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Dépôt, par M. Yves Guyot, ministre des travaux publies, au nom de M. le ministre des finances, de deux projets de lois, adoptés par la Chambre des députés :

Le 1er, portant prorogation de surtaxes per-
çues sur le vin, le cidre et l'alcool à l'oc-
troi de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord);
Le 2, portant prorogation d'une surtaxe
perçue sur l'alcool à l'octroi de Sisteron
(Basses-Alpes).

Renvoi à la commission d'intérêt local. Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des députés, portant prorogation d'une surtaxe sur l'alcool à l'octroi de PontCroix (Finistère). Adoption. Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des députés, tendant à autoriser le département de l'Ariège à s'imposer extraordinairement. Adoption.

Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des députés, portant établissement de surtaxes sur le vin et l'alcool à l'octroi de Mende (Lozère). Adoption.

Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des députés, portant prorogation de surtaxes perçues sur le vin et sur l'alcool à l'octroi de Dunkerque (Nord). -- Adoption. Discussion du projet de loi, adopté par la Chambre des députés, portant prorogation d'une surtaxe perçue sur l'alcool à l'octroi du Faou (Finistère). Adoption. Suite de la 2 délibération sur la proposition de loi, adoptée par la Chambre des députés, modifiée par le Sénat, adoptée avec modifications par la Chambre des députés, sur le contrat de louage et sur les rapports des agents des chemins de fer avec les compagnies.

Disposition additionnelle proposée par M. Bernard. Amendement de M. Trarieux MM. Bernard, Cuvinot, rapporteur; Trarieux, Buffet, Gustave Humbert, Reymond, Lacombe, Yves-Guyot, ministre des travaux publics. Adoption au scrutin de l'amendement de M. Trarieux. Art. 3 du contreprojet de M. Hippolyte Maze MM. Cuvinot, rapporteur; de Marcére, Hippolyte Maze, Volland, Reymond, Yves Guyot, ministre des travaux publics; Morel, Gustave Humbert, le président. Adoption, avec modifications, des articles 4 et 5. Adoption de l'ensemble de l'article 1er. = Adoption, au scrutin, de l'ensemble de la proposition de loi. Communication, par M. le président, relative au décès de M. le comte de Bondy, sénateur de l'Indre MM. l'amiral Peyron, le pré

sident.

Congé.

=

Règlement de l'ordre du jour.

Fixation de la prochaine séance au mardi 2 décembre.

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DÉPOT DE PROJETS DE LOIS

M. Yves Guyot, ministre des travaux publics. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau du Sénat, au nom de M. le ministre des finances, deux projets de lois adoptés par la Chambre des députés, tendant :

Le 1er, à proroger une surtaxe sur le vin, le cidre et l'alcool à l'octroi de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord);

Le 2°, à proroger une surtaxe sur l'alcool à l'octroi de Sisteron (Basses-Alpes).

M. le président. Ces projets de lois sont renvoyés à la commission d'intérêt local. Ils seront imprimés et distribués.

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(L'article 1er, mis aux voix, est adopté.) M. le président. << Art. 2. Le produit de la surtaxe mentionnée à l'article précédent est affecté en partie à l'amortissement d'un emprunt de 37,000 fr. contracté au Crédit foncier, et le surplus est employé au payement des dépenses devant résulter de l'exécution de divers travaux communaux énumérés dans la délibération du 9 fé

vrier 1890.

« La municipalité est tenue de justifler, chaque année, au préfet, de l'emploi dé cette ressource dont le compte général, tant en recette qu'en dépense, sera fourni à l'expiration du délai fixé par la présente loi. » — (Adopté.)

Je consulte le Sénat sur l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi, mis aux voix, est adopté.)

Le Sénat adopte successivement et dans la même forme les projets de loi dont la teneur suit:

2o PROJET

« Article unique. - Le département de l'Ariège est autorisé, conformément à la demande que le conseil général en a faite, à s'imposer extraordinairement, en 1891, 8 centimes additionnels au principal des quatre contributions directes, pour en affecter le produit au payement de diverses dépenses d'intérêt départemental.

<< Cette imposition sera recouvrée indépendamment des centimes extraordinaires dont le maximum est fixé, chaque année, M. le président. La parole est à M. le par la loi de finances, en vertu de la loi du ministre des travaux publics.

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10 août 1871. >>

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3. PROJET

« Art. 1er. Est autorisée, à partir de la promulgation de la présente loi jusqu'au 31 décembre 1894 inclusivement, la perception à l'octroi de Mende (Lozère), des surtaxes suivantes, savoir :

«1° 48 centimes par hectolitre sur les vins;

«2° 1 fr. 50 par hectolitre sur l'alcool pur contenu dans les eaux-de-vie, esprits, liqueurs, fruits à l'eau-de-vie et absinthes.

« Ces surtaxes sont indépendantes des droits de 88 centimes par hectolitre de vin et de 6 fr. par hectolitre d'alcool pur, établis à titre de taxes principales sur les mê mes boissons. » << Art. 2. - Le produit des surtaxes est exclusivement affecté aux travaux mentionnés dans la délibération du conseil munici pal de Mende, du 31 janvier 1890.

---

«La municipalité est tenue de justifier, chaque année, à la préfecture, de l'emploi de cette ressource extraordinaire au payement de la dépense spéciale en vue de laquelle elle est autorisée.

