mais par rapport aux dispositions qui vont suivre.

Par respect donc pour le code civil, que je crois sage sur ce point, je demande au Sénat de vouloir bien voter l'article tel qu'il est présenté par la commission. (Très bien! très bien !)

M. le président. Personne ne demande plus la parole?...

Je mets aux voix la partie de l'article 767 qui ne fait l'objet d'aucune difficulté, en réservant l'amendement de M. Demôle

« Art. 767. — Lorsque le défunt ne laisse ni parents au degré successible, ni enfants naturels, les biens de sa succession appartiennent en pleine propriété au conjoint

non divorcé qui lui survit. »

(Ce paragraphe, mis aux voix, est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix la dis-
position additionnelle que propose M. De-
môle et qui consiste à ajouter après ces
mots « qui lui survit » ceux-ci : « et contre
lequel n'existe pas de jugement de sépara-
tion de corps passé en force de chose ju-
gée. »

J'ai reçu une demande de scrutin public
signée de MM. Ernest Boulanger, Leopold
Faye, Demôle, Jules Cazot, Garrisson, Char-
les Ferry, Merlin, Mathey, Lecherbonnier.
Il va être procédé au scrutin.
(Le scrutin a lieu. MM. les secrétaires
opèrent le dépouillement des votes.)

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La parole est à M. Demôle pour développer son amendement.

M. Demôle. Messieurs, je viens pour la seconde fois reproduire devant vous une disposition copiée sur un texte que le Sénat a voté en 1877.

Vous venez de décider qu'au cas où l'époux survivant se trouve en présence des parents au degré successible ou d'enfants naturels, il a à prendre, sur les biens de la succession un droit de jouissance qui est, suivant les cas, suivant la qualité des héritiers du sang, d'un quart ou de moitié.

C'était déjà l'objet de la proposition de l'honorable M. Delsol que le Sénat a votée

en 1877.

actuellement sur quelle masse sera calculé Il s'agit, vous le voyez, de déterminer ce quart ou cette moitié en usufruit, que l'époux survivant doit retirer de la succession du conjoint défunt.

Le Sénat, en 1877, a tranché la question par le texte suivant:

« L'époux survivant n'a droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs, ni par acte testamentaire, et sans préjudice des droits des héritiers auxquels une quotité de biens est réservée et des droits de retour déterminés par la loi. Sur le montant de leurs droits respectifs, l'époux et les héritiers sont tenus d'imputer les libéralités provenant du défunt directement ou indirectement. »

C'est exactement, messieurs, je le répète, le texte de l'amendement que j'ai l'honneur de vous soumettre. Si cette disposition passe dans la loi, l'époux survivant n'aura à prendre sa part en jouissance que sur la masse des biens existants.

Tous les biens qui sont sortis antérieurement du patrimoine du défunt, soit effec

tivement par donation entre vifs, soit juridiquement par dispositions testamentaires, ne feront pas partie de cette masse.

Pour prendre un exemple en chiffres, supposons que l'époux décédé laisse 200,000 francs de biens existants. S'il s'agit de faire le partage de sa succession entre ses enfants, aux termes de l'article 843 du code civil on va appliquer les règles du rapport, c'est-à-dire que s'il avait une fortune de 1 million sur lequel il ait disposé de 800,000 francs, soit par donations entre vifs, soit par dispositions testamentaires, ces 800,000 francs seront rapportés à la succession et joints aux 200,000 fr. de biens existants pour asseoir les droits de chacun des héritiers. Ce système de l'article 843 du code civil, c'est le système du rapport. Le Sénat ne veut pas qu'il en soit ainsi quand il s'agit de calculer le droit de l'époux survivant.

Celui-ci n'est pas un héritier, c'est un successeur irrégulier, qui n'est pas appelé par une vocation héréditaire, et le Sénat pense qu'en vertu du principe sur lequel tout le monde est d'accord, le rapport n'est dû que par l'héritier à son cohéritier, l'époux survivant n'a pas le droit de demander; ce qui est sorti du patrimoine du défunt sous forme de donation entre vifs ou par dispositions testamentaires lui est complètement étranger. Dans le cas que je vous cite, c'est donc sur les 200,000 francs de biens existants que l'époux survivant viendra prendre son quart ou sa moitié en jouissance, suivant la qualité des héritiers en présence desquels il se trouvera.

