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d'Héloïse, l'immortelle expression du désintéressement, du dévouement sans bornes de l'amour !... Je ne redirai pas cette touchante histoire, toujours populaire après tant de siècles. Mais je ne puis m'empêcher de rappeler la fondation du Paraclet, de cette noble école d'Héloïse.

Lorsque Héloïse et ses sœurs furent expulsées du monastère d'Argenteuil, Abailard vint à leur secours, et les conduisit dans un lieu désert où il s'était réfugié au temps de la persécution. Il y avait élevé une petite chapelle, « non à saint Jean, à saint Pierre ou au Sépulcre (il le dit <hardiment lui-même); il l'avait dédiée au seul Paraclet,» à l'esprit de vie et de science. Il voulait y donner un asile aux fugitives. Mais Abailard n'avait que son génie. Né noble, riche, aîné de sa famille, il avait tout laissé à ses frères. Et toutefois il ne voulut rien recevoir des seigneurs ni des rois pour bâtir la maison d'Héloïse. Ses disciples y pourvurent. Simples prêtres, écoliers indigents, mendiants de la science, ils trouvèrent des trésors pour leur maître. « Bientôt, dit l'épouse d'Abailard, on ne sut « plus que faire des offrandes. » Glorieuse fondation de la philosophie, de l'amour, de la liberté, bâtie des mains du pauvre pour abriter de pauvres religieuses, le Paraclet, malgré sa règle austère, fut bientôt trop étroit pour la foule de celles qui vinrent y recevoir les leçons d'Héloïse. Les papes honorèrent l'éloquente abbesse. Saint Bernard

lui-même, le grand adversaire d'Abailard, vint voir le Paraclet, et fut édifié. Toutefois, soit que le souvenir d'Abailard fit tort au monastère, soit que le nom même de Paraclet devînt suspect, ce fut la première et la dernière église élevée au Saint-Esprit.

On sait qu'Héloïse, par un admirable dévouement, s'était long-temps obstinée à nier qu'elle fût l'épouse d'Abailard. Le mariage étant considéré alors comme inconciliable avec les travaux de la science et de l'enseignement, elle s'immolait à la gloire de son époux ; elle craignait d'ôter une telle lumière au monde. « Celui que la nature avait fait « pour tous, pouvais-je, dit-elle, le prendre pour moi << seule ? >>

Le moyen âge chrétien, préoccupé du plus haut idéal, sembla mépriser le mariage et la vie de famille. Plusieurs théologiens enseignaient que le mariage est un péché, tout au moins un péché véniel. Les cours d'amour, qui portaient dans la passion les dangereuses subtilités de la scolastique, décidaient que le véritable amour ne peut exister entre époux. L'éducation que la femme avait reçue dans les âges monastiques eut ce noble défaut d'être à l'excès poétique et subtile. Les couvents, devenus des écoles, ressemblèrent trop souvent aux écoles de l'antiquité. Ces doctes religieuses, qui enseignaient les plus hautes sciences, font penser aux Lasthénie, aux Hypatia des âges païens.

Quoique le christianisme eût posé le double type de la vierge et de la mère, c'est au premier des deux points de vue que le moyen âge s'attacha de préférence; c'est là qu'il chercha la plus haute perfection. Par quels degrés les chevaliers et les docteurs, les poètes et les mystiques, développèrent à l'envi leur sublime idéal de la femme, c'est ce que je n'essayerai pas d'exposer ici. Qu'il me soit permis seulement d'indiquer le terme où menait cette route, la fin suprême où aboutit cette poésie métaphysique. Cette fin est marquée chez Dante, qui, conduit par Béatrix du purgatoire au paradis, par elle initié de cercle en cercle, la voit se perdre et se fondre au sein de l'éternelle beauté.

Trois passages très-courts marquent admirablement cette progression. Dans le premier, Dante est encore si préoccupé de son aimable guide, qu'il a peine à regarder plus haut :

« Elle me ramena à moi-même en m'éclairant d'un doux

sourire, et elle dit: Tourne-toi, écoute... Ne crois pas que le paradis soit seulement dans mes yeux!... » Parvenu à un cercle plus élevé, Béatrix se transfigure; le charme est mêlé de terreur: « Elle ne riait pas... Si je << riais, dit-elle, il t'adviendrait comme à Sémélé, qui tomba « en cendres. Ma beauté éclate à mesure que nous mon

<<< tons les degrés du palais éternel; mais je la tempère « pour toi... >

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