« Le compte général de ce produit, tant en recette qu'en dépense, sera fourni à l'expiration du délai fixé par l'article 1er de la présente loi. »

4o PROJET

Art. 1er. Est autorisée la prorogation, jusqu'au 31 décembre 1892 inclusivement, des surtaxes suivantes actuellement perçues sur les boissons à l'octroi de Dunkerque (Nord), en vertu de la loi du 16 juillet 1887, savoir:

« 1° 2 fr. 75 par hectolitre de vin;

« 2o 14 fr. par hectolitre d'alcool pur compris dans les eaux-de-vie, esprits, absinthes, liqueurs et fruits à l'eau-de-vie.

sons.

« Ces surtaxes sont indépendantes des droits de 4 fr. 16 et de 21 fr. perçus à titre de taxes principales sur les mêmes bois<<< Art. 2. Les surtaxes autorisées par l'article qui précède sont spécialement affectées au payement des dépenses résultant des travaux de l'hospice.

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« L'administration locale est tenue de justifier, chaque année, au préfet, de l'emploi de ces surtaxes, dont le produit fera l'objet d'un compte général, tant en recette qu'en dépense, qui devra être fourni à l'expiration de la durée fixée par la pré

sente loi.

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SUITE DE LA 2 DÉLIBÉRATION SUR LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE AU CONTRAT DE LOUAGE D'OUVRAGE.

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la 2° délibération sur la proposi tion de loi, adoptée par la Chambre des députés, modifiée par le Sénat, adoptée avec modifications par la Chambre des députés, sur le contrat de louage et sur les rapports des agents des chemins de fer avec les com pagnies.

L'article 2 du contre-projet de M. Maze a été rejeté hier; mais M. Bernard reprend, à titre de paragraphe additionnel à l'article 1er, l'article 3 du texte de la Chambre des députés qui est ainsi conçu :

12

1094

« Toute stipulation contraire aux dispositions qui précèdent est nulle de plein droit. »

La parole est à M. Bernard pour développer son amendement.

M. Bernard. Messieurs, si je suis bien renseigné, votre commission est en séance à l'heure qu'il est pour délibérer sur l'objet même de mon amendement et, en même temps, sur une nouvelle rédaction qui aurait été proposée par notre honorable collègue M. Trarieux, et qui viserait également les dispositions de l'article 3.

J'ai été pressenti par quelques-uns de nos honorables collègues de la commission pour savoir si je consentirais à me rallier à la rédaction de M. Trarieux. Je serais d'autant plus disposé à le faire que, si j'ai bien compris la proposition qu'il présente, il n'y a, entre celle-ci et mon amendement, qu'une différence de forme. Notre but à tous deux est le même; nos amendements ont le même objet. Dans ces conditions, le Sénat pensera sans doute avec moi qu'il conviendrait, avant d'aborder la question qu'ils soulèvent, de connaître l'avis de votre commission et, ensuite, de permettre à M. Trarieux de développer sa proposition.

M. le président. Monsieur le rapporteur, M. Bernard vient d'expliquer au Sénat qu'une proposition nouvelle, qui reproduirait quant à son objet et à ses résultats l'article additionnel qu'il avait présenté, est soumise en ce moment à l'examen de la commission. La commission a-t-elle pris une résolution?

M. Cuvinot, rapporteur. La commission délibère, monsieur le président. Je venais justement chercher plusieurs de nos collègues pour les engager à prendre part à cette délibération, afin d'être en sure d'apporter au Sénat une rédaction ferme.

me

M. le président. La commission a sans doute besoin d'un quart d'heure?

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au texte qui nous était présenté une dispo- |
sition qui en imposait le respect.

Je viens, maintenant, tenir l'engagement
que j'ai pris de vous présenter cette sanc-
tion nécessaire, et je vous demande de
voter le paragraphe additionnel ci-après, sur
lequel, je l'espère, la commission n'hésitera
« Les parties ne peuvent renoncer à
pas à se mettre d'accord avec moi.
l'avance au droit éventuel de demander
des dommages-intérêts en vertu des dispo-
sitions qui précèdent. »

Cette disposition est assez simple, assez
claire, assez nette pour qu'il soit inutile d'y
ajouter un commentaire. Elle n'a rien, du
reste, d'anormal, car elle ne sort pas du
principe général de l'article 1780. L'inter-
diction du contrat de louage perpétuel
qu'exprime cet article est, en effet, un prin-
cipe d'ordre public et général auquel il ne
culières. Il est donc tout naturel que les
peut être dérogé par des dispositions parti-
dispositions qui vont compléter cette règle
participent du même caractère, et qu'on n'y
puisse également déroger. Je me permets
de penser, messieurs, que cet amendement
ne rencontrera pas de contradicteur parmi
ceux d'entre vous qui, en votant avec la
commission, ont le dessein de réaliser un
progrès efficace. (Très bien! très bien!)

M. le rapporteur. La commission adopte
l'amendement de M. Trarieux.

M. Bernard. Je demande la parole.
M. le président. Vous avez la parole.
M. Bernard. L'amendement, messieurs,
que j'avais eu l'honneur de présenter n'est,
en définitive, que la reproduction textuelle
de l'article 3, tel qu'il était sorti des déli-
bérations de la Chambre des députés.

Voici quel est le texte de cet article 3:
«Toute stipulation contraire aux disposi-
tions qui précèdent est nulle de plein
droit. >>

lecture, messieurs, de la proposition de M. Trarieux:

« Les parties ne peuvent renoncer à l'avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions qui précèdent. »>

Quelqu'un demande-t-il la parole?
M. de Sal. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de
Sal.

