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XXXIX

Notre Bienheureux est nommé prieur d'un couvent.

Dans toutes ses prières, frère Henri demandait à Dieu de lui apprendre à souffrir; aussi, la divine Sagesse ne lui enseignait que les croix et les afflictions. Un jour qu'il était dans son oratoire, Jésus-Christ lui apparut crucifié sous la forme d'un chérubin ayant six ailes. Sur les deux ailes d'en bas était écrit: Afflictio nem sponte suscipe; sur les deux ailes du milieu : Feras crucem æquanimiter; et sur les deux d'en haut: Disce pati Christi formiter, c'est-à-dire : Reçois avec plaisir les afflictions; porte la croix avec résignation, et apprends à souffrir à l'exemple de Jésus-Christ. Ces mots indiquaient les degrés de perfection dans la souffrance; soumission prompte de la volonté, égalité de l'âme, toujours calme dans le malheur ou le bonheur, et souffrance en union avec la charité de Jésus-Christ.

Le Bienheureux comprit dès lors que Dieu l'appelait à une nouvelle croix; et en effet, les Pères de son couvent l'élurent prieur. C'était une charge d'autant plus pesante, que les religieux l'avaient choisi, non pour qu'il rétablît la règle, mais pour qu'il soutînt la maison, qui se trouvait surchargée de dettes et de besoins. Frère Henri accepta cette dignité en gémissant, et déclara dans le premier Chapitre que pour le temporel il ne ferait pas autre chose que de se confier

au père saint Dominique, puisqu'en mourant il avait promis d'assister ses religieux; il ordonna de prier pour la maison, et de chanter le lendemain l'Office du glorieux Fondateur. Les religieux murmuraient de sa confiance; mais le lendemain, pendant qu'on chantait la messe et que le prieur était encore au chœur, un chanoine de ses amis le fit appeler, et lui dorna une grande somme d'argent, en lui disant que Dieu lui avait ordonné pendant la nuit de l'aider, et que pour obéir il lui apportait de l'argent, et lui en apporterait davantage, parce qu'il connaissait la pauvreté de la maison et son peu d'expérience dans les affaires temporelles. Ainsi, le Bienheureux, dès les premiers jours de sa charge, pourvut pour toute l'année la maison de grains et de vin; et les religieux furent confondus.

Non-seulement Dieu et saint Dominique le secoururent dans cette occasion, mais ils l'assistèrent encore pendant toute la durée de sa charge. Les aumônes furent si abondantes, qu'il put, sans toucher aux revenus du couvent, le fournir abondamment de tout. Le chanoine mourut, et laissa une grande somme d'argent à frère Henri pour qu'il la distribuàt aux serviteurs de Dieu qui étaient dans le besoin, et surtout à ceux que le Bienheureux connaissait pour les plus saints. Ce legs fut la cause de beaucoup d'ennuis; car un homme débauché, héritier du chanoine, vint trouver le prieur, et lui déclara que, s'il ne lui donnait pas une grande partie de cet argent qui lui revenait, il le frapperait et le tuerait, comme il avait déjà fait à un autre religieux. Mais frère Henri persista à suivre fidèlement la volonté

du chanoine, tout en craignant beaucoup pour sa vie. Dieu le rassura en faisant mourir le jeune homme luimême. Vinrent ensuite plusieurs personnes d'un collége auquel le chanoine avait fait espérer une partie de sa succession; elles le prièrent de distribuer à l'établissement une portion des aumônes; et comme frère Henri résista, elles commencèrent à murmurer partout, et à calomnier les choix qu'il faisait, de manière à nuire à son honneur et à sa réputation. Le Bienheureux, accoutumé à souffrir, supporta patiemment cette croix, et continua à distribuer, avec la permission de ses supérieurs, l'argent qui lui était confié, en suivant toutes les formalités prescrites, et sans s'écarter des intentions du donateur. Peu de temps après, l'âme du chanoine lui apparut, le remercia de sa fidélité et des désagréments qu'il avait eu à essuyer pour l'amour de lui, et promit de le protéger du haut du ciel, dont il jouissait déjà.

