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ENCYCLOPÉDIQUE.

HISTOIRE.

HISTOIRE critique de la République romaine, ouvrage dans lequel on s'est proposé de détruire des préjugés invétérés sur l'Histoire des premiers siècles de la République, sur la morale des Romains, leurs vertus, leur politique extérieure, leur constitution et le caractère de leurs hommes célèbres; par Pierre Charles LEVESQUE, Professeur de morale et d'histoire au Collège de France. 3 vol. in-8. Paris, chez Dentu, Imprimeurlibraire, quai des Augustins, n.o 17. —1807.

LA

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A plupart des écrivains qui nous ont transmis les souvenirs de Rome au temps de la république, ont été les panégyristes de cette période, la plus glorieuse de son histoire. De grands objets s'offroient à leurs regards; et le spectacle d'un peuple, qui d'une origine foible et obscure s'élève comme un colosse, enchaîne et soumet presque tout le monde connu, étoit aussi propre à frapper l'imagination par une si haute fortune, que digne de fixer l'attention des philosophes par les causes d'un si vaste accroissement.

Tout un peuple de héros, une succession de

généraux qui semblent tous participer au même génie et aux mêmes talens, et ne former pour ainsi-dire qu'un seul chef de têtes si diverses et si multipliées; une certaine lenteur dans la sujétion des peuples, accomplie par l'étonnante activité d'un gouvernement qui travaille sous ces retardemens apparens, pour consolider ses conquêtes; une politique toujours semblable dans ses vues et dans ses moyens d'agrandissement; une constitution formée et perfectionnée par l'expérience, qui maintient dans les ames l'amour de la gloire et de la patrie, par l'attrait puissant de la liberté; tels sont les traits généraux qui servent dans leurs développemens, à marquer ceux de la grandeur de Rome.

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L'histoire de la république romaine a cet intérêt particulier, de nous montrer assis pour ainsi dire sur le trône du monde le peuple le plus jaloux de sa liberté, et de nous faire voir, dans le conflit même de ses passions, une des plus grandes causes de cet excès de puissance.

C'est par des causes et des moyens si étranges que l'histoire de tous les peuples finit par se lier à celle de Rome. La volonté de la république règle celle des monarques; elle dirige à son gré tous les mouvemens politiques; elle enchaîne l'esprit comme les forces des nations ; tel est en un mot le haut ascendant de cette puissance consolidée par les siècles que pendant le temps de sa longue décadence, aucun peuple ne conserve assez d'énergie pour revendiquer son indépendance, et qu'il

faut que des hordes barbares sortent des contrées où elles vivoient ignorées, pour renverser son immense empire, en démembrer les parties, et proclamer sur ses débris la liberté du monde.

Les résultats de l'histoire nous offrent en général deux considérations entièrement opposées, mais également importantes : d'un côté le bonheur et la force, fondés sur la sagesse et la vertu; de l'autre le spectacle des erreurs, des vices et des maux qu'ils traînent à leur suite.

C'est dans l'histoire du plus puissant empire que nous pouvons trouver ces grandes leçons. Car si jamais les vertus publiques ne se déployèrent avec un caractère plus grand et plus sublime qu'au temps de la république ; jamais aussi on ne vit de monstres plus odieux qu'à l'époque où Rome, en se relâchant de son austère civisme, donna pour ainsi dire le signal aux destructeurs de sa liberté.

Tant de circonstances également importantes se réunissent donc en faveur de l'histoire romaine, qu'il n'est pas surprenant qu'elle ait fixé, plus qu'aucune autre, l'attention des historiens philosophes. Comme l'objet particulier de toutes leurs études est d'enrichir leur esprit de connoissances utiles, ils ont dû trouver un attrait puissant à se reporter aux temps où tant de grandes choses venoient frapper leurs regards, et où surtout ils découvroient d'une manière si claire leur enchaînement.

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Quoique la puissance romaine ne brille avec tout son éclat que dans les premiers siècles de l'empire, cependant, dès les commencemens, elle annonce par le caractère de ses fondateurs, toute la splendeur où elle devoit atteindre. C'est sous ce rapport spécialement que l'histoire des premiers temps de la république offre un spectacle si intéressant, et cet intérêt augmente sans doute par le contraste des siècles qui succédèrent.

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Mais quelque poids que puisse avoir l'autorité des écrivains célèbres qui ont trouvé dans lé gouvernement et le caractère du peuple romain, au temps de la république, une matière digne de leurs éloges, il se peut néanmoins qu'il y ait encore quelque risque de s'égarer en partageant leur sentiment.

Pour juger sainement des choses, il faudroit toujours les considérer en elles-mêmes, et par abstraction de toute opinion étrangère; mais le plus souvent la prévention précède l'examen de ce qui en fait l'objet, et dans la recherche de la vérité, c'est une opinion déjà toute faite, qu'on s'applique plutôt à confirmer qu'à soumettre au creuset d'une saine critique. Chacun juge selon ses individuelles, et rarement selon disposition la règle générale du vrai. De là viennent ces contradictions qu'on croiroit exister dans les mêmes choses, si on estimoit leur nature selon le sentiment de chaque individu. On ne peut disconvenir que, par une prévention toute particu

lière, plusieurs historiens ont en quelque sorte déifié les Romains; tout leur a paru chez ce peuple également admirable; ils n'y ont aperçu pour ainsi dire aucune trace des foiblesses humaines aujourd'hui l'historien estimable dont nous faisons connoître l'ouvrage, en porte un jugement bien différent, et après avoir rappelé quelques traits propres à le justifier, il termine par ce vœu : « Si, dit-il, par la peinture » des maux, des désordres, des atrocités et de » la dégradation de la dignité de l'homme, qui » furent, dans la république romaine, les résul→ >> tats du caractère national et de la constitution, » je puis affoiblir dans quelques esprits l'enthou » siasme qu'elle a trop long-temps inspiré, je » croirai avoir bien mérité de ma patrie et de » l'humanité» (1).

Nous ne doutons point que ce jugement porté sur le peuple le plus célèbre de l'antiquité, ne soit le fruit d'une profonde méditation, mais si l'autorité d'un écrivain si recommandable vient contredire celle des Montesquieu, des Mably et de tant d'autres qui se sont à la vérité beaucoup plus restreints dans leurs éloges que l'auteur ne le fait ici dans sa critique, il nous sera permis de mettre quelque précaution à embrasser ses idées et de nous tenir en garde contre son sentiment, autant que contre l'opinion contaire..

Cette idée générale, l'auteur la confirme assez fréquemment dans le cours de l'ouvrage, (1) Pref. p. 38.

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