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sa destinée; républicaniser la Hollande malgré elle, ainsi que l'Helvétie; ôter Malte à ses Chevaliers; Venise à ses Doges; et la mer même, dont la nature a fait la ceinture du Globe, aux navigateurs cosmopolites dont on n'a pas vérifié le pavillon sur les bords de la Tamise?

Quant à l'égalité des forces destinées à garantir la paix, elle est parfaitement nulle: l'Empereur, avec son invasion de la Pologne, son acquisition de Venise, et les indemnités dont on berce son orgueil, subjuguera le Corps Germanique; la France, avec sa République anti-Royale, détrônera l'Empereur; et l'Angleterre, avec ses escadres dominatrices dans les deux Mondes affamera l'Europe.

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Mais, disait Candide, voyez les manifestes des grandes Puissances: comme leur langage est pur! comme la générosité s'y énonce dans le style de l'antique Chevalerie! on ne s'y honore que du plus héroïque dévouement les Rois vont, comme Codrus,

mourir pour

leurs peuples; les Curtius Français s'apprêtent à se jeter dans l'abyme pour sauver leur République : de pareils écrits, dictés par la Philantropie, sont des engagemens sacrés que contractent les Souverains, en face de l'Europe. Quoiqu'en dise la malveillance, c'est une grande conception en politique, qu'un manifeste.

Candide est toujours le même, répliquait le Sénateur de Venise; il croit à la franchise de ce qu'il lit, comme à celle des bonnes actions qu'il fait. Les écrits des Puissances, depuis plus de trois siècles, sont, à quelques exceptions près, des fourberies conve mues entre les Gouvernemens, pour empêcher cet amas de bêtes de somme, qu'on appelle la multitude, de se cabrer contre le mors qui les blesse on y donne aux mots de paix, de franchise, de loyauté, une acception éventuelle, comme dans les chiffres de la Diplomatie; les Souverains qui s'en servent, ont seuls le secret, et, quand on n'est pas initié, il échappe à la lecture.

Toutes ces distinctions me confondent

disait le bon Westphalien; je vois bien qu'il ne suffit pas de voir les hommes, pour connaître l'homme cependant mon cœur s'attriste de ce que ma logique a tort; je pense qu'il vaudrait peut-être mieux, dans ce plus parfait des mondes possibles, qu'une paix, dictée par la raison, ne fut pas essentiellement distincte d'une paix écrite dans un manifeste.

Il y avait déjà un certain intervalle de tems que les trois interlocuteurs étaient en présence des chevaux de Lysippe, et ils ne s'en étaient pas encore apperçus. MoltoCurante expliqua cette distraction d'une® manière assez ingénieuse : C'est que, dit-il, ce 'monument n'est pas à sa place; il est des ouvrages de génie, dans les Arts, qu'ils ne faut pas arracher du lieu où ils rappellent de grands souvenirs ces chevaux de bronze ne remuent l'enthousiasme qu'à Venise, comme la Vénus de Médicis à la galerie de Florence, et l'Apollon du Belvédère au Vatican.

PETITE ANECDOTE SUR LA SAISIE

D'UN LIVRE UN PEU TROP RAI

SONNABLE POUR LE TEMS, AYANT

POUR TITRE :

DE LA PAIX DE L'EUROPE,

CANDIDE et Molto-Curante, toujours parlant de paix, et toujours la cherchant aussi en vain que Diogène cherchait un homme avec sa lanterne, traversaient la rue Pavée, pour aller contempler, au centre du Pont-Neuf, le fameux corps-de-garde que le patriotisme républicain avait substitué à la statue vénérable du grand rêveur sur la paix perpétuelle; de cet excellent Henri IV, dont on a pu briser les monumens, mais qu'on n'arrachera jamais des cœurs Français. Il y avait, avait, dans cette rue Pavée, un grand nombre de personnes amassées à la porte d'un Libraire,

pour avoir un livre nouveau, qui avait pour titre De la Paix de l'Europe, et de ses bases. L'Auteur était mêlé par hasard dans la foule, et quoiqu'il cherchât à voiler son visage, quelques personnes l'avaient deviné: on le félicitait d'avoir dit à un Gouvernement, avide de faire le bien, ce secret de tout le monde, que quelques hommes, qui ont peur, ont tant d'intérêt à dissimuler. « Oui, disait le pacifique Ecrivain, ce secret sera bien reçu; le régime consulaire ne

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vient que de s'organiser, mais c'est un >> enfant bien né qui prospérera; car il aime » les lumières : rallions-nous tous auprès de » lui. C'est à l'Homme de Lettres à écrire » pour l'éclairer, au Magistrat à veiller pour » le maintenir pur, et au Guerrier à mourir » pour le défendre. J'ai osé le premier don>> ner une adhésion solemnelle à cet ordre » de choses réparateur; et puisqu'il tient >> tout ce qu'il promet, j'espère que les générations futures, pour lesquelles je

>>

» travaille, ne me désavoueront pas. >>

Ce discours, le titre sur-tout de l'ouvrage

« EelmineJätka »