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1814.

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Il en est tellement ainsi, messieurs, qu'en | messieurs « voici d'abord ce qui concerne Hélas! messieurs, vous nous ramenez à 1790, quand pour la première fois les Chambres furent saisies d'un tarif général, il existait déjà un certain nombre de traités, et M. Goudard, rapporteur du traité de 1790, en fait l'énumération.

Les traités faits avec quelques puissances, écrit-il, la Suisse, les villes hanséatiques, la Grande Bretagne et la Russie, n'en seront pas moins respectés. »

Voilà ce que dit M. Goudard, et je recommande à mes collègues de droite la médita tion de cette vérité. Ils sont peut-être habitués à enseigner aux populations que si l'industrie souffre, si l'agriculture est aussi dans un état de souffrance, cela provient de l'appli cation des théories libérales, que c'est le résultat de la Révolution qui a fait les traités de

commerce.

Eh bien, non! les traités de commerce ne sont pas une invention de la Révolution ni une invention de l'empire: ils sont dans la tradition nationale, et je vous montre qu'en 1790, au moment du réveil national, des traités liaient la France avec la Suisse, les villes hanséatiques, la Grande-Bretagne et la Russie, c'est-à-dire avec les pays qui avaient une im. portance commerciale.

Voix à droite. Qu'est-ce que cela prouve ? M. Maurice Rouvier. Nous aurons l'occasion de vous rappeler ce que cela prouve. Chaque fois que nous vous apportons un traité de commerce, vous protestez, vous vous écriez que nous voulons ruiner le pays et que nous sacrifions les intérêts nationaux à nos théories et à nos caprices. (Interruptions à droite.) Cela prouve que nous sommes dans la traditien nationale et que comment pourrais-je bien dire ? dans votre ardeur à nous faire revenir en arrière, vous voulez nous ramener non pas au delà de 1789, mais encore au delà du siècle de Louis XIV. (Très bien ! très bien ! à gauche. Bruit à droite.)

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M. de La Rochefoucaud, duc de Bisac. cia. Du temps de Colbert, l'Amérique n'était pas un pays producteur de blé.

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le tarif d'entrée. Nous proposons d'affranchir
de droits les productions indispensables à la
subsistance et les matières premières les plus
utiles à nos fabriques. » (Très bien ! très bien !
à gauche.)

Je vous fais grâce de la suite des principes
qu'énonce encore Goudard, et que je voudrais
voir appliqués dans notre tarif général. Ils
sont tels que M. Amé, dans son remarquable
travail sur les douanes françaises, disait:

Parmi les libres-échangistes modernes, il n'en était pas un, à la veille du traité de 1860, qui n'eût considéré ce régime de douanes comme le triomphe complet de ses doctrines. Fréderic Bastiat lui-même n'en demandait pas d'autre. »

Mais ne suffit-il pas de replacer sous vos yeux ce principe inscrit en 1790 au frontispice même de la théorique économique de la Révolution française: « Pas de droits sur les matières alimentaires, pour conclure que non seulement la liberté économique, et la liberté de l'alimentation qui n'en est que la forme la plus nette, la plus sacrée et la plus saisissante...

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M. Camille Pelletan. Très bien !
M. Maurice Rouvier. N'ai-je pas le
droit de conclure que la liberté de l'alimentation
est à la fois conforme à la doctrine nationale
d'avant la Révolution, et qu'elle est consacrée
encore par la grande tradition de la Révolu-
tion française? (Très bien ! tres bien! à
gauche.)

Messieurs, toutes les fois qu'on essaye d'éta⚫
blir à cette tribune qu'il existe un rapport, un
lien nécessaire, entre les institutions politiques
et le régime économique, des protestations
s'élèvent. On saisit cette occasion pour don-
ner libre cours aux sarcasmes qu'il est d'usage
d'adresser aux défenseurs de la liberté écono-
mique Ce sont des rêveurs, des utopistes,
dit-on.

Mais, messieurs, il ne suffit pas de railler, de persifler; il faut prouver, il faut démontrer. Quant à nous, nous pouvons citer à l'appui de notre thèse des témoignages que vous ne contesterez pas, je l'espère, entre autres, celui-ci :

En 1834, M. Thiers — vous entendez bien? M. Thiers, qui n'était pas un idéologue, pour employer une expression du premier em. pire, qui n'était pas non plus un libre-échan

M. Maurice Rouvier. Messieurs, j'ai dit un mot du tarif général qui a été discuté dans les Assemblées de la Révolution en 1790 et dont M. Goudard, député du Rhône, de Lyon, était le rapporteur. J'ajoute que M. Goudard n'était pas libre échangiste, et si j'en avais le loisir, si je n'avais pas à presser, à serrer la question qui nous occupe, je vous ferais l'ex-giste, cet homme d'Etat, cet homme politique, posé de la discussion fort intéressante qui eut lieu à cette époque dans l'Assemblée; il me sera toutefois permis de mettre sous vos yeux les principes dont se réclamait le rap. porteur du premier tarif général français.

« Nous avons, disait-il, divisé les marchandises de notre commerce extérieur en huit classes pour l'entrée, et autant de classes pour la sortie, avec des droits gradués de manière à donner le plus grand encouragement à l'importation des matières premières et à l'exportation des matières ouvrées. »

Vous voyez bien que Goudard n'était pas un libre échangiste.

toujours maître de sa parole, d'un esprit tout

Celui de 1830 doit être mesuré, pratique, politique...

