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» Il sera bon, si en consacrant la propriété générale, qui est le droit de protéger, il >>ne porte atteinte à aucune propriété indi» viduelle; si aucun Etat ne peut se dérober » à la Loi de l'équilibre; et si l'équilibre » protége aussi efficacement Genève contre » elle-même, ou un Abbé de Fulde contre » le Chef de l'Empire, qu'une République contre la confédération des Trônes, ou la » confédération des Trônes contre le prosé>> lytisme d'une République.

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» Il sera bon, si chaque Etat, descendant » dans l'intérieur de sa conscience, (car la » Morale en donne une aux réunions d'hom» mes, comme à Fhomme individuel,) trouve » que, grace à l'équilibre, son territoire est » à l'abri des invasions; son culte, des ou>> trages; et son Gouvernement, des revers: >> s'il reconnaît que l'honneur national même, cet honneur factice, qui consiste à ne ja

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>> mais reculer, lors même qu'on sait qu'on

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a tort, est respecté, autant que peuvent le

>> permettre l'intérêt des petits Etats opprimés,

la dignité des conservateurs de l'équilibre, » et la paix du genre humain.

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» Il sera bon, enfin, si le Tribunal de » l'équilibre, légalement établi, parfaitement >> consolidé, rend les usurpations difficiles, » les guerres offensives périlleuses, et les >> conquêtes impossibles : c'est bien alors que d'après le mot mémorable de Phocion, >> chaque membre du Corps social pourra se >> flatter d'être enseveli en paix dans la tombe >> de ses pères; et que les Nations tranquilles » à l'extérieur, sur les intrigues des ambitions » dominantes, sur les conjurations des riva»lités, survivront à tous les dangers qui les » menacent, même à la ruine de leurs Gou

» vernemens. »>

Cette lecture entraîna les esprits qui balançaient encore: il fut arrêté unanimement qu'on opposerait aux invasions de la force, la résistance des confédérations; qu'on demanderait la fondation d'un vrai système d'équilibre, et qu'on inviterait toutes les tètes pensantes des Peuples, soit dominateurs, soit

désarmés, à préparer pour l'Europe un nouveau traité de Westphalie.

Enfin, dit le Grand Maître de Malte, votre mission honorable est remplie. Vous avez, dans vos vingt-deux premières séances, plaidé votre cause particulière contre vos oppresseurs aujourd'hui, vous plaidez celle de vos oppresseurs mêmes, contre les perturbateurs du repos public; et en substituant la dialectique des principes à celle de l'épée, vous préparez la pacification de l'Europe et le bonheur du genre humain. Votre grand ouvrage est terminé, et d'après les pouvoirs que je tiens de vous, je dissous le plus mémorable des deux Congrès de Lunéville.

La séance était à peine levée que le dernier Doge de Venise prend Candide par la main et le présente aux Hautes Puissances du Congrès: Voici, dit-il, une espèce de Souverain détrôné; je l'appelle ainsi, parce qu'avec quelques moutons d'Eldorado, il se vit un jour plus riche que tous les Rois de

l'Europe réunis, et qu'on est au niveau des Souverains quand on peut acheter leur Souveraineté cet homme extraordinaire est le noble bâtard du Baron de Thunder-tenTrunck, un des premiers Seigneurs de la Westphalie; l'amant de la belle Cunégonde, qui devait être, par ses soixante-quatre quartiers, la première Chanoinesse du Chapitre le plus noble de l'Allemagne; et l'élève du grand Docteur Pangloss, devenu, à force de fustigations, de mutilations, de suspensions au gibet, le premier Philosophe de l'univers: c'est Candide en un mot. Il eut l'honneur

il

y a quarante ans, dans un des carnavals de Venise, de donner de l'or, des diamans et un splendide repas à six Rois détrônés: et aujourd'hui, à peine a-t-il de quoi payer un modeste diner dans la plus obscure des auberges de Lunéville. Fêtons ce vieillard, qui s'est plus aisément consolé de la perte de ses beaux moutons d'Eldorado, que nous de celle de nos Tiares et de nos Couronnes.

le

J'ai déjà observé plus d'une fois que nom de l'amant de Cunégonde se prononçait

rarement sans exciter l'intérêt ou du moins la curiosité. Toutes les Eminences du Congrès, toutes les Altesses Sérénissimes, des Rois mêmes qui ne lisaient pas toujours les Arrêts de leur Conseil qu'on leur faisait signer, avaient lu Candide aussi le héros de l'ingénuité fut-il singuliérement accueilli: c'était à qui l'accablerait de caresses. Un Archevèque lui promit un canonicat dans sa Cathédrale incendiée et en ruines; le Grand Duc une statue antique de la galerie de Florence, prisonnière au Muséum, de Paris; un autre Souverain, le Cordon de son Ordre, que lui-même n'avait pas la liberté de porter. Candide, modestement, n'exigea d'eux qu'un Privilége pour imprimer ses voyages; et tous le promirent unanimement, dès qu'ils auraient recouvré leurs Etats ; dès que la Presse par-tout serait devenue libre, et enfin des que la raison universelle aurait fait adopter à l'Europe une nouvelle paix de Westphalie.

Candide, au sortir du château sans portes, n'eut rien de plus pressé que d'aller avec Molto-Curante voir sur son grabat l'illus

« EelmineJätka »