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Possible! oui, mais est-ce probable? Dans chaque branche du service public, il y a une classe de serviteurs officiels, dont chacun a son intérêt à maintenir la source d'abus où il puise; chacun sent dès-lors qu'il y a dans les abus une sorte de solidarité qui établit entre eux une affiliation naturelle, et, pour mieux tromper les timides, ils font toujours remonter toutes les attaques vers la personne royale, vers le patron universel, le dispensateur de tous les honneurs et de tous les abus, chez qui viennent se réunir en un seul lien tous les intérêts corrupteurs. C'est là une tactique où personne n'est en défaut; elle est parfaitement comprise de tous, même de ceux qui ne comprennent rien autre chose.

Hoc discunt omnes ante alpha et beta puelli.

S'il existe un cas où les réformateurs aient dû consentir aux lenteurs de la marche graduelle, c'est sans doute alors que toute autre condition eut été sans effet.

Avec le système actuel de représentation, les portes de la chambre ne s'ouvrent qu'à l'opulence. Il en résulte que l'intelligence législative de la plupart des membres ne peut être qu'un effet sans cause. Aussi, même en leur supposant des intentions pures, ils marchent avec tant de timidité et de réserve, que la lenteur devient pour eux un mérite de première nécessité, et qu'ils ont besoin de se recueillir chaque fois qu'ils font un pas. Ils ressemblent au voyageur qui, se trouvant de nuit dans un chemin parsemé de précipices, n'avance un pied

qu'après avoir affermi l'autre. Le temps est nécessaire pour rassurer les timides sans doute, mais pourquoi? Parce que le temps est nécessaire pour éclairer l'ignorance.

CHAPITRE V.

SOPHISME DES DIVERSIONS ARTIFICIEUSES. (Ad verecundiam.)

Ce sophisme peut s'expliquer par la recette sui-. vante qui sert à le mettre en usage.

On propose une mesure qui ne s'accorde ni avec votre intérêt ni avec vos inclinations; mais comme son utilité est incontestable, il ne vous paraît pas prudent de l'attaquer ouvertement. Mettez en avant quelque autre mesure, relative ou non à celle qui est sur le tapis, et qui puisse dans l'esprit de vos auditeurs passer pour égale ou supérieure. « Pour

quoi cette mesure? dites-vous; et pourquoi pas « celle-ci ou celle-là? » Par ce moyen vous opérez une diversion, en détournant l'attention du projet qui vous déplaît.

Il y a un cas cependant où cet argument ne mériterait pas le nom de sophisme; c'est lorsque la mesure d'abord proposée deviendrait un obstacle à une mesure plus utile.

Mais lorsque la première mesure est d'une utilité incontestable, ceux qui ne s'y opposent que parce

qu'elle est contraire à leurs intérêts privés, trouvent commode de déguiser leur opposition, en proposant des mesures rivales qui jettent de la confusion dans la discussion, font perdre le temps et égarent les esprits indécis.

Les ministres savent en général employer ce sophisme avec une très-grande habileté. Lorsqu'il s'agit d'un plan de réforme auquel ils ne voient plus d'opposition possible, ils prennent soin de s'emparer du plan et de son exécution, et ils annoncent qu'ils sont prêts à céder aux vœux de la chambre, en préparant eux-mêmes un projet de loi sur la réforme demandée. Mais comme il faut le temps nécessaire pour bien mûrir ce projet, le ministère éprouve le besoin d'en remettre la discussion à la session suivante.

La session suivante arrive. La mesure est d'une trop haute importance pour être présentée au commencement de la session. Le moment n'est pas encore venu. S'il n'y a pas moyen de la remettre encore, on la propose à la fin de la session. Alors il est trop tard; le temps manque pour la discussion; il faut ajourner à la session suivante. On a gagné du temps sans rien perdre en popularité; car ce qu'on a promis, on l'a fait.

Quand enfin le projet est présenté, il reste le choix entre deux opérations: celui des délais, et celui d'une rejection totale.

Celui des délais offre plus d'un motif de préférence. Tant qu'on peut les prolonger, on obtient le

résultat voulu, sans sacrifier ni sa volonté, ni sa réputation. L'extrême importance et l'extrême difficulté de la mesure deviennent un thême éternel d'excuses dilatoires, et tous les honorables font écho.

Quand le fonds des délais est épuisé, on a encore la ressource des événements imprévus; et s'ils font défaut, on engage quelqu'ami discret à s'opposer au projet et à en obtenir le rejet. On peut d'ailleurs toujours compter sur les ennemis naturels de toute innovation.

Quoi qu'il en soit, il faut qu'un ministre soit singulièrement malheureux ou maladroit, si la réforme ne sort pas toute mutilée de ses mains, si son patronage ne contribue d'une manière efficace à faire durer l'abus que l'on se proposait de combattre, en le modifiant dans quelque détail insignifiant, et en laissant aux réformateurs, au moyen d'une légère concession, toute la joie d'une victoire.

QUATRIÈME PARTIE.

SOPHISMES DE CONFUSION.

AYANT POUR OBJET D'OBSCURCIR LA QUESTION, QUAND ON NE PEUT PLUS ÉVITER LA DISCUSSION.

CHAPITRE Ier.

SOPHISME DES PÉTITIONS DE PRINCIPES. (Ad judicium.)

La pétition de principe est un sophisme bien connu et souvent employé même par ceux qui n'ont fait aucune étude approfondie des ressources de la logique. Une question étant donnée, on répond en affirmant le point en litige. Pourquoi l'opium faitil dormir? parce qu'il a une vertu soporifique.

Ce sophisme se rencontre parmi ceux qu'a énumérés Aristote. Mais Aristote n'a pas signalé un mode particulier de l'employer d'une manière efficace et dissimulée, par le moyen d'un seul mot. C'est cette méthode que nous allons examiner.

Parmi les termes employés pour désigner les objets qui appartiennent à la science morale, il en est qui présentent l'objet pur et simple, sans y ajouter aucun sentiment d'approbation ou de blâme;

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