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cendit à ouvrir avec le premier Agent de cette Police inquisitoriale: il observa que son ouvrage sortait des Presses d'un des premiers Imprimeurs de la Capitale; qu'il portait au frontispice son nom tout entier, avec ses titres académiques; qu'avant la vente, il en avait adressé divers exemplaires au premier Magistrat de la République, et à plusieurs Membres du Gouvernement : il était difficile de manifester des intentions plus pures, plus éloignées de l'ame abjecte d'un perturbateur. Non content de cette apologie indirecte, il ajouta, qu'apôtre de la paix, il était si loin de la troubler, que dans l'hypothèse où quelque vérité non funeste, (cela était impossible) mais intempestive, lui aurait échappée, il offrait de la voiler, moyennant cet accommodement avec le ciel orageux des Révolutions, que dans la langue de la Typographie on appelle des cartons.. Cet abandon pacifique de la pensée, entre les mains d'un Gouvernement qu'on croyait paternel, était bien fait, suivant Candide, pour absoudre l'Auteur de la Paix de quelques erreurs involontaires; à plus forte raison

pour détourner de punir un livre, du délit bien rare d'avoir voulu sauver sans Révolution la France et l'Europe.

Cependant la foule des acheteurs s'était peu-à-peu retirée, et il ne restait plus, dans le magasin inventorié, que l'Auteur, les deux étrangers et la bande des satellites. Ces derniers, il faut en faire l'aveu, mirent quelque décence dans leur invasion is firent leur visite sans amener de confusion, sans montrer de défiances odieuses, sans compromettre, par des recherches abjectes, l'honneur du Magistrat qui faisait exécuter la Loi.

Ce Magistrat lui-même pouvait être excusé sur une pareille violence, qui contras tait si fort avec la douceur du régime consulaire il est certain : que Molto- Curante entendit le chef des Alguazils dire à voix basse , que quoique le mandat portât la signature du Préfet de police, celui-ci n'avait été, dans cette occasion, que l'instrument passif des volontés de ses ministres. Ce qui

fut dit à l'oreille du Vénitien, pour justifier le Magistrat, il faut le dire à l'oreille de toute la France, quand il s'agit d'un fait dont peut-être l'histoire s'emparera un jour mais le cercle des surprises, à cet égard, n'est pas encore épuisé.

L'ami de Candide, toujours actif quand il s'agissait de remonter aux sources, soit du mal, soit du bien, fit des recherches pour savoir quelle part le Ministre de la Police avait pu prendre dans le rapt de la brochure innocente de la Paix : il apprit que l'Administrateur s'y était opposé, sous prétexte qu'un pareil éclat était de nature. à augmenter sa publicité. Le Vénitien remonta encore plus haut; et on lui fit entendre, que quoique les principes du livre saisi contrariassent la théorie dominante " il n'y avoit point eu d'ordre direct du Gouvernement. Toute cette nuit de conjectures est très-difficile à percer : il faut qu'un ouvrage ne soit pas très-dangereux, quand personne ne met son nom en tête du jugement qui le proscrit: il faut qu'un

Code criminel soit encore bien imparfait, quand il est plus aisé à la Loi de punir, qu'à un accusé de rencontrer un Tribunal pour se défendre.

LETTRE

LETTRE D'UN AMI DE LA PAIX; CONTRE LA PAIX DE L'EUROPE.

U 27 Brumaire, jour de la saisie du livre de la Paix de l'Europe, jusqu'au 27 Frimaire, de la 9. année républicaine, époque où moi, Docteur Ralph, je rédige ce chapitre, on m'a fait lire, par rapport à l'ouvrage prohibé, cent une lettres signées ou non signées, qui toutes rendent graces, au nom de la France, au nouvel Abbé de Saint-Pierre, du bien qu'il a tenté de faire, soit à sa Patrie, soit à la réunion de toutes les Patries de cet hémisphère. Ce nombre de cent une lettres me rappelle les cent une hérésies du Père Quesnel, condamnées par la Constitution Unigénitus, et par contrecoup, fixe douloureusement ma pensée sur la fatalité singulière qui a voulu que la première moitié du dix-huitième siècle fut

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