M. de Sal. Messieurs, il y a dans le code civil un article 1134 qui est conçu dans les

termes suivants :

« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont

faites. >>

Or, je ne vois pas pourquoi dans des contrats que je considère comme des cond'un contrat de louage qui sera fait entre trats d'ordre purement privé, quand il s'agit patrons et ouvriers, vous déclareriez que l'article 1134 ne trouvera pas son application. Quant à moi, je prétends que la première se forme entre deux parties; je ne vois pas loi, la plus véritable c'est la convention qui en quoi l'ordre public pourrait se trouver engagé dans un débat ou dans une question de louage de cette nature, et comment on interdirait l'application de cet article 1131; je voudrais au contraire que cet article fut appliqué avec toute sa force et sa portée.

Je trouve, en effet, que les meilleurs contrats sont ceux qui se font directement entre les parties intéressées, car elles sont censées savoir mieux que tout autre ce qu'elles veulent. Par conséquent entre ouvriers et patrons et réciproquement entre patrons et ouvriers.

Je ne vois pas ce que le législateur viendrait faire en pareille matière; je ne comprends pas ce besoin de légiférer à outrance et d'intervenir dans des contrats comme ceux-ci, alors qu'il pourra, dans une certaine mesure, être pris des moyens la disposition de la loi que vous nous demandez de voter. Ne peut-on pas, par parfaitement légaux qui pourront tourner lecture. M. le marquis de Carné. Nous l'avons à exemple, prévoir la non-exécution de ce peine entendue!

A cet article additionnel que j'avais repris, M. Trarieux a substitué une nouvelle M. le rapporteur. Oui, monsieur le pré- rédaction dont on vient de vous donner sident.

A gauche. On pourrait suspendre la séance.

M. le président. Il n'y a pas d'opposition ?...

La séance est suspendue pour un quart

d'heure.

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M. Bernard. M. Le rapporteur et M. le président me font observer que la commission vient d'accepter, après délibéré, la nouvelle rédaction de M. Trarieux. J'ai fait remarquer il y a un instant au Sénat que, quant à moi, j'étais d'autant plus disposé à m'y rallier que les deux textes ne différaient que quant à la forme et qu'ils répondaient à une pensée commune. Je crois donc qu'il convient d'entendre tout d'abord M. Trarieux, l'auteur de cette nouvelle rédaction. (Très bien!)

M. Bernard. Je ne l'ai pas sous les yeux, mais j'en ai retenu, sinon les termes, du moins le sens général. M. Trarieux dit: « On ne peut renoncer à l'avance au droit éventuel de demander une indemnité en

vertu des dispositions de l'article 1er de la

loi. »

Tels sont, je crois, sinon les termes, du moins le sens exact de la proposition de M. Trarieux.

Eh bien, messieurs, je suis obligé de dire que je n'aperçois pas, à la simple lecture de ce texte, de différence appréciable entre la rédaction de M. Trarieux et la disposition additionnelle dont je vous demandais l'adoption: «Toute stipulation contraire aux dispositions qui précèdent est nulle de plein

droit. »

Quelles sont les dispositions qui précèdent? Ce sont celles de l'article 1er, c'est à-dire l'indemnité éventuelle en cas de résiliation du contrat par la volonté de l'un des contractants.

Si je me trompe, je prie notre honorable collègue de vouloir bien m'éclairer sur ce point. Nous disons tous deux la même M. le président. La parole est à M. Tra- chose, mais nous nous servons de termes rieux.

différents.

contrat, en décidant d'ores et déjà une clause pénale contre laquelle les tribunaux ne pourront rien faire, et devant laner? Quant à moi, je ne vois pas l'utilité, en quelle les juges seront obligés de s'inclipareille matière, de décider que toute convention entre patrons et ouvriers prévenant les dommages-intérêts serait une clause contraire à l'ordre public.

Je ne puis pas accepter qu'il y aurait autre chose qu'une convention d'ordre privé dans laquelle le patron et l'ouvrier ont débattu leurs intérêts. Je défends le code qui nous régit, je ne comprends pas les attanombreuses d'approbation.) ques dont il deviendrait l'objet. (Marques

M. le président. La parole est à M. Trarieux.

M. Trarieux. Messieurs, notre honorable ment méconnaître l'origine de la modificacollègue, M. de Sal, me semble complètetion que nous avons apportée à l'article 1780 du code civil et le résultat que nous voulons atteindre. Pourquoi donc avonsnous cru devoir modifier cet article?

Nous avions constaté, en consultant la jurisprudence de nos tribunaux, que souvent des congés avaient pu être donnés à des employés de grandes compagnies qui, non seulement sans juste cause, les déposencore cette conséquence de leur faire perdre des droits véritables, quoique éventuels, résultant de leur participation à des caisses de retraite ou de la vieillesse. Tel était le cas toutes les fois qu'on trouvait dans

Je n'ai, du reste, pas d'amour-propre M. Trarieux. Messieurs, vous avez voté hier une disposition modificative que la d'auteur, et comme, dans l'un et l'autre cas, sédaient de leur emploi, mais qui avaient commission nous a proposé d'introduire j'obtiens complète satisfaction, je suis tout dans l'article 1780 du code civil, mais j'ai disposé à me rallier à cette nouvelle réeu l'honneur de faire observer, que la rédaction, qui est du reste acceptée par la forme que vous alliez ainsi accomplir n'at- commission. (Très bien !) teindrait pas son but si vous n'ajoutiez pas

M. le président. Je donne une nouvelle

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les statuts de ces caisses des clauses frap-| pant de déchéance tous participants atteints pour un motif quelconque, par une révocation.

C'est ainsi, notamment, que la question ayant été posée à la cour de cassation, cette cour avait, par un arrêt du 4 août 1879, posé ce principe: «que le remboursement des retenues opérées sur le salaire des ouvriers, au profit d'une caisse des retraites, ne pouvait être réclamé par eux, à titre de dommages et intérêts, alors même qu'ils auraient été congédiés brusquement et sans motifs légitimes. »>

Il nous a paru que les réclamations des ouvriers victimes de tels arrêts étaient, dans une large mesure, légitimes, et nous avons pensé qu'il était équitable de les garantir contre des règles dont les conséquences pouvaient être aussi excessives.