Et, pour qu'il n'y ait pas de doute dans ce calcul, le Sénat a eu soin d'ajouter que, pour l'établissement de leurs droits respectifs, l'époux et les héritiers devraient imputer d'une façon générale ce qu'ils auraient reçu du défunt directement ou indirectement. Le Sénat ne veut pas que le droit successoral d'une nature particulière qu'il établit au profit du conjoint, puisse se cumuler avec les avantages antérieurs que ce conjoint pourrait puiser dans son contrat de mariage.

Donc, quand l'époux survivant viendra, en vertu de cette dévolution successorale, pour savoir à combien doit se monter son quart ou sa moitié en jouissance, il devra commencer par imputer ce qu'il aura reçu de son conjoint antérieurement soit par contrat de mariage, soit par acte entre vifs, soit par testament; et, de la même façon, comme le droit successoral attribué à la femme ne peut pas léser les droits réservataires des héritiers, lorsque l'héritier se présentera et prétendra que le droit de jouissance exercé par la femme porte atteinte à sa réserve, dans ce cas la femme aura le droit d'exiger que l'héritier impute ce qu'il a reçu du défunt pour savoir si sa réserve est entamée par l'exercice de cette dévolution successorale.

C'est ce que le Sénat a traduit dans un dernier alinéa de sa disposition par cette forme :

« Sur le montant de leurs droits respectifs, l'époux et les héritiers seront tenus d'imputer les libéralités provenant du défunt directement ou indirectement. »>

Vous savez, messieurs, la fortune que la

loi du Sénat votée en 1877 a suivie.

En 1889, la Chambre des députés a complètement changé ce mode de calcul. Mettant de côté cette idée, si bien exprimée tant dans le rapport actuel de l'honorable M. Delsol que dans son discours de la dernière séance, à savoir que l'époux survivant n'est point un héritier, qu'il ne vient point en vertu d'un droit héréditaire, qu'on ne veut pas modifier le principe du code civil, qu'on n'entend pas toucher à cette règle que le rapport n'est dû à l'héritier que par son cohéritier, la Chambre des députés a pensé

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que pour déterminer le droit successoral de l'époux survivant, il fallait se placer absolument dans le cas où l'on serait s'il s'agissait de faire le partage entre les héritiers du sang du défunt.

En reprenant l'exemple que je vous ai cité d'une fortune de 1 million sur laquelle 800,000 fr. sont sortis antérieurement du patrimoine du père de famille et dont il ne reste que 200,000 fr., alors que le Sénat, comme vous venez de le voir, fixe le droit de jouissance de la femme, si elle est en présence d'enfants, à un quart des biens existants, c'est-à-dire à 50,000 fr., la Chambre des députés, faisant une masse totale, calcule le quart de la femme sur le million, ce qui porterait son droit de jouissance à 250,000 fr. Vous voyez que la différence est considérable.

Dans son rapport, l'honorable M. Delsol vous fait connaître les discussions qui ont eu lieu dans le sein de votre commission pour arriver à la solution de cette question particulière. Vous y voyez que le système de la Chambre a été repoussé par 5 voix contre 4, comme dépassant, et de beaucoup, les limites de ce qu'on voulait faire, et comme portant atteinte à ce principe général, que celui qui n'est pas héritier n'a pas le droit de demander le rapport. Mais d'un autre côté, vous y voyez que la commission a estimé que le système adopté par le Sénat en 1877 était trop restrictif, et que dans certains cas, en vertu de cette dévolution successorale d'un quart ou de la moitié portant simplement sur les biens existants, la femme ne retirerait pas une part suffisante lui permettant de vivre honorablement. Et, par conséquent, votre commission vous propose un système mixte formulé dans le texte suivant :

« Le calcul sera opéré sur une masse faite de tous les biens existants au décès du de cujus, auxquels seront réunis fictivement ceux dont il aurait disposé, soit par acte entre vifs, soit par acte testamentaire au profit de successibles, sans dispense de rapport.

Mais l'époux survivant ne pourra exercer son droit que sur les biens dont le prédécédé n'aura disposé ni par acte entre vifs ni par acte testamentaire.

