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effet, il serait aussi raisonnable d'accuser l'horloger de vouloir détruire la pendule en y introduisant un ressort nouveau, que d'accuser l'opposition de vouloir détruire le pouvoir en y appelant des hom

mes nouveaux.

D'après la constitution anglaise, l'obéissance au pouvoir est entièrement indépendante de l'estime pour les hommes du pouvoir; et même, plus cette indépendance est complète, plus est assurée la stabilité et la prospérité de l'État.

Une des qualités particulières que l'on vante dans la constitution anglaise, c'est que l'existence du gouvernement, et même sa bonne direction, sont indépendantes des vices ou des vertus du monarque, et de la place qu'il occupe dans l'estime du peuple. Supposez les bonnes qualités du monarque arrivées jusqu'à la perfection, tout contrôle est inutile; mais supposez ses vices poussés à l'excès, sous une constitution qui admet le contrôle, plus ce contrôle sera puissant et énergique, moins les effets de ces vices seront à craindre; et les affaires publiques se feront sans qu'il en résulte un mal sérieux.

Dans une occasion récente, on s'est soulevé avec emportement contre l'audace de certains pétitionnaires qui, en demandant la réforme électorale, cherchaient à déprécier la chambre des communes dans l'esprit du peuple. Certes il était bien naturel que les individus dont on signalait la corruption et l'ignorance trouvassent les pétitions offensantes pour

eux; mais il n'est permis à aucun homme impartial de soutenir que ces moyens soient dangereux et contraires aux principes de notre constitution.

Que disaient en effet ces pétitions? que dans l'état actuel des choses, les membres de cette chambre ont des intérêts séparés des intérêts du peuple qu'ils représentent; qu'ils sont trop dépendants de la couronne, trop indépendants de la nation; que cette coupable dépendance d'une part, cette coupable indépendance de l'autre, est maintenue par une corruption d'autant plus dangereuse qu'elle sait habilement se déguiser sous des formes légales.

Mais il est clair que, si dans ces circonstances on désire parvenir à quelque changement, ce change ment ne peut être obtenu qu'en dépréciant dans l'estime du peuple les agents corrupteurs et corrompus, et le système qui les fait agir, et ceux qui défendent ce système. Sans ce moyen et en dehors de ce moyen, il est impossible d'obtenir un changement, à moins qu'on n'ait recours à la violence.

On veut bien nous accorder cette vérité : aussi, nous répond-on : ce n'est pas la censure des hommes et des choses que nous trouvons condamnable, mais bien la manière irritante avec laquelle s'exerce cette censure, la violence des attaques, l'aigreur des accusations, toutes choses qui ont pour effet d'aliéner les personnes mêmes auxquelles on s'adresse pour obtenir remède.

Ce reproche est quelquefois mérité, j'en con

viens, et c'est alors un grand mal; pourtant cela ne prouve rien contre le droit de censure, mais uniquement contre la manière d'exercer ce droit.

Quels que soient les termes dans lesquels on attaque un abus, il est impossible qu'ils ne soient pas plus ou moins offensants pour ceux qui vivent de cet abus. Plus même l'abus sera criant, plus les termes de la censure seront irritants, parce que l'indignation de l'accusateur devant nécessairement être proportionnée à l'énormité de l'abus, les termes de l'accusation seront proportionnés à cette indignation. La cause de l'irritation est donc moins dans la forme que dans la substance; aussi, quelle que soit la forme de l'attaque, elle produira une irritation d'autant plus grande qu'elle obtiendra plus d'effet. Car c'est l'effet produit ou à produire qui fait agir l'un et résister l'autre.

D'ailleurs, s'il s'agit d'un abus qui profite au petit nombre et soit contraire aux intérêts de la majorité, s'il s'agit, par conséquent, de s'adresser à la multitude pour la rappeler au maintien de ses droits, il faut de toute nécessité employer certaines formes de langage qui puissent exciter chez les autres la même indignation que l'orateur ressent lui-même. Dans ce cas, un simple exposé de l'abus ne produirait aucun effet sur le public: un argument abstrait, quelque solide qu'il fût, suffirait à peine. Il faut que la force de l'argument soit appuyée sur la force de l'expression, et cette force d'expression entraîne né

cessairement à une vivacité de termes qui attire le reproche d'animosité et de violence.

Mais, en supposant qu'il y ait violence, veut-on en connaître la véritable cause? elle est bien moins dans l'esprit de ceux qui attaquent que dans la résistance de ceux qui sont attaqués. Si les hommes qui profitent des abus se laissaient persuader par de bonnes raisons, que ces abus doivent avoir un terme, il serait sans doute inutile de recourir à cette éloquence qui remue les passions; mais, dès qu'il s'agit de réforme, il s'élève aussitôt un cri d'indignation dans les rangs de ceux que doit atteindre cette réforme, et toujours ce sont eux qui donnent le premier signal de la violence. Leur colère est toute naturelle sans doute; mais elle serait même un habile calcul; car s'ils laissaient la discussion s'engager dans des termes modérés, leurs adversaires, appuyés sur la raison et la vérité, auraient un trop grand avantage, tandis que la passion des accusés provoque celle des accusateurs, qui se laissent ensuite entraîner trop loin, en effrayant les timides. Ceux-ci ne voient plus que les violences de la discussion, et condamnent ceux qui l'ont soulevée.

De tous les arguments qu'emploie le sophisme, le reproche de violence étant un des plus puissants, il devient important de ne pas le mériter, et pour cela il faut surtout se tenir en garde contre les provocations irritantes de ceux qui, profitant des abus, né reculent devant aucun moyen pour les rendre durables.

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TROISIÈME PARTIE.

SOPHISMES DILATOIRES.

LEUR SUJET EST LE DÉLAI SOUS DIVERSES FORMES, LEUR OBJET EST DE RECULER LA DISCUSSION, Afin de l'Éluder.

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CHAPITRE [er.

SOPHISME DU QUIÉTISTE. (Ad quietem.)

[ Personne ne se plaint. ]

Une loi nouvelle étant proposée pour la réforme de certains abus, dont l'existence n'est pas contestée, dont les effets pernicieux sont reconnus, phiste, tout en avouant l'abus, vous fait les objec tions suivantes : « La mesure est inutile; personne « ne se plaint de cet abus auquel vous voulez porter « remède. Or, dans un gouvernement comme le où l'on se plaint si souvent sans cause, on « nôtre, où l'on se « ne se tairait pas s'il y avait quelque juste sujet de plainte. » L'argument revient à ceci : « Personne « ne se plaint, donc personne ne souffre. » C'est un veto absolu contre toutes les mesures de précaution et de répression, qui tend à établir une maxime de

« EelmineJätka »