C'est ainsi que, réagissant contre de véritables injustices, nous avons été conduits à émettre cette disposition nouvelle par laquelle nous avons ouvert l'action en dommages-intérêts, toutes les fois qu'elle semblerait fondée en équité.

Mais atteindrions-nous notre but si nous laissions aux patrons la latitude de se dérober à ce droit nouveau en introduisant dans leurs contrats de louage l'obligation pour leurs employés de renoncer par avance å en jamais réclamer le bénéfice? Il est bien évident que, si nous ne prenions aucune précaution, nous ne manquerions pas de voir bientôt adopter une clause courante qui ferait de notre Ïoi un texte sans objet. Si nous voulons donc rester dans l'idée inspiratrice de notre loi, qui doit être une loi d'ordre public et social, qui a pour mission de défendre la faiblesse de l'ouvrier contre la puissance du capital associé auquel il engage ses services... (Exclamations.) M. Hippolyte Maze. C'est vrai; elle n'a pas d'autre raison.

M. Trarieux... il faut que nous en assurions l'exécution par l'interdiction de s'y Soustraire au moyen de conventions contraires.

J'ai ainsi répondu, messieurs, à l'honorable M. de Sal, et, maintenant, je vais m'expliquer sur les observations de forme

que nous a soumises M. Bernard.

M. Bernard est pleinement d'accord avec moi, mais il se demande le motif pour lequel je ne me suis pas borné à reproduire le texte de l'article 3 de la loi qui nous vient de la Chambre.

Il voudrait que nous nous bornassions à introduire dans l'article 1780 la rédaction de cet article 3, ainsi conçue :

Toutes stipulations contraires à l'article 1780 seront nulles et de nul effet. » M. le rapporteur. M. Bernard renonce à son amendement.

M. Tolain. Il se rallie au vôtre!

M. Bernard. C'est la formule juridique. M. Trarieux. Je désire expliquer en deux mots pourquoi je ne m'étais pas borné à renouveler ce texte. Je conviens, avec M. Bernard, que la pensée des deux dispositions est la mème et que, enfait, elles atteindraient le même but. Mais on m'a fait observer, dans la commission, qu'interdire d'une manière générale « toute stipulation contraire» serait précisément donner naissance à l'objection que présentait tout à l'heure M. de Sal. On m'a dit : vague; il faut que la clause additionnelle à introduire dans l'article 1780 porte sur la disposition même dont nous voulons imposer le respect.

Or, quelle est cette disposition? C'est l'allocation éventuelle de dommages-intérêts si le juge les trouve équitables. Eh

bien, il faut énoncer purement et simplement que l'ouvrier ne peut pas, par avance, renoncer à ce droit éventuel. »

On a ajouté que c'était, du reste, adopter la forme sous laquelle certaines interdictions de ce genre se trouvaient déjà figurer au code, notamment en ce qui touche les renonciations aux successions non encore ouvertes.

On a vu une sorte d'analogie entre la renonciation anticipée à un droit à des dommages-intérêts non encore ouvert et la renonciation à une succession à venir.

J'avoue que, pour mon compte, je ne suis pas très jaloux des formes et que je n'attache pas une très grande importance à ces nuances de rédaction; cependant, voulant toujours rester d'accord avec la commission, je n'ai fait aucune difficulté de déférer à son avis. Tout ira pour le mieux si M. Bernard se décide à s'y ranger à son tour.

M. Bernard. Voulez-vous m'autoriser, monsieur le président, à présenter une observation de ma place?

M. Buffet. Je demande la parole.

M. Trarieux. Je dis donc, messieurs, que ceux de mes honorables collègues qui se préoccupent avec moi d'assurer l'exécution de la réforme sur le principe de laquelle nous nous sommes mis d'accord ne dotvent point s'arrêter à l'objection qui vient de se soulever à l'improviste; ce qui doit leur faire accorder la préférence à mon texte sur celui de la Chambre, c'est que précisément c'est mon texte qui semblé le mieux pouvoir nous mettre à l'abri d'une pareille objection. (Très bien ! très bien ! sur divers bancs.)

M. Buffet. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. Buffet.

M. Buffet. Messieurs, j'ai eu le regret de ne pouvoir assister à la séance d'hier; mais j'ai lu ce matin dans le Journal officiel, non pas la totalité, mais une partie des observations qui ont été présentées par plu sieurs de nos collègues. Il y en a une, dans

M. le président. La parole est à M. Ber- le discours de M. Tolain, qui m'a particuliè nard.

M. Bernard (de sa place). Je suis persuadé que les intentions de l'honorable M. Trarieux sont excellentes et que le but qu'il poursuit est celui que je poursuis moi-même. Mais, après l'avoir entendu, un doute me vient à l'esprit, et je lui demande s'il ne pense pas que sa nouvelle rédaction, moins générale que celle que je proposais, permettra plus facilement que celleci d'éluder les dispositions de la loi.

M. Trarieux. Comment une pareille crainte pourrait-elle naître ? Ne serait-elle pas, du reste, plu- possible avec votre rédaction vague et générale qu'avec un texte précis et formel? Je reproduis les termes de mon amendement, et j'appelle sur eux toute votre attention.

"Les parties ne peuvent renoncer à l'avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions qui précèdent. »

M. Munier. Si la convention fixe un

rement frappé. Il a dit : « En vérité, en votant la modification de cet article 1780, personne ne sait au juste ce qu'il fait. »

Je crois que la discussion qui vient d'avoir lieu sur l'article 2 qu'on propose dé montre la justesse de cette observation. M. Tolain. Pas le moins du monde.

