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Enfin, ne pouvant rien obtenir, et incapable de soutenir la colère de celui qu'elle aimait, Héloïse céda avec des torrents de larmes; et, ne voyant plus d'autre bien que de se perdre du moins tous deux, ils revinrent secrètement à Paris,

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laissant leur fils chez Denise; et moins d'une semaine après leur arrivée, ayant passé une partie de la nuit en prières dans une église, ils s'y marièrent de très-grand matin en présence d'un petit nombre d'amis. Puis ils se séparèrent, et ne se virent plus que rarement, avec le plus grand mystère et autant de précautions qu'il leur fut possible.

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Cependant Fulbert et ses familiers, regardant cette réparation cachée comme à peu près nulle pour son honneur, commencèrent à divulguer le mariage. Mais Héloïse démentait avec tant de fermeté les bruits qu'ils s'appliquaient à répandre, qu'elle se vit exposée à la colère et aux mauvais traitements de son oncle. Abailard, pour l'y soustraire, la conduisit au couvent des religieuses d'Argenteuil, dont il lui fit prendre l'habit, à l'exception du voile. Fulbert et ses parents, persuadés alors que le projet d'Abailard était d'obliger Héloïse à se faire religieuse et de se délivrer ainsi des liens de son mariage, crurent n'avoir plus rien à ménager. On sait quelle fut leur vengeance.

Instruite du malheur d'Abailard, toute la ville accourut chez lui. L'affliction fut grande dans le clergé, et les femmes, dit Foulques, versèrent d'abondantes larmes sur le sort de celui qu'elles regardaient comme leur chevalier.

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Excédé, irrité des cris de surprise et de douleur qui retentissaient de tous côtés à ses oreilles, des gémissements de ses élèves, et de la compassion de cette foule de gens qui venaient le plaindre de son ignominie, le malheureux Abailard, comme il nous l'apprend lui-même, ne sentait plus d'autre souffrance que l'insupportable confusion à laquelle il se voyait livré à l'idée de la honte et du ridicule attachés à cette singulière aventure prête à se répandre partout avec un éclat insupportable. Il gémissait de tant de gloire si facilement éteinte, se représentait l'affectation de ses envieux à louer l'évidente justice d'une pareille punition, la douleur de ses parents et de ses amis, l'insultante curiosité du public. Il se voyait montré au doigt, poursuivi de tous les regards, déchiré par toutes les bouches. Au sentiment de son honneur perdu se joignait celui de sa fortune arrêtée : les hautes dignités de l'Église lui étaient désormais inaccessibles : il ne se vit plus d'asile que le cloître. La honte, nous dit-il, l'y poussa plus que la dévotion. Arraché tout vivant, pour ainsi dire, aux passions, encore plein de ce monde qu'il allait quitter et qu'il ne sentait plus que par la douleur, Abailard, loin de songer à se faire un pieux mérite de ses maux, en repoussait avec aversion toutes les amertumes. Incapable de supporter qu'Héloïse demeurât libre quand elle cessait de lui appartenir, il exigea qu'elle prît le voile dans le couvent d'Ar

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