Il cessera de l'exercer dans le cas où il aurait reçu du défunt des libéralités, même faites par préciput et hors part, dont le montant atteindrait celui des droits que la présente loi lui attribue, et, si ce montant était inférieur, il ne pourrait réclamer que le complément de son usufruit. »

C'est sur ce texte que porte mon amendement.

La différence entre les deux systèmes est considérable. En effet, la Chambre des députés veut un rapport effectif et réel, c'està-dire que dans Texemple que j'ai pris, d'après le système de la Chambre des députés, le quart de la masse sur laquelle le calcul doit s'opérer est de 250,000 fr.

Or, comme il n'y a que 200,000 fr. comme biens existants, les héritiers doivent rapporter les 50,000 fr. de différence pour complèter à l'époux survivant les 250,000 fr. d'usufruit.

La commission du Sénat dit : Non, cela irait trop loin et apporterait une perturbation considérable dans l'état des fortunes. Voyez-vous ces enfants ou même cet enfant unique qui a reçu tout ce qui est sorti du patrimoine du père de famille, qui en jouit depuis longtemps, qui a pu l'aliéner, et qui par le fait de cette disposition excessive votée par la Chambre des députés est obligé d'en effectuer le rapport! Et la commission du Sénat trouve ce système absolument inacceptable.

Elle en maintient cependant la base et décide que le rapport aura lieu, mais fictivement. Tous les biens sortis seront réunis

en une masse, mais le droit de l'époux survivant ne s'exercera que sur les biens existants. Ainsi, dans notre exemple, en théorie, le droit de l'époux est de 250,000 fr. Mais comme il n'y a que 200,000 fr. de biens existants, c'est seulement sur ces 200,000 fr. que le droit du conjoint survivant s'exercera. Vous voyez donc très distinctement les trois systèmes : le système que le Sénat a voté en 1877 et qui fait porter le droit de jouissance sur les biens existants seulement; le système de la Chambre des députés qui veut que le rapport soit réel, qui exige que tous les biens sortis du patrimoine de l'époux décédé soient réunis aux biens existants; et enfin le système intermédiaire mixte que M. le garde des sceaux, d'après ce que nous a appris M. Delsol, aurait qualifié d'ingénieux, qui consiste à ne faire qu'un rapport fictif, d'après lequel ceux qui auraient reçu des biens les couserveront, le conjoint survivant ne prenant purement et simplement que ce qu'il y

aura.

Je n'ai pas pu, dans la commission, me rallier à ce système. Il a été développé très habilement par son auteur, notre honorable collègue M. Lacombe, et la commission lui a donné son adhésion. J'ai eu le regret de me séparer absolument de mes collègues sur cette question particulière; j'ai toujours pensé et je crois encore que le système du Sénat est le plus simple et le plus naturel, celui qui donne, dans une juste mesure, satisfaction à la pensée dont la loi s'inspire, qui ne va ni plus loin ni moins loin qu'il ne faudrait, et je vous présente aujourd'hui ce texte en vous priant de me prêter votre bienveillante attention pendant le court développement que je donnerai aux considérations qui me paraissent en justitier la doctrine.

Messieurs, j'ai eu l'occasion de dire, dans la précédente discussion, et je répète que cette vocation héréditaire ou successorale, peu importe le mot, d'une personne complètement étrangère par les liens du sang à celui dont il s'agit de partager la fortune, que cette vocation héréditaire a bien quelque chose d'un peu anormal, étant donnée cette idée, dont nous sommes absolument imbus, que la parenté est la base même du système de dévolution des successions et qu'il y a un puissant intérêt social à ce que les biens soient conservés dans la famille.

Je comprends que beaucoup de bons esprits n'acceptent pas facilement le principe

de la loi.

Quant à moi, je n'y fais pas d'objection; mais je demande que, si l'on fait quelque chose, si l'on appelle à la succession, en présence de parents, remarquez qu'il ne s'agit plus de la succession à attribuer quand il n'y a plus de parents, - si l'on prend aux héritiers quelque chose, quoi que ce soit dans la succession, pour l'attribuer à quelqu'un qui n'a aucune espèce de rapport de consanguinité avec le défunt, on agisse prudemment, avec circonspection. C'est, je crois, le but que vous aviez atteint en 1877.

