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tenu lieu de force d'ame, et les joies de l'orgueil l'avaient ranimé au sein des revers; il ne sentait plus ni joie ni ardeur. Résigné, ou plutôt épuisé, il cessa toute résistance, toute lutte, et ne parut plus songer qu'à remplir dans les murs de l'abbaye ses devoirs de moine soumis. Pierre le Vénérable intervint partout en sa faveur. Il fit agir auprès de saint Bernard un de ses plus affidés disciples, Rainard, abbé de Cîteaux. Il écrivit lui-même au pape, en l'informant du désir que témoignait Abailard de rester à Cluni: Nous avons trouvé le dessein bien convenable à son âge, à sa faiblesse, à sa piété; et pensant que sa science, qui ne vous est point inconnue, serait utile à nos frères en si grand nombre, nous y avons consenti..... Je vous demande donc, moi tel quel, mais tout à vous, et il vous demande lui-même, par lui-même, par nous, par cette lettre qu'il nous a supplié de vous écrire, par les porteurs qui vous la remettront, de permettre qu'il passe dans votre maison de Cluni le reste des jours, peu nombreux peut

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être, de sa vie et de sa vieillesse; en sorte que personne ne le puisse expulser de cette demeure, qu'il se réjouit, comme un passereau, d'avoir trouvée; de ce nid où il est heureux, comme un tourtereau, de s'être abrité. »

Le succès couronna partout ses charitables efforts. Saint Bernard fit la paix de bonne grâce; le pape leva l'excommunication. L'autorité du pieux abbé de Cluni dissipa au dehors les restes de l'orage qui avait accablé le philosophe, tandis qu'au dedans sa bonté s'appliquait à le relever de son abattement. Mais la bonté des hommes arrive presque toujours trop tard. Abailard était brisé de corps et d'ame. Au milieu des austérités qu'il s'infligeait, il fut atteint d'une maladie douloureuse. En proie à une fièvre constante, il dépérissait à vue d'œil. L'abbé de Cluni s'inquiéta, et l'envoya au prieuré de Saint-Marcel, à Châlonssur-Saône, dans l'espoir que le déplacement, un air nouveau, lui seraient salutaires. Les premiers moments parurent favorables; mais au bout de quelques jours le mal empira rapidement, et le brillant professeur, le théologien téméraire qui avait fait tant de bruit dans le monde, mourut en humble moine, au fond d'une abbaye obscure, le 21 avril 1142, âgé de soixante-trois ans.

Dès qu'il en fut informé, Pierre le Vénérable envoya au Paraclet un exprès chargé d'annoncer à Héloïse l'amère nouvelle : « A des yeux clairvoyants, lui écrivait-il, saint

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Germain n'a pas été plus humble, saint Martin plus pauvre. Son ame ne méditait, sa langue ne proférait, sa conduite ne manifestait que des choses toujours divines, toujours philosophiques, toujours savantes. ›

C'est un beau droit de la sainteté de se montrer pleine d'une tendre compassion pour les douleurs des ames tendres, même quand elles ne sont pas saintes. Héloïse répondit dignement au digne abbé de Cluni. Elle lui redemanda le corps d'Abailard, pour qu'il fût déposé dans une chapelle du Paraclet, selon son propre désir, lui recommanda leur fils Astralabe, qui avait si grand besoin d'un protecteur, et le conjura de lui envoyer, écrite et scellée de sa main, pour qu'elle fût suspendue au tombeau d'Abailard, l'absolution qu'il avait promis de lui donner.

Pierre se prêta à tous les désirs d'Héloïse : « Dès que j'en trouverai le moyen, lui écrivit-il, je m'efforcerai de procurer dans quelque noble église une prébende à votre Astralabe, que j'appelle aussi nôtre à cause de vous. » Les restes d'Abailard, malgré la résistance des religieux de Saint-Marcel, furent enlevés de leur abbaye et transférés au Paraclet. Et on déposa sur son tombeau l'absolution de Pierre le Vénérable, conçue en ces termes :

« Moi Pierre, abbé de Cluni, qui ai admis Pierre Abailard comme moine à Cluni, et ai concédé son corps, transporté furtivement, à Héloïse, abbesse, et aux religieuses du

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