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30 juin.

2-9 juill.

inent que l'esprit de liberté et de bonne administration n'est pas né de ce qu'on appelle au hasard, la philosophie du dix-huitième siècle.

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Le peuple de Paris force la prison de l'Abbaye-SaintGermain, et délivre plusieurs gardes françaises détenues pour délits d'insubordination commis pendant les réjouissances faites à l'occasion des événemens du 27. Le roi, déférant aux sollicitations respectueuses de l'assemblée nationale, leur fait grâce.

La cour, remise de sa frayeur, se repent déjà d'avoir toléré la réunion des ordres, et reprend le dessein de séparer l'assemblée ou de la soumettre à la déclaration du 23 juin. Les intrigues et les menées obscures ayant été sans efficacité, la cour espère davantage d'un grand appareil militaire et d'un rassemblement effectif de forces. Des troupes, la plupart étrangères, s'établissent au voisinage de Paris; plusieurs régimens sont en marche; le maréchal de Broglie, mandé de trèsloin, accourt en prendre le commandement. Il établit son quartier général au château même de Versailles, et s'entoure d'un brillant état major, qui parle tout haut de sa destination. Ce généralissime d'une armée non encore réunie, traitant la fougue d'un peuple qui se soulève comme une guerre régulière, dresse avec ostentation ses listes d'officiers généraux, parlant et agissant comme s'il avait déjà réduit Paris. Le maintien de la tranquillité publique est le prétexte avoué d'un aussi grand mouvement, quoique personne ne

M. Yzarn, marquis de Valady, officier aux gardes françaises (depuis membre de la convention nationale), mort sur l'échafaud révolutionnaire, fut un des premiers et des plus actifs instigateurs de la révolte des gardes françaises.

doute que la dissolution du corps délibérant n'en soit l'objet réel. Cent millions de billets d'état ont été fabriqués en secret pour faire face aux dépenses.

Cependant, à Paris comme à Versailles, la population s'alarme. Tous les citoyens font des voeux pour l'assemblée nationale dont la salle devient, dès ce jour, la patrie commune des Français. L'assemblée sait tout et ne paraît pas émue. La reine, le comte d'Artois, les princes, les Polignac et les courtisans, les ministres in petto, les prélats, les principaux membres de la noblesse ne font pas un mouvement, ne profèrent pas une parole qui ne parvienne aussitôt à la connaissance de leurs adversaires. Dès ce moment, les communes déclarent une guerre éternelle aux deux premiers ordres, parce qu'elles ne doutent plus que nobles et prélats, indissolublement attachés à ce régime qui faisait leur fortune et leur éclat, repousseront éternellement les libertés publiques. Les communes disent : « Eh >> bien! seules, nous opèrerons la régénération de

l'empire, et nous la ferons complète, et nous la fe>>rons par le peuple. » Ces idées d'entière renovation se propagent avec la célérité de l'éclair, séduisent les classes aisées qui n'entrevoyaient que des améliorations, enflamment la multitude qui craint que le joug réimposé ne soit plus lourd et plus accablant. L'insubordination pénètre dans les rangs des gardes françaises, casernées à Paris, où des factieux excitent l'effervescence des classes inférieures, et où les nouvelles de Versailles montent d'heure en heure les esprits mutinés. A ces indices, la cour perd sa contenance assurée, l'anxiété détend les débiles cerveaux de ces adorateurs de l'étiquette, la précipitation ou la mollesse décompose les mesures commencées, et cependant la menace jaillit, avec l'insulte, de toutes les bou

ches. La majorité des députés nobles se réunit toujours à l'issue des séances générales, en comités secrets, et ne cesse de protester contre la réunion des trois ordres.

Louis XVI avait dit dans le lit de justice (V. 19, 20 novembre 1787), par l'organe du garde des sceaux Lamoignon: « Au roi seul appartient la puissance sou» veraine dans le royaume; il n'est comptable qu'à >> Dieu seul de l'exercice du pouvoir suprême. Le pou» voir législatif réside dans la personne du monarque, » sans dépendance et sans partage. »