« Le droit sur les laines fut imaginé en 1822 pour assurer un prix de monopole à de grands propriétaires...>

M. Wickersheimer. C'est cela ! Un membre à gauche. Et en 1871 ? M. Maurice Rouvier. « Un droit, concluait-il, ne peut rien contre la nature des choses.

...

Eh bien, messieurs, si cela est vrai, si M.

Thiets a pu dire que l'esprit du gouvernement de Juillet devait être un esprit mesuré, pondéré, politique, trouverai-je ici un contradicteur si j'affirme à mon tour que l'esprit qui doit dominer votre législation douanière sous le régime du suffrage universel, sous la République démocratique que vous avez fondée, doit être un esprit profondément démocratique ? Je ne le pense pas. (Très bien ! très bien à gauche.)

Il est vrai qu'on oppose à cette assertion l'exemple des Etats-Unis. On me dit: Que parlez-vous du lien, du principe commun qui doit animer les institutions politiques et le régime économique, quand vous avez non loin de vous les Etats-Unis, qui sont assurément un pays démocratique, une démocratie libre, et qui cependant vivent sous l'empire d'un régime presque prohibitif ?

Mais, messieurs, il ne suffit pas qu'un principe soit enfreint sur un point quelconque du globe pour qu'il ait cessé d'exister. Si, il y a trente ans, un audacieux — il en est dans tous les temps était venu soutenir à cette tribune que l'esclavage est incompatible avec un régime de libre démocratie, peut être se seraitil trouvé sur quelques bancs — j'aime à croire que non, cependant peut-être, dis-je, se serait-il trouvé des voix pour dire : Et les Etats-Unis ?

-

M. Camille Pelletan. C'est cela! très bien !

M. Maurice Rouvier. Eh bien, oui, les Etats-Unis vivent sous le régime de la protection; ils ont connu une institution autrement abominable — j'ai nommé l'esclavage ! Mais y a-t-il une analogie entre notre situation et celle des Etats-Unis, ce pays nouveau, ayant devant lui d'immenses terres à défricher, cherchant à créer une industrie nationale. Et d'ailleurs, messieurs, il faudrait, pour juger la politique économique des Etats

Sans aller jusque-li, ne voyez-vous pas déjà se manifester quelques-uns des inconvénients de cette politique? Quel est donc le régime des Etats-Unis ? Il y a, dans ce pays, des droits presque prohibitifs à l'entrée des produits manufacturés, et des droits également élevés à l'entrée des produits agricoles.

à fait pondéré, M. Thiers, membre du Gou-Unis, attendre la fin.
vernement en 1834, saisit les Chambres d'ane
proposition tendant à quoi ?....... A demander des
rehaussements de droits? Non; à les réduire.
La proposition dont je parle est du mois de
février; elle tendait à réduire d'un tiers le
droit de douane sur les laines; et voici com-
ment M. Thiers appréciait le lien qui existe
entre les conceptions politiques dont se rẻ.
clame un gouvernement et son régime écono
mique.

M. Thiers écrivait : « L'esprit d'an Gouver
nement doit présider à toutes ses résolutions.
L'esprit de 1789 fat un esprit téméraire; l'es.

Il ajoutait :

Il faut distinguer. Je disais hier, dans une interruption, que les droits inscrits dans le ta rif douanier des Etats-Unis à l'entrée des produits agricoles sont simplement décoratifs : ils ne fonctionnent point.

La production agricole des Etats-Unis est

le monde de ses produits. Ces droits ne fonctionnent point, il faut renoncer à en tirer argument.

Il est très vrai que les droits sur les produits manufacturés ont une existence réelle et une efficacité non moins certaine. Ils entravent le commerce de l'Europe avec les Etats Unis. La discussion qui a lieu en ce moment devant vous, messieurs, n'est-elle pas précisément une des faces de ce problème des rapports économiques entre les Etats-Unis et l'Europe? (Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)

Si l'Europe avait la possibilité d'envoyer aux Etats-Unis ses produits manufacturés, ne croyez-vous pas qu'elle consentirait à recevoir les produits agricoles de ce pays? Mais nous mettons précisément les Etats Unis en éveil par les mesures qui sont proposées aujourd'hui et qui pourront avoir pour effet d'arrêter les exportations de ce pays.

Si l'on avait pu, il y a vingt ans, suis bien aise de le dire devant MM. les ministres du commerce et de l'agriculture, car s'il est trop tard pour le faire avec les EtatsUnis, peut-être dans l'Amérique méridionale y a-t-il des pays avec lesquels il serait bon et utile de prendre cette précaution - si, dis-je, il y a vingt ans, on eût fait, avec les EtatsUnis, un traité de commerce, est-ce que nous n'aurions pas conservé avec ce pays des relations autrement développées que celles que nous avons aujourd'hui ? La campagne qui se fait actuellement en Europe, ce réveil des idées de protection, tout cela n'est-il pas fait pour avertir un pays comme les Etats-Unis? Si vous persévérez dans la voie où vous êtes entrés, si vous relevez encore les droits sur les grains des Etats-Unis, et si les autres nations vous imitent, que deviendra cette nation avec sa production exubérante! Vous fermerez vos portes à ses produits et alors dans quelle situation se trouvera la république des Etats

Unis?

Donc l'exemple des Etats-Unis ne porte pas parce qu'ils sont dans un état économique tout à fait différent du nôtre.