M. Buffet. Je crois pouvoir dire que très peu de membres de cette Assemblée pou vaient supposer que cette disposition de la loi irait jusqu'à interdire, comme contralre à l'ordre public car c'est la seule restriction que vous puissez apporter à la liberté des contrats, la clause d'une convention d'après laquelle un patron, engageant un employé ou un ouvrier, lui dirait: Notre contrat n'a pas une durée déterminée, mais je puis prévoir dès à présent que différentes circonstances m'obligeraient, à une époque que je ne puis fixer aujourd'hui, à me priver de vos services; dans ce cas, nous convenons que je vous donnerai à titre d'indemnité une certaine somme. Cette convention, qui paraît juste aux deux

chiffre de dommages-intérêts inférieur à parties, sera, en vertu de l'article proposé celui réellement dù, qu'arrivera-t-il ?

M. Trarieux. Eh bien, mon texte ne laisse aucun doute: cette convention ne

et des explications qui viennent d'être données par l'honorable M. Trarieux, une clause illicite, bien qu'elle soit moralement on ne

serait pas opposable. (Dénégations sur di- peut plus légitime,

vers bancs.)

M. Tolain. Parfaitement! Le droit n'est pas ouvert! On ne peut pas fixer d'avance la somme d'un droit qui n'est pas ouvert. Un sénateur à droite. On dénaturera la loi

comme on voudra

M. Trarieux. Je fais, d'ailleurs, observer à mes interrupteurs, comme je l'ai déjà dit, que leur objection, si elle était à rerement à la rédaction de la Chambre qu'à douter, s'appliquerait encore bien plus sûla mienne.

Est-il bien sûr, en effet, que la stipulation d'une clause pénale dût être considérée comme une stipulation contraire?

M. Lisbonne. Elle serait indirectement

contraire.

M. Trarieux. Je le crois avec vous, mon cher collègue, mais ce serait discutable, tandis qu'il n'y aurait pas de discussion plausible si vous disiez avec moi, d'une mapeuvent renoncer à l'avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts. » Fixer un chiffre de dommages-intérêts par avance, n'est-ce pas évidemment, en effet, renoncer par avance au droit de faire fixer ces dommages-intérêts par le juge?» (Dénégations.)

En vérité, messieurs, je trouve ici une conformation nouvelle de ce qui est chez moi une conviction très ancienne et très persistante, à savoir que quand le législateur veut porter, permettez-moi de vous le dire, sa main lourde sur les conventions particulières, il ne sait pas ce qu'il fait et est exposé à produire par sa malencontreuse intervention des effets très contraires à ses prévisions.

Enfin, quel sens et quelle portée donnezgociant, un industriel qui, à un certain movous, au juste, à cet article? Voici un nément, croit pouvoir donner un grand développement à ses affaires; il a besoin de nombreux employés; il ne les prend pas pour un temps déterminé, mais il se réserve évidemment la faculté d'en faire varier le nombre d'après les exigences de son industrie. Or, il reconnaît plus tard qu'il lui est impossible de conserver un aussi nombreux personnel et qu'il est obligé de le réduire...

M. Bernard. Eh bien, les tribunaux apprécieront !

M. Buffet. Les tribunaux apprécieront? Les tribunaux n'auront rien à apprécier là; c'est un acte absolument légitime!

Cet homme fait faillite; sa maison est en liquidation. Admettez-vous que les employés puissent venir demander une indemnité,

parce qu'ils auront été par ce fait privés de feur place?

Cet homme meurt; il n'y a personne pour continuer ses affaires. Vous admettez que tous les employés pourront réclamer une indemnité?

Et si même, prévoyant ce cas, le patron, dans une pensée bienveillante pour ses employés ou ses ouvriers, leur dit : « Si, par une circonstance indépendante de ma volonté, je suis obligé de cesser mes affaires, ou de les restreindre, je vous donnerai une Indemnité déterminée... »

M. Tolain. Voyez-vous un patron prévoyant sa déconfiture dans un contrat avec ses employés!

M. Buffet. ... Il faudra encore faire un procès pour savoir si cette indemnité con

venue est suffisante ou insuffisante!

Permettez-moi de vous dire, messieurs, que je trouve cela absolument révoltant et tout à fait inadmissible.

Quand l'Etat interdit comme manifestement contraire à l'ordre public un engagement perpétuel, il a parfaitement raison. Qu'est-ce, en effet, qu'un engagement perpétuel d'un homme envers un autre homme? C'est le rétablissement de l'esclavage, et l'esclavage est évidemment contraire à l'ordre public.

Mais quand il s'agit de conventions faites librement, dont on détermine les conséquences, je ne comprends pas que le législateur intervienne, alors surtout qu'il n'y a, dans de pareilles stipulations, rien de contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs, ni à l'intérêt même des ouvriers et des employés.

La Sénat a voulu faire une loi générale; mais je remarque que, malgré cette intention, on a toujours en vue certaines situations particulières celles de grandes compagnies employant un grand nombre d'ouvriers qui ne peuvent, dit-on, défendre leurs intérêts et qui ont besoin d'une protection spéciale.

Mais dans l'ensemble du travail national, les employés et ouvriers des grandes compagnies ne sont qu'une exception.

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malgré les termes d'une convention qui lui réserve sa pleine liberté, vous décidiez qu'il ne pourra quitter l'entreprise, la compagnie à laquelle il était attaché, pour en trer dans une autre qui lui assure une plus forte rémunération. sans payer des dommages-intérêts, arbitrés par un juge, et qu'il sera interdit de fixer à l'avance, cela est absolument inadmissible!