M. de Breteuil, après le lit de justice (23 juin 1789), disait, sans nul ménagement, à Versailles : « Le roi >> ne doit aucun compte de ses actions à ce qu'on ap>> pelle la nation; il est maître absolu de son royaume, » et si les sujets se révoltent, c'est par les plus terri>>bles châtimens qu'il doit les faire rentrer dans l'o>>béissance ». Monsieur (Louis XVIII) gardait une sorte de neutralité. Ce prince disait assez haut, dans son intérieur : « Il ne faut recourir à la force des baïon» nettes que lorsque tous les moyens de conciliation » seront épuisés. » Monsieur n'aidait publiquement et ne contrariait en rien la révolution; il laissait aller les choses, et témoignait un grand attachement pour le roi son frère, tout en convenant que la nation avait aussi ses droits, dont il serait injuste et dangereux de vouloir la dépouiller. On tient ces particularités de M. le baron de Breteuil; ce ministre en certifiait l'authenticité. On tient également de ce ministre, que le duc d'Orléans, le marquis de La Fayette, le comte de Mirabeau, l'abbé Syeyès, Barnave, Chapelier, LallyTollendal, Mounier, et huit ou dix autres membres de l'assemblée nationale étaient désignés comme victimes impérieusement réclamées par le salut du trône et de l'état. Une compagnie de canonniers avait été caser

née aux écuries de la reine, et l'on ne cachait pas que cette compagnie était destinée à mitrailler l'assemblée.

Lorsque le maréchal de Broglie eut pris le commandement des troupes destinées à dissoudre l'assemblée des états généraux, le baron de Breteuil qu'on pouvait considérer, en quelque sorte, comme premier ministre, par l'influence sans bornes qu'il exerçait sur l'esprit de la reine et sur celui du roi; le baron de Breteuil disait, portes ouvertes : « Au surplus, s'il >> faut brûler Paris, on brûlera Paris, et l'on décimera ses habitans aux grands maux, les grands remè» des,» On répète mot pour mot ce qu'on a entendu dire au baron de Breteuil en 1794, ce dont il se glorifiait encore à cette époque et dix ans plus tard, ce despote de la vieille roche (suivant son expression favorite) était dans les antichambres de Cambacérès, et recevait de Napoléon une pension de douze mille francs sur sa cassette!

Le dévouement du maréchal de Broglie au pouvoir absolu n'était pas équivoque, et les officiers généraux désignés pour opérer sous ses ordres avaient fait leurs preuves de servilité et d'abnégation patriotique. Comment se réfuser à l'évidence des projets tramés à Versailles, lorsque la déposition même des premiers acteurs vient les constater? La lettre du maréchal de Broglie au prince de Condé (lettre imprimée et publiée à Paris et à Londres, 1789, lettre qui n'a jamais été démentie jusqu'à ce jour) ne saurait laisser le moindre doute à cet égard : « Monseigneur, je l'avais » toujours prévu, et je l'ai dit une fois à V. A., que » la plupart des députés nationaux seraient des loups >> affamés qui, las de pousser des hurlemens, cherche>> raient une victime, et que cette victime serait la haute >> noblesse. On sapera le clergé jusque dans ses fonde

» mens, parce qu'on le méprise: on cherchera à nous » déprivilégier, parce qu'on nous craint. Vous verrez >> s'élever sous l'ombre de la liberté une hydre terrible » qui nous attaquera, et il est à craindre que nous ne » soyons pas des Alcides pour la combattre. Le tiers » état est d'autant plus fort qu'on lui a d'abord plus » accordé : il se fonde sur des droits qu'il avait perdus ». de vue, et qu'il rappelle; son grand nombre le ras>> sure, et nous ne faisons pas ce qu'il faut pour l'é>> pouvanter et le décourager. Avec cinquante mille >> hommes je me chargerais volontiers de dissiper tous >> ces beaux esprits qui calculent sur leurs prétentions, » et cette foule d'imbécilles qui écoutent, applaudis>> sent et encouragent. Une salve de canons, ou une » décharge de coups de fusils aurait bientôt dispersé ces argumentateurs, et remis la puissance absolue >> qui s'éteint à la place de cet esprit républicain qui » se forme: Mais il ne faut pas s'endormir au sein des » dangers; il faut que des hommes entendus, fermes, » sûrs et en petit nombre, travaillent à la révolu» tion et se chargent de l'exécuter. Jamais conspira>>tion ne fut plus utile : je dirai sur cela à V. A. des >> choses fortes, vraies et senties... »

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Voilà des dispositions fixes et clairement manifestées; elles prouvent que le maréchal de Broglie connaissait bien la situation des choses et les intentions des courtisans de Versailles. La lettre suivante du duc de Luxembourg à un officier général (ce dernier n'est pas nommé dans la correspondance publiée en 1789) achèvera de mettre dans le plus grand jour la façon de penser et les intentions des grands seigneurs de la cour de Versailles, au moment de la convocation des états généraux. « .... Malgré l'élection des députés >> des différens ordres, à laquelle on travaille inces

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