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A droite. Mais ils s'enrichissent. M. Maurice Rouvier. Nous avons une clientèle extérieure tout autre. Pouvons-nous négliger, comme le disait M. Deschanel, notre marché extérieur parce que, selon lui, notre marché intérieur a une tout autre importance - pour la production nationale? Ce marché intérieur consomme annuellement une vingtaine de milliards, c'est vrai, mais savez-vous bien que le chiffre de l'exportation quand je dis savez-vous, c'est une mauvaise for mule que j'emploie vous savez bien, veux-je dire, que le chiffre de notre exportation est de plus de 4 milliards. Eh bien, pensez-vous que nous puissions faire abstraction de notre clientèle extérieure et qu'il nous est possible, comme aux EtatsUnis, de créer chez nous un régime de cherté artificielle, de perdre notre clientèle extérieure et non pas seulement une somme importante de bénéfices commerciaux, mais même quelque chose de ce qui est le rayonnement de la 1887. - DÉP., SESSION ORD.- ANNALES, T. II.

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France sur le monde entier ? (Applaudisse- | quintaux, c'est-à-dire le tiers de notre propre
ments à gauche.)
consommation pour une population bien plus
importante que la nôtre.

Est-ce que nos produits, après avoir traversé
nos frontières, ne portent pas avec eux l'image
de la France, ses moeurs, sa langue, sa poli-
tique, son influence, son rayonnement sur le
monde entier, partout où se consomment des
objets français? Est-ce que nous pouvons
abandonner tout cela ? Pouvons-nous comparer
avec un pays né d'hier, la France qui a der-25 millions de quintaux ?
rière elle quatorze siècles agités, traversés par
pas mal de gloire et aussi de malheurs, quel-
ques défaillances, mais aussi de nobles efforts,
tout un passé enfin qui nous a conquis la
deuxième place sur le globe parmi les nations
productrices, et qui nous aurait donné la pre-
mière place si nous n'étions pas entrés dans
une politique économique restrictive. (Nou-
veaux applaudissements sur les mêmes bancs
à gauche.)

M. Méline. Et le seigle?

M. Maurice Rouvier. L'honorable M. Méline me dit: Et le seigle? J'entends bien, et vous pensez que je ne voulais pas l'oublier. Oui, il y a le seigle, et il y a un droit sur le seigle; mais pourquoi ai-je cité ce chiffre de

Ce n'est pas pour tirer cette conclusion qu'en Allemagne on se nourrit purement d'enthousiasme : on y mange quelque chose; on y mange du pain de seigle, alors que notre population ouvrière, dans les villes et dans les campagnes, a cette bonne fortune, ce bonheur d'être au niveau d'une civilisation supérieure et de se nourrir de pain de froment. (Très bien! très bien!)

Je ne veux pas en tirer d'autre conclusion. Je veux mettre en présence de cette espèce de paradis terrestre, qui serait le résultat de la politique du chancelier, la situation de notre propre population ouvrière.

Il y a encore l'Allemagne. Oh! on ne la cite
pas comme l'exemple d'un pays où règnent la
liberté, les principes démocratiques. On pour-
rait cependant faire remarquer qu'il y a le
suffrage universel en Allemagne et qu'à côté
de ce suffrage universel il existe un droit sur
les blés, ce qui semble atteindre profondément
le principe dont je suis le défenseur.
M. Camille Pelletan. Mais on a refusé économique de l'Allemagne.
d'établir une surtaxe!

M. Maurice Rouvier. Certainement il y
a le suffrage universel en Allemagne. Mais si
délicat qu'il soit de s'expliquer sur ces cho-
ses, à cette tribune, il me sera bien permis de
dire que l'Allemagne ne constitue pas une
démocratie libre, maîtresse d'elle-même. C'est
un grand empire militaire qui cherche à main-
tenir, à soutenir sa féodalité terrienne, qui est
conséquent avec ses principes en voulant don.
ner à cette féodalité, à cette oligarchie, le
meyen de subsister. Et on le lui donne par le
monopole, par des prélèvements sur les pro-
duits de l'ensemble de la nation, au moyen
de mesures qui conviennent à un tel régime.

Il y a encore autre chose. On parle souvent de l'Allemagne à propos des effets da traité de Francfort, et on prétend nous montrer le développement extraordinaire de la puissance économique de ce pays à côté de la décadence, de l'impuissance de notre propre

commerce.

Eh bien, messieurs, il ne faut pas prendre toutes ces assertions pour parole d'évangile; il faut les vérifier, les contrôler. Voulez-vous que nous recherchions d'abord quel est l'état social de l'Allemagne ? Je vous montrerai ensuite l'importance de son commerce extérieur.

L'état social de l'Allemagne, vous allez le voir tout entier dans un document; c'est celui qui indique la consommation des céréales dans l'empire germanique.

M. Camille Pelletan. C'est cela !

M. Maurice Rouvier. Nous sommes une nation de 38 millions d'habitants, et nous consommons 80 millions de quintaux de blé par an. En Allemagne, la population est de 45 millions d'habitants; savez-vous quel est le chiffre de sa consommation en blé? Voici la moyenne des années 1880, 1881, 1882, 1883, 1884 et 1885. Elle consomme 25 millions de

M. Le Provost de Launay. Vous n'êtes pas d'accord sur ce point avec le ministre de l'instruction publique, qui, il y a quelques jours, faisait au Sénat l'éloge de la politique

M. Maurice Rouvier. Je suis sur le terrain économique, permettez-moi d'y rester et je ne crois pas que personne en France ait à se plaindre de la situation consolante qui est faite à notre population ouvrière sous ce rapport. (Très bien! très bien! à gauche.)