On a vu, pour parler de situations plus modestes, des conducteurs, de simples piqueurs - c'est un cas qui s'est souvent présenté attachés au service de la ville de entrepreneurs et arriver ainsi à se créer Paris, l'abandonner pour s'attacher à des

une situation très brillante.

Ils n'y seraient pas parvenus s'ils avaient dû, au moment de la séparation, payer à l'Etat ou à la Ville des dommages-intérêts. Je le demande encore une fois, quel intérêt y a-t-il à ce que le législateur intervienne pour les entraver dans des transactions qui n'ont rien, absolument rien, de contraire à l'ordre public, ni aux bonnes mœurs, ni à l'équité.

M. Trarieux. A l'équité, si!

M. Buffet. Elles n'ont rien, en général, de contraire à l'équité; si, dans certaines circonstances particulières, l'équité était blessée, les tribunaux, comme ils l'ont fait souvent, par une juste application de l'article 1780, y pourvoiraient et accorderaient certainement des dommages-intérêts à la partie lésée par la violation d'un contrat.

Je prends encore un exemple dans l'agriculture; il y a là des ouvriers employés à la journée; on ne peut pas évidemment obliger le cultivateur à les conserver quand il n'en a pas besoin. D'autres sont employés à l'année; il est clair que si on les renvoie brusquement et sans juste motif, ils ont toujours le droit de réclamer, ou l'exécution de l'engagement pris envers eux, ou une réparation. Une réparation semblable serait due en droit au patron si ses ouvriers le quittaient avant le terme de leur engagement; mais en fait, ils ne la réclame presque jamais, parce qu'il lui serait presque toujours impossible de se la faire

payer.

Il n'y a aucune difficulté, quand il s'agit de la violation d'un contrat; mais quand il n'y en a pas?...

Votre article ne s'applique qu'aux contrats de louage de travail sans durée déterminée. Convenez que si le projet est voté, les entreprises qui feront de semblables contrats seront bien imprudentes. Elles seront naturellement conduites à n'engager leurs employés ou leurs ouvriers que pour une durée déterminée et éviter ainsi l'application de cette loi.

Votre article s'y oppose-t-il? On n'oserait le soutenir!

Les compagnies pourront toujours, je le suppose, dire à leurs employés ou à leurs ouvriers: « Je vous engage pour un temps déterminé, je ne pourrai vous renvoyer avant telle date, sans motifs légitimes, mais à l'expiration de ce terme, nous reprendrons respectivement notre liberté.

Et les compagnies de chemins de fer notamment, puisqu'elles sont en réalité la cause originelle de cette loi, seront naturellement, je dirai même forcément, amenés à adopter cet arrangement.

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travaux prendraient fin avant une certaine époque, elle accorderait une indemnité déterminée aux agents dont le concours deviendrait inutile, cette disposition bienveillante serait nulle comme contraire à la loi.

M. Gustave Humbert. Je demande la parole.

M. Buffet. J'avoue qu'il m'est complètement impossible de comprendre la pensée des auteurs de la proposition de loi. (Très bien! très bien! à droite.)

M. le président. La parole est à M. Humbert.

M. Gustave Humbert, président de la commission. Messieurs, nous assistons, en vérité, à un singulier spectacle. A propos d'une disposition particulière, on met en question le principe de la loi votée par la Chambre des députés et par le Sénat antérieurement, et encore par vous hier; et on la remet ainsi en question, par des motifs qui ne sont pas, à mon avis, très fondés, car l'honorable M. Buffet a méconnu l'hypothèse principale en vue de laquelle la législation nouvelle a été faite.

Il ne s'agit pas du contrat d'une durée déterminée, mais bien d'une durée indéfinie. La plupart des objections de M. Buffet sont donc étrangères à la question.

Quant au fond, la loi nouvelle, sur l'article 1780, sur lequel je ne reviens qu'en passant, car je ne veux pas rouvrir la discussion générale (Très bien! à gauche), — a déclaré que la résiliation ne pourrait pas être faite d'une manière contraire à l'équité, sans donner lieu à des dommages-intérêts. Voilà l'idée fondamentale, et cette idée a été adoptée par le Sénat.

Il s'agit de savoir maintenant si on pourrait, par avance, par un contrat qui serait fait avant que le préjudice se fût manifesté, abdiquer complètement tout droit à ces dommages-intérêts fondés sur l'équité.

Or, messieurs, cela ne doit pas être, pas plus qu'on ne peut renoncer par avance à

une succession non encore ouverte. On ne

doit pas, lorsqu'on n'a pas connu l'existence d'un préjudice, lorsqu'il a été impossible même d'en apprécier l'étendue, stipuler par avance qu'on renonce au droit dont s'agit; ce serait aller à l'aveugle, et c'est ce que nous ne voulons pas.

tions, la liberté vraie, mais non pas la liNous respectons la liberté des convenberté qui consiste dans l'abdication même du droit aux dommages-intérêts fondés sur l'équité. (Très bien! très bien!) Voilà la seule réponse que j'aie à faire sur ce point.

Quant à l'amendement de l'honorable M. Bernard, je le prie de le retirer puisque, d'après lui-même, il n'ajoute rien à celui proposé par M. Trarieux et par la commission.

Pourquoi le maintenir, en effet? C'est une occasion de divisions et voilà tout; cela ne pourrait servir absolument qu'à compromettre le sort de la loi, et je le prie, dans l'intérêt même de la cause qu'il soubien!) tient, d'abandonner son amendement. (Très

Plusieurs sénateurs. Il est déjà retiré!