Je fais un reproche à ce double système; car je puis les discuter en même temps, puisqu'ils ne diffèrent que par une sorte de fiction. Vous avez bien compris que la Chambre des députés veut un rapport réel, que la commission du Sénat veut un rapport fictif; ceci laisse la discussion entière et, par conséquent, je peux m'adresser à l'un et à l'autre système pour les comparer avec celui que je préfère.

Je fais à ce système un grand reproche en fait; en droit, nous verrons ce que cela peut valoir, et si, au point de vue des principes, il n'y a pas un inconvénient très considérable, signalé par M. le rapporteur lui-même, à se lancer ainsi dans un sys

tème absolument nouveau, qui me parait complètement en opposition avec les principes qui, de tout temps, ont régi la matière; mais, quant à présent, je ne parle que d'une objection de fait qui me paraît très grave.

Je prétends que si vous adoptez l'un ou l'autre des systèmes, si vous ne restreignez pas le droit de jouissance de l'époux survivant aux biens existants dans la succession du prédécédé, vous faites une violence évidente aux intentions du défunt.

Vous savez, messieurs, que c'est la deuxième base à laquelle toutes les lois du monde se sont attachées pour organiser la dévolution successorale: d'abord l'intérêt social qui consiste à conserver les biens dans la famille et à n'appeler comme héritiers que des parents, et, d'autre part, l'intention très louable, très légitime, très respectable de donner satisfaction aux affections présumées de celui dont il s'agit de partager la succession.

Eh bien, je soutiens que, dans le cas qui nous occupe, quand un homme est propriétaire de 1 million en tout, qu'il a voulu en distraire 800,000 fr. au profit de ses enfants et qu'il laisse 200,000 fr. de biens existants, si vous faites porter votre droit de jouissance au profit de la femme sur autre chose que sur les biens existants, vous violez la volonté, qui me semble évidente, du défunt.

ment dans tous ses écrits et dans le dis- | de la dernière séance, vous parlait de ce
cours qu'il a prononcé à la tribune du fonctionnaire, de ce vieux serviteur de
Sénat ?
l'Etat, qui a donné tous ses biens, de son
vivant, à ses enfants, se réduisant à sa pen-
sion de retraite. Il meurt, il n'y a plus rien
dans sa succession, et, sauf le droit parti-
culier qui appartient à la veuve sur la pen-
sion de retraite du mari, la femme se trouve
en face du néant, il n'y a plus rien sur quoi
elle puisse exercer son droit.

Faut-il vous relire ce passage si énergi-
que, cette défense si complète du projet de
loi dont M. Delsol s'est fait l'inspirateur?
Faut-il vous dire qu'il proteste à tous les
passages, à toutes les lignes, que son inten-
tion n'est pas de faire du conjoint un héri-
tier, que ce n'est qu'un successeur irrégu-
lier qui est appelé par une dévolution sui Je vous ferai d'abord observer que dans
generis? Et, dès lors, comment conciliez-le système que vous préconisez et dont
vous cette situation, si vous admettez le vous demandez l'adoption au Sénat, la si-
conjoint au droit d'exercer un rapport réel tuation peut être absolument la même.
ou fictif, avec votre amour des principes du Comme votre rapport n'est que fictif;
code civil?
comme vous n'obligez pas l'héritier à
rien rapporter de ce qu'il a reçu précédem-
ment par acte entre vifs ou par dispo-
sitions testamentaires, si tous les biens
sont sortis de cette façon des mains du
père, il n'y aura rien non plus comme
bien existants, qui sont seuls là garantie de
votre droit de jouissance.

Je n'ai pas la prétention de faire ici un cours de doctrine et de législation; mais enfin je rappelle, messieurs, à tous ceux qui se sont occupés de ces matières, que s'il est un principe certain, absolu, dans le code civil, c'est que le rapport n'est dû que par l'héritier à son cohéritier.

On nous a parlé de l'enfant naturel et l'on nous a dit : Comment! vous accordez à l'enfant naturel le droit de faire rapporter pour compléter sa réserve, et vous ne voulez pas l'accorder à la femme ?

Messieurs, permettez-moi de vous le dire, je ne suis pas embarrassé de cette comparaison. Je demande pardon à ceux dont je risque de froisser les opinions, je suis de ceux qui trouvent que les enfants naturels sont sacrifiés par notre législation et qui pensent qu'il y a peut-être quelque chose à faire en leur faveur.