Ainsi, voilà un empire militaire qui, par la fortune des armes, s'est constitué auprès de nous au lendemain d'événements que nous n'avons pas pu oublier. Il s'est produit dans ce pays une révolution économique; il était placé sous le régime de la liberté, et, de par la volonté de l'homme qui a dominé son Parlement, il est passé sous le régime de la protection et, tous les jours, nous nous heurtons à cet argument que j'examine: « Mais l'état social, mais l'état économique est bien préférable et bien supérieur en Allemagne qu'en France.» Je montre le contraire et je dis que la situation de la population ouvrière...

M. Camille Pelletan. Et rurale! M. Maurice Rouvier. ...est plus heureuse de ce côté-ci du Rhin que de l'autre côté. (Applaudissements à gauche.)

M. Le Provost de Launay. Je suis de votre avis; je vous ai seulement fait remarquer que vous étiez en désaccord avec M. le ministre de l'instruction publique.

M. Maurice Rouvier. Ne vous en plaignez pas, messieurs: dites-le, au contraire, à tous nos concitoyens assez attristés dans leur fierté patriotique pour qu'ils trouvent quelque consolation dans la constatation de ce fait qu'ils sont moins malheureux quant aux conditions matérielles de l'existence que les populations d'au delà du Rhin.

Mais, en dehors de la situation matérielle des populations laborieuses, examinons le ta bleau du commerce de l'Allemagne. Cela est encore devenu comme une vérité incontestéo que le commerce allemand, grâce à la révolu

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l'ai trouvée dans la bouche d'un de mes ad. | complète absolue. Qui est-ce qui dit le conversaires l'opinion d'un homme d'Etat pour traire? lequel je n'ai pas besoin de dire quels sentiments j'ai gardés......

Un membre à gauche. Parlez plus haut!
M. Maurice Rouvier. J'ai encore une

Si nous en avions le loisir, j'étudierais avec vous le tarif douanier de l'Allemagne, et je vous dirais que je serais assez disposé, pour ma part, à faire avec mon contradicteur habi. tuel, M. Méline, une transaction: nous pour-longue carrière à parcourir, et je vous prie de rions prendre l'ensemble des tarifs allemands pour l'appliquer à notre pays et examiner ensuite l'ensemble de nos tarifs pour l'appliquer à l'Allemagne. Nous verrions qu'il y a plus de protection de notre côté que de l'autre. Mais passons.

Quelle est la situation respective des deux pays? J'ai là les chiffres de 1884: je vois que l'Allemagne exporte pour 4 milliards de francs. C'est un chiffre considérable, je le reconnais, qui s'est élevé beaucoup dans ces derniers temps, mais qui est encore inférieur au nôtre, puisque nous exportons pour 4 milliards 218 millions de francs. Je veux bien que le premier chiffre soit fort élevé et que la différence entre les exportations de la France et celles de l'Allemagne soit minime; mais, messieurs, il ne faut pas oublier que, d'un côté, il s'agit de la production d'une nation de 45 millions d'hom. mes, et, de l'autre côté, la production d'une nation de 38 millions d'habitants. De sorte que, si on tient compte des forces productives des deux pays, nous avons encore une avance d'un cinquième sur l'Allemagne.

me permettre de ne pas parler trop haut, parce qu'alors mes forces m'abandonneraient. Plusieurs membres à droite. Reposez vous. M. Maurice Rouvier. Je dis qu'on a ap porté dans cette discussion — et on s'en est l'opinion de Gambetta. Eh bien, je l'ai recherchée; on l'a extraite d'un article écrit par Gambetta en 1868, alors qu'il

fait une arme

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avait à apprécier les théories et les lois économiques de M. Rouher à la fin de l'empire. Et quelle est cette opinion de Gambetta? condamnait-elle la liberté des échanges, la liberté économique? Y a-t-il dans les lignes qu'il a écrites en 1868, l'adhésion à un principe qui s'en éloignât, qui pût justifier la création d'une taxe sur les denrées alimen

taires?

Messieurs, il n'y a rien de semblable, et je serais prêt à y souscrire, tout convaincu que je suis de l'excellence de la doctrine de la liberté dans cette matière comme dans les au

tres.

Il n'y a rien, dans l'opinion de Gambetta qui soit en contradiction avec cette doctrine et qui puisse être invoqué par ses adver

Avant le dernier relèvement du droit sur les céréales que vous avez décidé, vous aviez un droit qu'on appelait droit de statistique. Ce droit était de 0 fr. 60 sur une denrée de 20 fr.; c'était donc un droit de 3 p. 100, c'est à-dire quelque chose de plus qu'un simple droit de statistique.

Est ce que nous avons demandé l'abolition souvenir d'avoir eu à en défendre le maintien de ce droit ? Nullement, et j'ai même gardé le

contre une proposition émanée de l'honorable M. Haentjens qui, en effet, lors de la discus. sion du tarif général des douanes demanda son abolition. J'ai combattu sa proposition bien qu'en théorie pure et en doctrine, je reconnusse qu'il avait mille fois raison. Je l'ai

combatiue, je le répète, parce que les législateurs ne peuvent pas ne pas tenir compte, non seulement de toutes les conditions qu'in · diquait Gambetta, mais encore de quelque chose de plus, à mon sens.

En effet, ils ne doivent pas seulement tenir compte des intérêts, de la situation, de la répercussion qu'aurait la mesure qu'on va prendre; il leur faut aussi tenir compte d'autre chose d'une chose sans laquelle il n'y a pas de vraie politique des préjugés, des préjugés qu'il ne faut pas heurter trop violem.

ment si l'on ne veut se créer des difficultés

pour le lendemain, si l'on ne veut pas que la mesure que l'on prendra soit condamnée par l'opinion.