En effet, une compagnie a aujourd'hui messieurs, une question intéressante à éluM. le président. Il y aurait cependant, plusieurs lignes à construire; elle a besoin d'un nombreux personnel qui lui deviendra rieure de la loi : si, par exemple, une clause cider au point de vue de l'application ultéinutile après l'achèvement des travaux. Voulez-vous qu'elle ne puisse opérer cette pénale prévoyait la rupture du contrat, cette réduction nécessaire sans payer des dom-clause serait-elle nulle en présence de la disposition qui vous est proposée?

Je comprends que, dans certaines circonstances particulières, s'il se retire pendant le cours d'un travail commencé, dont il a établi les plans et pour la bonne exécution duquel il est très difficile de le rem-mages-intérêts? placer, je comprends qu'il y ait lieu à dommages-intérêts.

Mais qu'en dehors de cette hypothèse et en l'absence de toute convention et même

Cette réduction était bien prévue par tous les intéressés, qui, par conséquent, n'ont pas été trompés. Et si la compagnie avait stipulé que, dans le cas où les

M. Humbert. Je crois avoir par avance répondu à cette question. Comment voulezvous admettre une clause pénale, peut-être illusoire, visant un préjudice qui n'est pas

connu; si vous l'admettiez, ce serait renoncer dès à présent, moyennant cette clause qui serait peut être très faible, au droit dont s'agit. Je crois qu'il y aurait à cela un très grand danger et que vous supprimeriez complètement ainsi les avantages de l'article 1780.

M. Trarieux. Je demande à dire un mot de ma place.

rieux.

M. Trarieux, (de sa place). On méconnaît, il me semble, la portée du texte législatif dont nous avons déjà voté le principe. Veuton, oui ou non, en assurer l'efficacité ?

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principes abstraits d'où auraient pu dé-
couler de redoutables conséquences; nous
avons purement et simplement entendu
livrer aux juges, suivant les espèces et
avec la plus large faculté d'apprécier les
circonstances, l'estimation des dommages
qui pouvaient être causés par un congé
illégitimement donné. Notre pensée n'est
pas allée au delà.

Vous avez fait, il est vrai, des supposiM. le président. La parole est à M. Tra- tions; vous avez imaginé une société qui, par la force des choses, pourrait être obligée de diminuer le nombre de ses employés, et vous nous avez demandé si, en présence d'une cause de renvoi aussi légitime, des dommages-intérêts pourraient être réclamés? Mais nous avons tout prévu, et ce cas lui-même n'aurait pas dû vous causer d'inquiétude si vous aviez mieux réfléchi à la portée du texte sur lequel nous nous sommes mis d'accord. Il a toujours été entendu que le renvoi pour cause légitime ne laisserait place qu'à des réparations d'équité, et, dès lors, quand vous imaginez des cas de congés légitimes, vous n'avez pas à redouter des appréciations arbitraires et abusives de dommages-intérêts. (Très bien! très bien !)

Si on veut qu'il soit pleinement efficace, je dis qu'il ne doit pas être possible d'y échapper par des voies dérobées, et s'il ne doit pas admettre de convention contraire, j'ajoute qu'il ne peut comporter la fixation anticipée des dommages dont il prévoit l'allocation.

Un sénateur à gauche. Cela se fait constamment!

M. Trarieux. Cela se fait constamment, dites-vous? Oui, dans les contrats d'une durée déterminée, mais jamais, car il n'y en avait jamais besoin, dans le louage de durée indéterminée auquel s'applique l'article 1780.

Réfléchissez donc, je vous prie, au danger que vous feriez naître si vous permettiez que l'on pût, par avance, faire la fixation du dommage causé par un congé même illégitime? L'ouvrier ne pourrait-il pas être conduit le plus souvent à accepter un calcul dérisoire de son droit?

M. Lacombe. Je demande la parole. M. Trarieux. Mais, en vérité, il serait presque inutile de parler d'interdire les conventions contraires à notre texte, si cette porte restait ouverte à ceux qui voudraient s'en affranchir.

La raison d'être nécessaire de notre loi, c'est d'éviter que l'ouvrier, au moment où il discute son salaire avec une compagnie puissante, ne subisse la pression des circonstances et ne soit entraîné à accepter des conditions injustes qui pourraient plus tard le priver de son droit.

Il faut donc absolument, pour que cette idée atteigne son but, que le droit reste ouvert jusqu'au jour où l'exercice en deviendra possible.

M. Buffet. Mais si c'est l'employé ou l'ouvrier qui veut partir?

M. Trarieux. Mon honorable collègue, vous avez renouvelé à la tribune, et votre observation tend à rouvrir une discussion générale dans laquelle je regrette de ne pouvoir vous suivre, car ce serait affaiblir un texte déjà voté par l'Assemblée. (Interruptions à droite.) Permettez-moi cependant de vous dire qu'il ne sera pas possible de nous faire concevoir des regrets.

Les dispositions de l'article 1780 sont absolument légitimes. Toutes vos critiques portent, non pas sur la réforme qu'elles accomplissent, mais sur celle dont vous avez rencontré l'idée dans l'article 2 du contreprojet de M. Maze que nous avons rejeté.

Les arguments que vous avez produits tout à l'heure à cette tribune supposaient, en effet, que nous avions introduit dans l'article 1780 la nouveauté du contrat perpétuel, contre lequel, au contraire, nous n'avons cessé de nous défendre; et, en rejetant le contre-projet de M. Maze, nous avons précisément voulu éviter les dangers que vous nous signaliez il y a quelques

instants.

Pour nous, nous n'avons pas émis des

M. le président. La parole est à M. Rey

mond.