Par conséquent, je suis loin de récriminer contre cette doctrine de la législation actuelle en vertu de laquelle l'enfant naturel, qui a une sorte de réserve, un droit déterminé sur la succession de son père, s'il trouve que ce droit ne peut pas s'exercer en raison de libéralités antérieures, ait tout au moins le droit modeste de demander qu'on lui complète cette sorte de réserve.

Voyons, messieurs, est-il possible que la vie commune, la vie conjugale, que cette cohabitation de tous les instants, que cette influence si pénétrante que les époux exercent l'un sur l'autre, laissent place, entre époux, à l'hypothèse du vieillard de La Bruyère, dont nous parle le rapport à la Chambre des députés, qui a eu, pendant trente ans, l'intention de faire un testament, et qui est mort sans le faire? Est-ce que vous ne comprenez pas que vous êtes dans une situation qui comporte nécessairement une série de dispositions antérieures Mais ici, est-ce que vous êtes en face entre vifs ou testamentaires, et que, par d'une personne unie au défunt par des liens conséquent, il est impossible que l'époux aussi forts que ceux de la naissance? Comqui aurait voulu que les biens qu'il donnement, l'enfant naturel deshérité par la loi à son enfant ou à ses enfants fussent affec- de ce qui devrait lui revenir, s'il était légités, après sa mort, d'un droit de jouissance time, dans la succession paternelle, cet enau profit de son conjoint, ne le dise pas? fant n'a qu'un droit de réserve, de créance Est-ce que, ayant démontré clairement contre la succession de son auteur, une ma volonté, par ce fait que, entre ces deux créance dans toute la force du terme, il affections, mon fils et ma femme, j'ai donné ne trouve pas moyen de la recouvrer sur à mon fils une somme de... pour son éta- les biens existants, il en demandera le blissement, laissant dans ma succession complément à ceux qui ont reçu le surplus, une autre somme de..., sur laquelle ma et qui doivent le rapport, et vous compafemme sera appelée, en vertu de la loi non- rerez cette situation à celle du conjoint! velle, à exercer sa jouissance, vous croyez possible, un seul instant, que, après ma mort, ma femme revienne sur ma donation entre vifs au profit de mon fils, alors que cette donation remontera peut-être à vingt-cinq ou trente ans, alors que mon enfant s'est habitué légitimement à se considérer comme le propriétaire et le maître de cette part, que peut-être il en a aliéné lui-même une partie, que sa mère ou une seconde femme puisse venir lui dire Vous rapporterez une partie des biens?

Quel serait donc le motif pour admettre cette entorse violente aux príncipes du code civil?

Il ne faut pas se le dissumuler la seule pensée qui puisse guider les auteurs de la proposition, est celle-ci : Il est bien possible et il arrivera souvent que si on s'en tient aux biens existants, si le calcul du droit de jouissance de la femme ne porte que sur les biens existants, l'existence de la femme ne puisse pas se continuer dans les conditions honorables où on veut la placer. Il s'agit d'honorer le mariage; on est en M. Edouard Millaud. C'est le système fonder la famille; elle a pris sa part d'une face de la mère, de celle qui a contribué à de la Chambre! existence plus ou moins opulente pendant tout le temps que le mariage a duré; la dissolution du mariage arrivant, si vous la réduisez comme dans le cas particulier à un quart de jouissance sur les biens existants, sur 50,000 fr. par exemple, cela peut êtré insuffisant.

M. Demôle. J'entends bien. Donc, à mon avis, lorsque le père de famille a disposé de ses biens ou d'une partie de ses biens antérieurement, par disposition entre vifs ou par acte testamentaire, il a soustrait absolument ses biens aux recherches du conjoint survivant.

Mais la commission du Sénat dit: «Soit; on n'exercera pas de rapport, on le fera fictivement. » Un rapport fictif en ces matières?... Est-ce que M. le rapporteur, qui s'est rallié à cette nouvelle manière de faire, oublie ce qu'il nous a dit constam

Donc, vous êtes en face d'une de ces situations contre lesquelles il est inutile de récriminer, qu'il faut savoir accepter, et j'ajoutais, messieurs, dans la commission: Mais c'est là le motif de la nouvelle innovation que nous faisons au droit civil !