Ce n'est point là une raison pour fermer les yeux sur les mesures qu'impose la nécessaires. sité de lutter avec ce concurrent nouveau; mais il fallait faire cette constatation, car, à entendre nos contradicteurs, on croirait que les Anglais, les Belges, les Allemands peu- science économique pure; ce n'est pas un qui réclamaient l'abolition du droit de 0 fr. 60

vent nous chasser de tous les marchés du monde. Si cela était vrai, vous auriez peutêtre raison de dire à cette Chambre : Paisque vous êtes dans la situation des EtatsUnis, établissez une haute muraille pour empêcher l'entrée des produits étrangers, et contentez-vous de votre marché intérieur.

Mais vous êtes loin de cette situation; vous

exportez 4 milliards 1/2 par an, c'est-àdire près du quart de votre consommation intérieure. Il n'y a donc pas lieu de peindre la situation sous des couleurs si noires et d'annoncer la décadence de notre commerce extérieur.

Messieurs, je ne voudrais pas insister davantage sur les thèses doctrinales, sur le côté théorique qui domine la question qui vous est soumise. Je reconnais très volontiers qu'en ces matières, en matière économique comme en matière politique, la législation ne saurait avoir pour résultat, pour but, l'application de principes purs; à mes yeux, à mon sens, la législation est une série de transactions entre les principes et les faits, entre la théorie et la pratique, et cette règle s'applique aussi bien aux choses de l'ordre purement économique qu'aux choses de l'ordre politique. Je ne connais pas dans un pays, si libre soit-il, une seule application d'un prin. cipe pur, sans restriction, sans l'avoir accommodé au milieu contingent dans lequel il doit se produire, à la réalité des faits.

Voici ce qu'il disait : « Cette théorie de la liberté des échanges entre tous les marchés du monde n'est qu'une donnée exacte de la

Nous avons donc tenu compte de tout cela, et nous ne nous sommes pas joints à ceux

sur les blés.

Da reste, faut-il rappeler l'historique de la discussion qui se ponrsuit aujourd'hui pour la seconde fois ?

La précédente Assemblée, elle aussi, a été saisie de la question des céréales, et elle l'a examinée et réglée dans l'esprit de transaction que j'invoquais tout à l'heure.

dogme ineluctable, inflexible, et qu'il faille appliquer rigoureusement et sur l'heure à toutes les sociétés... Après avoir écouté les leçons de l'économie politique, il faut rechercher ce que le pays qu'on veut doter du libre commerce présente de conditions propices ou contraires. Les intérêts et les forces du pays doivent être examinés, pesés, combinés, toutes les conditions scientifiques, morales, poliJ'avais l'honneur alors de faire partie du catiques du succès doivent être assemblées, dis-binet; il me sera permis de m'expliquer sur posées, réalisées, avant de tenter cette capitale épreuve sur la fortune nationale. »

Qu'est-ce à dire sinon qu'il ne faut pas passer en un jour du régime de la protection assez lourde qui existait avant l'empire, ni même du régime que nous devons aux traités de commerce de l'empire, et qui est un régime de liberté tempérée ou de protection modérée, car c'est exactement la même chose, au régime de la liberté absolue, sinon qu'il faut préparer des transitions, établir entre des formules qui semblent inconciliables des moyennes qui couviennent à la pratique des choses humaines ?

Quel est le régime sous lequel nous vivons? C'est, je le répète, un régime que vous pouvez qualifier, suivant le point de vue auquel vous vous placez, de liberté économique tempérée ou de protection modérée.

Gambetta disait qu'il ne faut pas passer d'un régime à un autre en un jour, en une heure, sans préparation, sans y être amené par la logique des faits, qu'il ne faut pas pas

l'attitude que j'ai prise alors. On me l'a quelquefois reprochée; il est vrai que si je pouvais avoir quelques doutes sur sa correction, ces doutes seraient aujourd'hui dissipés au spectacle de ce qui se passe devant nous. (Très

bien! sur divers bancs.)

Il y avait dans le cabinet dont j'avais l'honneur de faire partie, comme dans tous les cabinets qui ne se constituent jamais sur une question d'économie politique, une majorité et une minorité. Je faisais partie de la minorité.

M. Allain-Targé. C'est le secret du conseil que vous divulguez. (Oa rit.)

M. Maurice Rouvier. Je ne veux pas révéler le secret du conseil, rassurez-vous. Mais il m'est permis de dire qu'il y avait une majorité et une minorité, que je faisais partie de la minorité; je l'ai dit d'ailleurs à ce moment. J'avais à opter entre reconquérir ma liberté de parole, et alors me retirer; ou, au contraire, essayer de travailler à la transaction qui m'apparaissait comme devant conci

le droit de le dire, car cela a un certain intérêt, il y en avait de deux ordres, comme aujour d'hui, des raisons politiques et d'autres purement économiques.

rité qui parle.

sidérations qui ont fait mon opinion, j'ai bien | lequel c'est la majorité qui se tait et la mino- | bien que M. Ganault avait déposé un amendement établissant un droit de 5 fr... M. Ganault. J'y suis resté fidèle. M. Maurice Rouvier. Vous y êtes resté fidèle, mon cher collègue. Je rends hommage à cette fidélité. Je disais donc qu'une transac tion est intervenue entre ceux qui ne vou

