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terdit jeté sur la pensée humaine, pour flétrir dans son germe la pensée bienfaisante de ces Monarques ils leur ont appliqué, avec un art odieux, ce qu'une raison sévère a dit avec tant de justice des mauvais Princes; c'est à dire, que la servitude de la Presse est devenue entre leurs mains un nouvel instrument de tyrannie; qu'ils ne proscrivaient les lumières que parce qu'ils en avaient peur; et que s'ils savaient faire marcher droit les peuples qu'ils gouvernent, ils ne conjureraient pas dans l'ombre pour les tenir toujours en lisières.

S'il importe à un Titus que les peuples

dont il est le Souverain aient toute la liberté

que comporte leur obéissance passive à la Loi, il n'importe pas moins à un Tibère que ses esclaves en aient le masque ce masque est un talisman qui fait croire aux sujets qu'ils sont heureux, et au despote qu'il fait des heureux au moyen de cette double illusion, les peuples ne savent pas se plaindre, et les tyrans n'ont point d'injures à

venger.

On a beau épuiser les sophismes, tourmenter la morale, commenter Machiavel, il en faut toujours venir à l'idée primitive, que les grandes machines politiques une fois organisées avec les principes, on ne les fait pas marcher à l'aide des blasphèmes; et que si un Prince a un intérêt quelconque à se permettre des injustices, il en a un non moins grand à les voiler avec cette hypocrisie, que La Rochefoucaut appelait un hommage, tacite à la vertu.

Protéger par amour de l'ordre ou par hypocrisie la liberté de la Presse, voilà, mon cher Candide, en dernière analyse, l'art de régner, la pierre angulaire de l'édifice politique, et le levier des Gouvernemens.

LETTRE

LETTRE D'UN HOMME D'ÉTAT DU

VRAI CONGRÈS DE LUNÉVILLE,

AU PRESIDENT DU CONGRES ILLÉ

GITIME.

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LE E dialogue de Candide et de Molto-Curante n'était pas encore terminé, quand on entendit, dans le silence de la nuit une voiture qui s'arrêtait vers le perron en ruines du château sans portes. Le bon Westphalien crut que c'était quelque tête ex-couronnée qui venait faire son entrée au Congrès, à la séance de clôture; mais il se trompait le carrosse amenait une espèce de messager d'Etat,' portant sur son chapeau un panache aux trois couleurs: introduit dans le vestibule de la salle des Plénipotentiaires sans puissance, il remit à un agent subalterne, à moitié endormi, une lettre adressée au président du Congrès, s'en fit donner un reçu, et repartit à l'instant pour Lunéville.

S

Le Grand Maître de l'Ordre de Malte supprimé, ouvrit le paquet pendant le dépouillement du scrutin, vit que la lettre n'était pas signée, et sur l'avis de quelques Majestés et de quelques Altesses Sérénissimes, qui auraient cru leur antique dignité compromise, si elles avaient pris connaissance d'une lettre anonyme, le paquet tout ouvert fut déposé, avec une sorte de dédain, sur le bureau.

La lettre cependant était d'un homme d'Etat, qui avait plus de puissance à lui seul que tous les Rois réunis du château sans portes la voici, telle que l'ex - Doge de Venise vint la lire mystérieusement à MoltoCurante et au bâtard de Westphalie.

« HOMME d'Etat, je ne puis signer cette » lettre que j'adresse à votre Excellence; >> mais vous y reconnaîtrez aisément l'esprit » de paix qui me domine, et la Diplomatie » tutélaire de mon Gouvernement.

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Quelque mystère que l'Assemblée que

» vous présidez mette dans ses rassemble

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mens, ne doutez pas que le Chef de la République Française n'en soit parfaite>>ment instruit son coup-d'œil d'aigle a » pénétré vos projets, même avant de naître : il sait le résultat de vos séances, quand »le Secrétaire n'en a pas encore rédigé le

procès-verbal; et vous ne faites pas un pas » dans le labyrinthe inextricable de votre Diplomatie, qu'il n'ait en main le fil » d'Ariane pour vous redresser.

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» Je ne défendrai pas ce beau Gouverne»ment consulaire, qui se défend assez par » les ruines qu'il répare, et par le bonheur » qu'il procure; mais, entraîné un moment » par la sagesse impérieuse des circonstances, » il existe, autour de son droit des gens, » quelques nuages qu'il est de ma fran»chise de dissiper.

» Le premier Magistrat de la République >> sait mieux que personne qu'un Congrès » de deux Plénipotentiaires ne saurait faire. une seconde paix de Westphalie.

Sz

« EelmineJätka »