Il n'en a pas été parlé jusqu'à présent, mais vous l'avez bien vu en lisant les pièces de l'instruction, nous créons de toutes pièces un nouveau droit alimentaire au profit de l'époux survivant contre la succession de l'époux prédécédé. Cela n'existait à aucun point de vue.

L'article 205 du code civil n'organise l'action alimentaire qu'au profit des enfants contre les père et mère ou au profit des père et mère contre les enfants. L'époux survivant était complètement déshérité du droit d'exercer une action de cette nature.

On s'est dit: s'il en est ainsi et que la femme ne trouve pas dans la succession le moyen de continuer la vie d'aisance qu'elle a eue jusqu'à présent, on ne peut pas laisser le père ou la mère de famille en présence d'une succession plus ou moins opulente qui est entre les mains des héritiers; on ne peut pas, si la fortune vient de la femme, laisser traîner le père dans le besoin! Et si la fortune vient du père, comment la femme vivra-t-elle ?

Et alors est venue cette pensée, à laquelle aucun de nous n'a fait objection, de faire une innovation au code civil, et, de la même façon que vous aviez modifié l'article 767 sur la dévolution successorale, de modifier l'article 205.

Je trouve, en effet, dans la dernière partie des propositions de votre commission, un passage qui est à peu de choses près celui qui a été voté par la Chambre des députés. C'est l'article 2, ainsi conçu :

« L'article 205 du code civil est ainsi modifié :

« Art. 205. Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. La succession de l'époux prédécédé en doit, dans le même cas, à l'époux survivant. »

Voilà qui est bien clair; s'il n'y a rien me, monsieur le rapporteur, comme dans dans les bien existants, dans votre systèle mien, qui est celui du Sénat, il n'y aura rien sur quoi puisse s'exercer le droit de jouissance de la femme. Alors c'est pour cela que nous créons cette action alimentaire qui permettra à l'époux survivant de se retrouver dans une situation convenable.

C'est une appréciation de fait contre la- Là encore nous retrouvons les discusquelle aucun de nous n'a la pensée de sions antérieures auxquelles on s'est livré, s'élever; cela sera ainsi dans certains cas, les opinions exprimées par les cours d'apcela sera autrement dans d'autres. Peut-pel ou par les facultés de droit. J'ai déjà, être arrivera-t-il que comme bien existants peut-être, abusé des citations, et cependant il n'existera rien du tout. je vous demande la permission de vous lire L'honorable M. Delsol, dans son discours | l'opinion de la faculté de droit de Paris.

Avec M. Delsol, c'est elle qui est la procréatrice de la proposition sur laquelle nous discutons. Le projet de M. Delsol était muet sur cette question du calcul du rapport, et la faculté de droit, consultée, faisait l'observation dont je vais vous donner connaissance.

Mais si l'on ne dit rien du mode d'établissement du calcul de la part de jouissance que l'époux survivant doit prendre sur la succession, ne pourrait-on pas soutenir qu'on retombe dans le système général de l'article 843, ce qui, aux yeux de la faculté de Paris, ne valait pas mieux qu'aux miens? La Chambre des députés n'a pas partagé cet avis; elle a passé sous silence le calcul de la dévolution successorale de l'époux survivant, car elle a placé la thèse de droit commun dans l'application de l'article 843

du code civil.

La faculté de droit de Paris, s'expliquant sur le projet de M. Delsol et consultée sur cette partie, s'est exprimée ainsi :

« Le projet de M. Delsol ne déroge pas au droit commun, en ce qui touche le rapport à succession. Le conjoint serait donc soumis au rapport et pourrait le réclamer.

«La faculté est d'avis, à la majorité (7 voix contre 6) d'insérer dans le projet une disposition d'après laquelle l'époux ne pourra demander le rapport et n'y sera pas assujetti.