A ce moment-là, si vous interrogiez les membres de la Chambre d'alors, ceux qui représentaient le Gouvernement dans les départements, les préfets, tous vous disaient: Bon ou mauvais, justifié ou injustifié, peu importe, il y a dans le pays un courant d'opinion en faveur d'an droit de 3 fr. et même de 4 et 5 fr. Vous ne pouvez le refuser, et les institutions elles-mêmes seraient menacées de sombrer ou tout au moins d'être gravement atteintes, si vous ne faites pas à l'opinion publique ce sacrifice qu'elle réclame. »

D'autre part, on invoquait l'argument le plus puissant en ces matières, celui qu'invoquait l'autre jour, avec son grand talent, notre honorable collègue M. Deschanel: Est ce que nous vivons sous un régime de liberté absolue? Nous avons un droit de 0 fr. 60 sur les céréales, nous avons de plus un tarif général ou conventionnel frappant les marchandises dans des proportions variant de 10 à 20 p. 100; que pouvez-vous répondre aux agriculteurs qui vous disent: puisque vous ne pouvez pas nous donner l'égalité dans la liberté, donnez-nous l'égalité dans la protection.

Et alors je suis arrivé à penser qu'en tenant compte de ce qu'il pouvait y avoir de légitime dans ces réclamations qui nous assiégeaient, en tenant compte aussi peut-être trop de la situation politique, la vérité était dans une transaction dɔnnant aux céréales un droit que, dans mon esprit, j'évaluais à 10 p. 100 et qui mettrait ses produits sur le même pied que les objets manufacturés.

Je pensais faire ainsi aux considérations politiques et aux considérations économiques, teates les concessions, tous les sacrifices qui pouvaient leur être faits. C'est pour cela que je me suis efforcé de maintenir dans les en- virons de 3 fr. la surtaxe des céréales, ce qui pour moi les plaçait dans les mêmes conditlons que les objets manufacturés, en luttant de toutes mes forces pour empêcher de l'éle ver à 4 et 5 fr. Cette surtaxe, d'ailleurs, je ne l'ai point votée.

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Je ne mettrai aucune amertume dans mes paroles, et je ne voudrais adresser au Gouvernement aucune sommation. Je veux seulement rappeler un état de choses que tout le monde connaît. Je suis, disais-je, rassuré sur la correction de ma propre attitude par le spectacle que j'ai sous les yeux quand je vois un Gouvernement dont la grande majorité neuf membres-n'est pas favorable au relèvement des droits et dont la minorité, qui, si l'on en croit ce qu'on peut savoir des secrets du conseil, se réduit à deux membres, a la bonne fortune et l'insigne avantage de pouvoir apporter à cette tribune son opinion et imposer silence à l'opinion contraire de la majorité de ses collègues.

Messieurs, je fais cette constatation, je le répète, non pour triompher, non pour diriger des sarcasmes contre le Gouvernement; je la fais parce qu'elle montre bien que c'est là une question tellement grave et complexe, qu'à côté même du problème économique qu'il s'agit de résoudre il y a également des considé rations politiques et que je ne peux pas penser que ce ne sont pas ces considérations d'un ordre politique qui retiennent et enchaînent la liberté d'action de la majorité du Gouver

nement.

J'ajoute que je n'insiste pas là-dessus parce que je ne crois pas qu'il soit vrai que cette discussion se poursuive et s'achève sans que nous sachions par une déclaration autorisée quelle est la pensée du Gouvernement...

Quelques membres à gauche. A la bonne heure !

laient aucun droit et ceux qui proposaient un droit de 5 fr., de 4 fr. La Chambre a fait, entre les doctrines hostiles qui se débattaient devant elle une, moyenne : elle a adopté le droit de 3 fr.

Que s'est-il passé depuis lors? Est-ce que les blés étrangers ont continué à affluer dans ce pays? Est-ce que le droit était tellement insignifiant, qu'il n'ait exercé aucune action sur le commerce des céréales ? ou, au contraire, a-t-il eu une certaine efficacité ? Quels sont les effets nouveaux qui se sont produits, puisque, pour la seconde fois depuis le commence. ment de la législature, on nous demande d'é.

tablir un droit de 5 fr.

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Un membre à droite. Quand il y a de bonnes récoltes !

M. Maurice Rouvier. Cette interruption n'ajoute rien au débat : il est évident que, quand la récolte est bonne, le blé étranger entre en moins grande quantité; mais aussi les prix intérieurs sont plus bas. L'interruption n'a donc pas d'intérêt.

Nous voici en 1881. Pourquoi n'a-t-on pas M. Maurice Rouvier. Il ne viendra à l'i-parlé de droits alors, en 1881, au moment où dée de personne je me hâte de le déclarer

de demander à M. le président du conseil de peser sur les délibérations de la Chambre en faisant de cette question une question de cabinet. On pourrait dire cela a été dit, sinon dans la Chambre, du moins dans la que certes la question en vaut la nale a une importance au moins égale à des peine et que le régime de l'alimentation natio. considérations assurément respectables, mais d'ordre administratif secondaire qui ont, dans des circonstances antérieures, déterminé M. le

presse

M. Achard. Oui, mais l'engrenage était président du conseil à intervenir. monié. Pour ma part, je ne lui demande pas cela. M. Maurice Rouvier. Vous avez raison, Je ne crois pas, à l'heure qu'il est, que permon cher collègue.