M. Reymond. Messieurs, je demande la permission d'intervenir en très peu de mots dans le débat, et soyez bien certains que je ne discuterai pas contre des juristes aussi compétents et aussi autorisés que ceux que vous venez d'entendre. Mais il y a une question de fait qui me préoccupe. Mon honorable collègue et ami M. Trarieux appuyait tout à l'heure son argumentation sur un arrêt de 1879 que je connais comme lui, qui m'a toujours beaucoup touché, et qui a soulevé, dans le monde des ouvriers et des ingénieurs, un tolle général. Si nous étions dans la situation créée par cet arrêt, je consentirais à prendre avec M. Trarieux toutes les précautions possibles pour que l'ouvrier ne fût pas lésé; comme lui, comme tous nos collègues, je me préoccupe avant tout des intérêts de l'ouvrier, car je sais que ceux du capitaliste, s'ils sont également intéressants, sont en général plus faciles à sauvegarder. Je crois, je le répète, que nous sommes unanimes à vouloir défendre les intérêts des ouvriers. Mais les défendrons-nous bien par un tel excès de précautions? C'est la question que je me pose, messieurs; et tout à l'heure j'avais l'honneur de dire à M. le ministre des travaux publics que ce serait peut-être à lui d'intervenir pour établir certains faits qu'on paraît ne pas connaître suffisamment dans cette enceinte et que je n'y ai vu apporter, en tout cas, par aucun des orateurs qui se sont succédé à cette tribune.

Hier, en effet, au sortir de la salle, j'entendais un de mes collègues répéter une observation que plusieurs sénateurs avaient déjà faite, dans des conversations privées, les jours précédents. C'était celle-ci:

«Je voterai cette loi, disait-il, malgré les inconvénients qu'elle me semble présenter sur bien des points. Je la voterai, parce que je ne puis admettre que de malheureux ouvriers, après avoir passé dix ou quinze années de leur vie dans une compagnie de chemin de fer, pourront être obligés de la quitter sans rien recevoir des retenues qu'ils auront subies. »

Eh bien, c'est là une erreur, messieurs, et il ne serait pas bon qu'elle subsistât dans les esprits de ceux qui peuvent encore la partager. Ce qui a pu se faire en 1879, et ce qui était un abus contre lequel j'aurais voulu que la cour de cassation réagit à cette époque, n'a plus lieu depuis 1881 ou 1882. Il n'existe pas maintenant une seule compagnie qui, en renvoyant un

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ouvrier, ne lui restitue le montant intégral des versements qu'il a faits. Je voudrais même, pour le dire en passant, que l'Etat en fit autant... (Très bien! très bien! sur plusieurs bancs.) On a pu voir, en effet, dans certains cas, de malheureux serviteurs de l'Etat, renvoyés après vingt-six ou vingt-huit ans de services, et quelquefois d'une façon un peu sommaire (Nouvelle approbation), et qui ont été privés absolument de tout ce qu'ils avaient versé à la caisse des retraites. Eh bien, les compagnies ne font pas de même, heureusement, et je les en félicite.

Je crains, je le répète, qu'à force d'entasser les précautions dans la loi que nous votons, nous ne finissions par amener celles des sociétés qui semblent entrer résolument dans la voie des mesures humanitaires à l'égard de leur personnel, et, en particulier, les compagnies de chemins de fer, à diminuer les libéralités plus ou moins grandes qu'elles font à leurs employés. Il y a, notamment, un passage de la loi qui est déjà voté il l'a été sans discussion en deuxième lecture et qui, si je n'obtiens pas de M. le ministre une réponse très nette, s'ajoutera à l'amendement présenté par l'ensemble de la loi, parce que je la consiM. Trarieux pour m'amener à voter contre dérerai alors comme très dangereuse pour toute une catégorie d'ouvriers. Je cite cette disposition:

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sions de retraites.

Je suis à cet égard, je pense, d'accord avec la commission?

M. le rapporteur. Oui, c'est exact.

M. Reymond. Eh bien, messieurs, cela. ne vous inquiète-t-il pas? Si M. le ministre veut bien me rassurer sur ce point, j'en serai très heureux. S'il veut bien me dire : <«< Je suis certain que ce que vous redoutez n'arrivera pas; j'ai reçu, à cet égard, les promeses des compagnies... » Oh! alors, je n'hésite pas et, malgré ses imperfections, je vote la loi. Ce que je crains, en effet, c'est que les compagnies, qui donnent beaucoup plus qu'on ne le croit peut-être au Parlement, ne soient incitées à faire le contraire par le texte dont j'ai rappelé les termes; je crains qu'elles ne se disent: « Si les allocations que nous faisons aux caisses de retraite doivent devenir un élément de l'indemnité qu'il nous faudra payer à l'ouvrier congédié, nous réduirons ces allocations. Nous allons faire ce qu'a fait l'Etat, par exemple, non pas pour les retraites qu'il sert à son personnel ce serait trop dur! - mais pour la caisse des retraites de ses chemins de fer. Il est facile de démontrer que les compagnies sont plus généreuses que lui; je crois qu'on l'ignore un peu dans les Chambres, et je tiens à le dire.

Je vais, messieurs, vous donner des chiffres que j'ai eu quelque peine à me procurer, mais que je crois sincères, et je prie M. le ministre de vouloir bien les démentir s'ils ne le sont pas. J'avoue que je le regretterais pour les ouvriers, parce que ces chiffres sont, vous le verrez, très avantageux pour eux et expliquent le nombre des postulants aux emplois de chemins de fer, et l'ardeur avec laquelle ils aspirent, dès qu'ils sont admis, à devenir commissionnés.

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