«La minorité a fait valoir en faveur du projet, c'est-à-dire du rapport réciproque: 1° que le but de la loi, relever la condition du conjoint, ne saurait être atteint, si le conjoint, en matière de rapport, était mis hors du droit commun, et se voyait refuser rels; 2° que l'usage, de plus en plus généce qui appartient même aux enfants natural, encouragé par les notaires, restreint à des proportions minimes les avantages stipulés dans le contrat de mariage; que cette sage pratique serait abandonnée lorsqu'on verrait, par l'application de la nouvelle loi, l'époux réduit, en présence d'enfants dotés, à prendre son tiers en usufruit sur ce qui resterait dans la succession ab intestat du prédécédé; que cette succession pourrait, soit par suite de revers de fortune, soit parce que le prédécédé jouissait d'un traitement, d'uue pension de retraite, d'un usufruit, être inférieure au tiers de la masse formée des biens existants dans la succession et des biens donnés aux enfants en avancement d'hoirie; 3° que si, parmi les enfants laissés par le prémourant, il en était, ce qui arriverait souvent, qui n'eussent pas encore été dotés, le survivant partagerait avec ces enfants, exercerait son usufruit sur leurs biens, tandis qu'il ne pourrait le réclamer sur les biens des enfants déjà dotés, d'où une inégalité au préjudice des enfants non dotés; 4° que l'amendement amènerait de plus une grave complicatton dans les liquidations de successions, puisque les biens rapportés par les enfants dotés aux enfants non dotés seraient remis dans la masse en pleine propriété, tandis que les biens existants n'y figureraient que frappés de l'usufruit du survivant; 5° enfin que la disposition proposée donnerait à chaque conjoint un intérêt de détourner son époux du projet de faire des avancements d'hoirie; que sans doute cette prévoyance égoïste répugnerait à un père ou à une mère, mais que souvent elle inspirerait un oncle ou une tante par alliance.

rait une grande perturbation dans la for- | tune du survivant qui devrait rapporter ce qu'il aurait reçu de son conjoint, même par contrat de mariage, et dans la fortune de l'enfant, surtout de l'enfant unique qui serait tenu de se dessaisir quant à la jouissance des biens qui depuis longtemps déjà lui auraient appartenu en pleine propriété; 3° que le droit du conjoint est un droit de succession sui generis; que dès lors ce droit peut être placé, à certains égards, en dehors des règles communes; que si parfois les biens existants dans la succession ne fournissent pas au conjoint la quotité légale de son usufruit, et que la jouissance à laquelle il est appelé soit insuffisante pour le faire vivre, ce conjoint aura la ressource de réclamer sur la succession la

pension alimentaire que la faculté propose

de lui accorder. »

Suit la formule votée par le Sénat et que la faculté de droit proposait pour combler la lacune qui existait dans la loi. Lorsque le Sénat a voté cela, il l'a voté en pleine connaissance de cause. Les considérations sur lesquelles il s'est appuyé sont évidemment de deux sortes d'abord les graves inconvénients qu'il y aurait de toucher aux règles du code civil en matière de rapport; les perturbations sérieuses, profondes, qu'un rapport de cette nature pourrait exercer dans la fortune de

tout le monde.

En second lieu, la nécessité de tenir compte des volontés très évidentes ou très faciles à présumer du défunt, qui, lorsqu'il a fait sortir un immeuble de son patrimoine, a exprimé de la façon la plus claire droit de jouissance de son conjoint s'appliqu'il n'entendait pas qu'en cas de mort, le quât à cet immeuble. Et enfin, messieurs, cette considération qu'il ne faut pas loin; que vous faites une innovation considérable, que, pour la rendre acceptable, il faut la ramener à de justes proportions, que si l'époux survivant ne trouve pas dans la part que vous lui attribuez la possibilité de vivre honorablement, il pourra exercer son action alimentaire.

aller trop

Quand j'ai parlé de l'action alimentaire devant la commission, il y a eu comme un mouvement d'étonnement. Comment, a-t-on dit, astreindre l'époux survivant à cet e humiliation de demander une pension alimentaire à la succession du prédécédé ?

Mais, en vérité, messieurs, c'est faire du sentiment hors de propos. De quoi s'agit il donc? D'assurer à ce conjoint survivant une situation qui ne soit pas trop inégale avec celle qu'il occupait précédemment. Jusqu'à présent, il était réduit à ses propres ressources; il n'était pas héritier, il n'avait pas de droit alimentaire.

Qu'est-ce que nous voulons aujourd'hui ? Nous voulons que, à côté d'un droit, qui sera d'une importance plus ou moins grande, qui pourra être très inférieur, qui peut-être, suivant les circonstancee, pourra se réduire à rien, nous voulons, dis-je, qu'à côté de cela, il ait une action alimenmentaire qui lui permette de tenir son rang dans le monde, tel qu'il doit le tenir à la vue des héritiers de son mari investis d'une situation avantageuse.