M. Achard. Vous voyez le parti que M. Deschanel en tire. Il faut y passer jusqu'au bout.

M. Maurice Rouvier. Laissez-moi vous dire que, si c'est un acte de contrition de ma part que vous désirez, vous ne l'aurez pas. Si j'avais été tenté de le faire, j'en serai détourné par le spectacle que nous donne le cabinet actuel, dans lequel la situation du cabinet existant en 1884 est tout à fait renver£ée. J'ai fait partie d'un gouvernement dont la majorité était favorable à l'augmentation du droit sur le blé et j'ai gardé le silence, parce que j'étais dans la minorié. Je me trouve au

sonne veuille le pousser dans une voie qui pourrait être une voie de sacrifice (Mouvements divers); je lui demande seulement de dire avant la fin de la discussion quelle est l'opinion de la majorité du cabinet, en se gardant de poser à ce propos la question de confiance. Il n'est pas possible que la discussion s'achève sans que le chef du Gouvernement ait formulé son opinion comme chef du Gouvernement. (Applaudissements sur divers bancs.)

nous faisions le tarif des douanes? La commission des douanes avait cependant reçu une montagne de pétitions, formant un vo. lume de plus de 2 mètres cubes, qui demandaient un droit de 3 fr. sur les céréales.

Cependant personne n'a réclamé à ce moment devant la Chambre l'établissement de ce droit.

présentent un capital de 519 millions de francs. Ea 1881, les importations de céréales reCe chiffre fléchit à 502 millions de francs en millions en 1884. En 1885, 1882, puis à 374 millions en 1883, et à 360

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Vous vous sou

venez que le droit a été voté dans le premier trimestre, l'importation descend à 360 millions; en 1884, à 232 millions de francs. Enfin, en 1886, elle n'est plus que de 244 millions de francs.

Donc, il est exact de dire que le droit, en tant qu'il avait pour effet de restreindre l'afflux des blés étrangers, a eu une certaine effi. cacité, puisque l'importation a diminué d'un tiers.

Malgré cela, dès le début de la réunion de cette Assemblée, nous nous sommes trouvés en présence d'une proposition émanant de la droite et d'une proposition émanant du centre, tendant à relever le droit à 5 fr.

Mais, messieurs, poursuivons. Je rappelle qu'en 1884 une transaction s'est faite, dans Je ne rappellerai pas les épisodes divers cette Chambre, entre ceux qui ne voulaient auxquels a donné lieu la discussion à ce moaucun droit et ceux qui demandaient un droitment: je me borne à constater que le projet de 5 fr.,

cienne échelle mobile, bien que ses auteurs se, refusassent à l'avouer, mais au fond c'était le droit variable, c'était l'échelle mobile.

Ce projet a été renvoyé à la commission, après une intervention de l'honorable M. Develle, parlant alors, non pas comme député de la Meuse, mais comme membre du Gouverne. ment, au nom du Gouvernement, et combattant cette proposition tendant au rétablissement de l'échelle mobile.

Je ne connais pas de meilleur discours, plus fortement conçu, quant aux considérations présentées, à l'ordre logique, à l'enchaînement des idées, et plus heureux dans la forme, que celui que vous avez prononcé non seulement contre le droit variable que vous combattiez alors, monsieur le ministre, mais même contre toute augmentation de droit sur les céréales. Voici, en effet, ce que vous disiez à cette tribune, le 10 juillet 1886, et votre discours, je le crois du moins, a entraîné le vote de la majorité de cette chambre :

En ouvrant ce débat, un grand nombre d'entre vous, je le sais, ont voulu surtout trouver l'occasion de donner un témoignage de sympathie aux classes agricoles.

Je comprends ce sentiment. Mais qu'ils veuillent bien y réfléchir; ce n'est pas moi qui les avertis, c'est le rapporteur de la commission, c'est le président de la commission, c'est la commission tout entière qui leur dit : un droit de 5 fr. n'aurait qu'un caractère provisoire; il ne donnerait aucune garantie aux producteurs français; il disparaîtrait à la première hausse; prenez garde que si le droit sur les blés que nous avons eu tant de peine à inscrire dans nos lois de douanes venait à être effacé, il n'en soit rayé pour toujours. (Marques d'assentiment.) »

Jamais, messieurs, ministre de l'agriculture n'a fait entendre aux intérêts agricoles dont il a la garde un langage plus sage, plus mesuré, plus politique et plus prévoyant, et je serais très étonné si cette discussion, quoi qu'on en dise, se terminait sans que M. Develle retrouvât les mêmes accents pour mettre en garde l'agriculture française contre ce présent qu'on lui offre et qui, au fond, comme on vous l'a dit alors avec tant de force, peut n'être qu'un piège. Vous demandez une augmentation de droits pour cette année; mais, comme vous l'avez dit avec tant d'autorité, prenez garde! à la première hausse, à la première augmentation le droit de 5 fr. sombrera, et alors vous ne reverrez jamais plus figurer dans les tarifs douaniers le droit sur les blés que vous avez eu tant de peine à y faire inscrire.

Un membre à droite. L'opinion de l'agriculture est faite à cet égard.

M. Maurice Rouvier. Messieurs, j'en ai fini avec les considérations générales et l'historique qu'il m'a paru nécessaire de placer à Douveau sous vos yeux. Je voudrais maintenant examiner l'argumentation de mes hono. rables contradicteurs.

Plusieurs membres. Reposez-vous !

mande quelques instants de repos. (Oui! oui !)

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quatre heures cinq minutes, est reprise à quatre heures quarante.) M. le président. La séance est reprise. La parole est à M. Rouvier pour continuer son discours.