XL

De la sainteté de sa mère et de ses amis.

Au nombre des grâces que Dieu fit au Bienheureux, on peut compter celle d'avoir une mère d'une éminente sainteté, qui le consola souvent dans ses peines; ellemême souffrit beaucoup dans son intérieur, car elle avait un mari méchant et dissolu, qui ne lui ressemblait en rien. Cette femme s'appliqua avec tant d'amour

à méditer la Passion du Sauveur, que pendant trente ans elle ne put assister au saint sacrifice de la Messe sans verser des torrents de larmes sur les mystères de Jésus crucifié. Elle l'avoua elle-même à son cher fils avant de mourir. L'amour de Jésus-Christ et la vivacité de ses sentiments lui occasionnèrent une maladie qui dura près de trois mois, et qu'elle supporta avec tant de résignation et avec tant de désirs de Dieu, que toute sa maison en fut édifiée; notre Bienheureux surtout se réjouit de voir sa mère arrivée à un si haut degré de perfection. Un jour qu'elle était à l'église devant un autel où était représentée la descente de Croix, elle se mit à méditer ce sujet, et elle ressentit une telle douleur, que son cœur en fut tout brisé. Elle défaillit, et on la transporta sans connaissance chez elle, où elle resta au lit depuis le commencement du carême jusqu'au Vendredi saint. Elle mourut au milieu de ce jour, au même instant que notre Seigneur, et son âme s'éleva au ciel.

Frère Henri étudiait alors à Cologne; sa mère lui apparut pendant la nuit toute resplendissante de gloire. <«< Mon fils, lui dit-elle, aime de toutes tes forces le « Dieu tout-puissant, et sois bien persuadé qu'il ne « t'abandonnera jamais dans tes travaux et tes peines. « J'ai quitté le monde, mais ce n'est pas là mourir, puisque je vis heureuse dans le paradis, où la misé« ricorde divine a récompensé l'amour immense que

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je portais à la Passion de notre Sauveur Jésus« Christ. — O ma sainte, ma tendre mère, s'écria << Henri, aimez-moi toujours dans le ciel comme vous « l'avez fait sur terre, et ne m'abandonnez jamais

<< dans mes afflictions. » La Bienheureuse disparut, et son fils resta inondé de bonheur.

A cette même époque, il se lia d'amitié avec un religieux de son Ordre et de son âge; leurs épanchements et leurs saints entretiens lui procurèrent des instants délicieux. Ce fut à ce confident qu'il montra le nom de Jésus qu'il avait écrit sur son cœur et dans sa chair même. Ces deux amis convinrent ensemble que quand un d'eux mourrait, l'autre serait obligé de dire à son intention une messe le lundi et le vendredi de chaque semaine. Son compagnon étant mort le premier, frère Henri remplit fidèlement le pacte sacré, mais finit par l'oublier pourtant quelquefois. Le défunt lui apparut la nuit et lui reprocha en gémissant de manquer à sa promesse. Frère Henri l'assura qu'il ne l'avait jamais oublié dans ses prières. « Cela ne me suffit pas, dit le mort, ce sont des messes qu'il me faut; le sang de Jésus-Christ peut seul éteindre les flammes qui me brûlent. » Le Bienheureux lui promit de nouveau de célébrer pour lui le saint Sacrifice; il le fit, et délivra cette âme, qui revint le remercier de l'avoir tirée du purgatoire.

Suso avait aussi deux amis d'une grande sainteté, mais dont les vies étaient bien différentes : l'un avait des jours heureux et tranquilles, et jouissait d'une grande réputation dans le monde; l'autre, au contraire, restait inconnu et vivait sans éclat au milieu des épreuves nombreuses que Dieu lui envoyait. Tous deux moururent, et Frère Henri désirant savoir quel était leur partage dans la gloire, Dieu permit que le

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