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J'estime, pour tous ces motifs, qu'il ne faut pas dépasser les bornes du raisonnable, qu'en créant un nouveau droit successoral nous faisons une chose considérable et qu'il faut se garder de l'étendre de telle sorte que les intérêts d'à-côté en soient trop violeniment froissés, que le Sénat, en 1877, a trouvé la solution juste et qu'il convient de s'y tenir.

« D'autres motifs ont touché la majorité de la faculté. Elle a pensé : 1o que l'intention du premier mourant sera que le droit du survivant ne dépasse pas la jouissance des biens qui n'auront pas été donnés; en Je dis que le système contraire est excesd'autres termes, que ce conjoint ne re-sif; je lui reproche de s'inspirer d'un sencueille, ab intestat, que ce qui, aujourd'hui, timent exagéré et je demande au Sénat de peut lui être donné par testament; 2° que revenir purement et simplement au sysf'obligation réciproque du rapport amène- tème voté en 1877. (Marques d'approbation.)

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M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. le rapporteur. L'amendement que vient de discuter l'honorable M. Demôle a une très haute importance, je dirai même ties vives de la loi sur laquelle vous avez à que c'est l'amendement qui touche aux parvous prononcer. Il s'agit, messieurs, de savoir comment, sur quelle masse doit être calculé l'usufruit que le projet accorde au conjoint survivant. Le Senat, en 1877, ainsi que l'a dit l'honorable M. Demôle, avait dément sur les biens existants dans la succidé que l'usufruit se calculerait uniquecession. La Chambre des députés a adopté un système tout à fait différent, et elle a dit:

L'usufruit se calculera sur une masse

qui comprend les biens existants et en ouconséquent les biens qui sont sujets à tre les biens donnés à des successibles, par rapport.

des biens sujets à rapport, entendait un Et la Chambre des députés, en parlant rapport effectif comme celui qui se fait entre des héritiers, des enfants appelés à recueillir la succession de leur père ou de leur mère.

Voilà les deux systèmes en présence. Ces deux systèmes ont trouvé des contradicteurs dans la commission, et la majorité n'a accepté entièrement ni l'un ni l'autre.

Pourquoi la commission n'a-t-elle pas accepté le premier système du Sénat? Par une raison qui me paraît évidente : c'est que, si on ne calcule l'usufruit du conjoint survivant, qui est d'un quart, etc., que sur contenant que très peu de biens présents, les biens existants, il peut arriver, par suite d'événements divers, que la succession ne cet usufruit soit réduit à presque rien; et alors le but de la loi n'est pas atteint, car

ce but est de relever la condition du contence honorable sans l'obliger à recourir à joint survivant et de lui assurer une exisune demande en pension alimentaire. Or Vous savez que ces sortes de demandes se règlent difficilement et rarement sans l'intervention de la justice.

La Chambre des députés a donc écarté le système adopté par le Sénat, et la majorité de votre commission l'a repoussé également.

Je crois que cette opinion n'avait dans son sein qu'un représentant unique : c'était l'honorable M. Demôle lui-même.

Le système adopté par la Chambre des députés, qui exige le rapport effectif, a, d'autre part, de graves inconvénients. Il est inutile que je les relève puisqu'ils ont été énumérés longuement par mon honorable contradicteur.

Quelle solution votre commission devaitelle alors adopter?

Elle s'est dit: Il ne faut pas que l'usufruit du conjoint survivant vienne troubler les détenteurs de biens antérieurement donnés et jeter parmi les héritiers la perturbation qu'un rapport effectif amène toujours dans le partage des successions.

D'un autre côté, il ne faut pas calculer cet usufruit d'une manière tellement étroite et mesquine qu'il se réduise à rien, en présence d'une succession qui peut avoir son importance pour les biens donnés, sinon pour les biens existants.

Votre commission a donc été conduite à adopter un système intermédiaire, que je vous demande la permission de préciser en prenant quelques chiffres.

Mon honorable contradicteur a fait tout à l'heure une hypothèse: Il y a 200,000 fr. dans la succession, plus 800,000 fr. donnés, total 1 million. C'est là une hypothèse à laquelle je ne rattacherai pas mon argumentation, parce qu'il s'agit d'une succession opulente et que ce ne sont pas les succes

« EelmineJätka »