M. Maurice Rouvier. Messieurs, je remercie la Chambre de vouloir bien me conserver sa bienveillance pendant la trop longue carrière que j'ai déjà parcourue et que j'ai encore à parcourir pour épuiser la question. Je m'efforcerai de n'en point abuser, mais il me reste à apprécier toute l'argumentation qui s'est produite dans la bouche des parti

sans du relèvement du droit sur les céréales.

J'ai suivi cette discussion avec toute l'attention que j'y ai pu mettre, et il m'a paru que la thèse de nos contradicteurs peut se formuler en ces quatre propositions :

1o La culture du blé se produit en France dans des conditions ruineuses, tout au moins dans des conditions qui mettent l'agriculture nationale hors d'état de subir la concurrence étrangère, tandis qu'au dehors cette même culture se présente dans des conditions de facilité et de lucre qui n'ont d'égale que notre infériorité;

2 Prétention des représentants des intérêts agricoles de voir l'agriculture placée sur le même pied que l'industrie au regard du tarif douanier ;

3o Le droit de 3 francs ou de 5 francs n'a pas d'effat de répercussion sur le cours des blés, au moins sur le cours des bles indigènes ;

4. Et de cette dernière proposition découle celle-ci: dans tous les cas, la hausse du prix des blés étrangers n'a pas nécessairement une répercussion sur le prix du pain.

Telles sont, messieurs, les quatre proposi tions que je voudrais examiner devant vour. Il me semble qu'en elles se résume bien l'arga mentation de mes contradicteurs, et particu. lièrement celle de MM. Lejeune, Deschanel, Deberly et Fairé.

Examinons la première de ces propositions, celle qui concerne les conditions de la culture du blé en France. Ici, j'ai pour principal contradicteur l'honorable M. Lejeune. Déjà, dans ma discussion du mois de juillet dernier, j'avais apporté à la tribune an certain nombre de faits relevés par M. Grandeau, et qui sem. blaient indiquer que la culture des céréales, quand elle est faite dans certaines conditions, avec le concours des connaissances scientifi. ques, l'étude de la nature du sol, la recherche de la qualité d'engrais appropriée au sol

lui-même, cette culture, dis-je, bien loin d'être ruineuse, de n'être point rémunératrice, peut quelquefois constituer une entreprise avanta

geuse et fort lucrative.

A ce moment M. Lejeune m'interrompit, non pas pour contester les faits que j'apportais à la tribune sous l'autorité de M. Gran deau, que beaucoup d'entre vous connaissent, (M. Maurice Rouvier se tourne vers M. le mais pour me dire une première fois : « Ces président et lui parle à voix basse.) expériences ne sont pas démonstratives, parce

due; c'est de la culture en pots. Et plus loin: ‹ Tout ce que vous dlies peut être vrai, mais vous oubliez une chose : c'est que ces blés ne valent rien. »

Eh bien, mon auteur a pris la peine de répondre à M. Lejeune. Peu après la discussion que je rappelle, M. Grandeau, dans une communication faite à la presse, relevait ces deux interruptions de M. Lejeune et y répondait. Je vous demande, messieurs, la permission de mettre sa réponse sous vos yeux.

• Interrompant l'énumération que M. Rouvier faisait à la tribune des résultats des champs d'expérience de Tomblaine, l'honorable M. Lejeune s'est écrié : C'est de la culture faite dans des pots ! » Et comme l'ora · teur, après avoir engagé son collègue à visiter les expériences de Tomblaine, citait les rendements de la culture du blé à Tantonville, sur 50 hectares environ, le même député répliqua: « C'est plus que probable, c'est sans doute vrai; seulement, ces blés ne valent rien. »

Et M. Grandeau répond :

• Voilà donc les faiis sur lesquels nous nous appuyons depuis quatre ans pour engager le cultivateur à modifier ses procédés de culture du blé, accusés, d'une part de reposer sur des essais en pots, de l'autre, d'aboutir à la production de grains sans valeur. Avant que la moisson vienne faire disparaître, pour cette année, les témoins irrécusables de mes assertions, je serais très heureux si l'invitation de l'honorable M. Rouvier pouvait être entendue. »

En effet, je disais alors à ceux qui m'interrompaient: Au lieu de m'interrompre, allez donc visiter les champs d'expérience, et vous en reviendrez, ou avec une opinion modifiée, ou, tout au moins, avec des arguments dont nous pourrons tenir compte.

Eh bien, ces deux assertions : que les expé. riences ont été faites sur une étendue trop restreinte, et que les blés ne valent rien, sont également contredites par M. Grandeau. Il s'agit, dit-il, non pas d'une culture en pots, mais d'une culture qui donnera de 75 à 90 quintaux de grain; et, dans le voisinage de ces champs d'expérience, les visiteurs peuvent rencontrer un grand nombre de fermes, d'entreprises agricoles où on met à profit l'expérience dirigée par l'école dont je parlais tout & l'heure.

Les faits apportés à la tribune par M. Rouvier, dit-il, sont corroborés de la manière la plus nette par nos essais de cette année sur plus de 3 hectares de blé; nous ferons connaître les rendements après le battage qui suivra la moisson.

• En ce qui concerne les qualités de blés obtenus à Tantonville en 1885 (variétés Hickling, Dattel, Lamed et Blood Red), notre ré

ponse à l'assertion de l'honorable M. Lejeune est simple et nous paraît topique : MM. Tourtel ont vendu à la meunerie tout le blé qui n'a pas été conservé pour les semailles d'octobre à raison de 22 fr. le quintal, alors que les meuniers payaient 21 fr. seulement les blés de choix du pays. »

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