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éternelle, ma douceur, ma consolation, pour avoir par vos plaies fermé mes blessures, que nulle créature ne pouvait guérir? Enseignez-moi du moins la manière de porter dans mon corps les marques de votre amour, afin que le monde entier, que les anges et les saints du ciel sachent bien que je ne suis pas insensible à l'infinie charité qui vous fait secourir un malheureux sans espoir.

LA SAGESSE.—Si tu es spirituellement crucifié avec moi, tu porteras dans ton corps les signes de mon amour. Donne-moi généreusement tout ton être, tout ce qui t'appartient, sans jamais rien reprendre; ne touche qu'au strict nécessaire, et alors tes mains seront attachées à la Croix. Fais ce qui est bien avec joie, force et persévérance, et ton pied gauche sera uni au mien. Fixe en moi seul ton âme inconstante, ton cœur volage et tes pensées errantes, et ton pied droit sera crucifié; prends garde que l'énergie de ton corps et de ton âme ne s'affaiblisse avec le temps, et te laisse retomber dans la nonchalance, et tu auras tes bras étendus sur la Croix, toujours prêts à faire ma volonté. Fatigue ton corps dans les exercices spirituels, en l'honneur de mes jambes défaillantes, et ne lui permets jamais de satisfaire ses désirs.

Les dégoûts, les épreuves, les afflictions qui viendront te surprendre et t'accabler, t'uniront à moi dans les étreintes de ma Passion, et tu revêtiras par l'amour ma douloureuse ressemblance. Ta privation de toutes consolations, tes combats contre la nature me rendront ma vigueur première; les douleurs de ton corps seront

comme un lit de repos pour mes membres fatigués, ta haine contre le péché réjouira mon âme, ta tendresse adoucira mes douleurs, et ta ferveur m'enflammera d'amour.

LE DISCIPLE.

J'attends de vous ces dons, ô Sagesse éternelle, et je soumets ma volonté à votre bon plaisir ; car vous servir est facile, et votre joug est véritablement doux et léger. Ils le savent surtout ceux qui ont déjà porté le joug accablant de l'iniquité.

VIII

Combien la tiédeur de l'âme est dangereuse.

LE DISCIPLE.- O mon très-doux Seigneur, combien je suis heureux lorsque je vis avec vous, et combien je suis triste et défaillant lorsque je m'égare loin de vous au milieu des créatures, ne fût-ce qu'un instant! Je ressemble au jeune faon qui a perdu sa mère et que poursuivent les chasseurs. Il fuit tout tremblant, et ne s'arrête que lorsqu'il est en sûreté dans le lieu secret qui l'a vu naître ; et moi je fuis, je cours vers vous, et je soupire avec ardeur après les eaux vives que vous répandez. Une heure sans vous me paraît une année, un jour sans votre douce intimité me semble une éternité.

O mon Jésus, vous êtes pour moi un bel et doux ombrage, un arbrisseau fleuri, un rosier tout chargé de roses délicieuses. O Jésus, étendez vers moi les

rameaux sacrés de votre divinité et de votre humanité. Votre visage, Seigneur, rayonne la grâce, votre bouche répand des paroles de vie, vos entretiens sont des miroirs de perfection, d'humilité, de mansuétude. O bienheureuse contemplation des saints! oh! combien j'envie celui que vous favorisez de votre tendresse !

LA SAGESSE.- Hélas! beaucoup y sont appelés, mais combien peu sont élus!

LE DISCIPLE. - -Est-ce vous, Seigneur, qui les rejetez? ou bien s'éloignent-ils eux-mêmes de vous?

LA SAGESSE. Regarde cette vision que je te présente, et comprends- en la signification. Voici une ancienne ville fortifiée qui tombe en ruine; les fossés se comblent, les murailles se fendent, les tours s'écroulent et toutes les maisons se délabrent; les habitants, qui s'y agitent en grand nombre, ressemblent plutôt à des bêtes qu'à des hommes. Vois maintenant ce pèlerin vénérable qui s'appuie sur son bâton; il est pauvre, étranger, accablé de fatigue; il demande l'aumône et cherche qui voudra bien lui donner le vivre et le couvert; mais il ne trouve partout que des refus grossiers, et il se plaint amèrement en disant: O ciel, ô terre, soyez émus de compassion et pleurez avec moi de me voir ainsi traité et renié par ce peuple pour lequel j'ai souffert avec tant d'amour !

Cette ville est la vie religieuse, autrefois si pure, si sainte, si puissante, et maintenant presque entièrement tombée et perdue. Les fossés, les murailles, ce sont les fortifications de l'obéissance, de la pauvreté, de la chasteté; elles sont toutes ouvertes et toutes ruinées;

on n'en voit plus que les traces dans quelques cérémonies, quelques usages et quelques actes extérieurs. Ces habitants méconnaissables, ce sont les chrétiens qui, sous une apparence de sainteté, ont un cœur tout dévoué au monde et aux choses temporelles. Moi, je suis le pèlerin appuyé sur le bâton de la Croix. J'étais autrefois bien aimé, bien honoré; et maintenant on me chasse, on m'insulte presque partout. La voix de ma Passion s'élève contre ces hommes, qui oublient leur vocation et mon amour, qui sont si tièdes, si relâchés; je ne puis rien en obtenir pour prix de ma mort douloureuse et de mon infinie charité. Quelques-uns cependant vivent saintement, et ceuxlà, je les console dans la vie, je les reçois sur mon sein dans la mort; je les élève et je les glorifie en présence de tous les anges du paradis.

IX

Qu'il est impossible de servir à la fois Dieu et les créatures.

LE DISCIPLE.-Seigneur, mon âme est bouleversée lorsqu'elle considère qu'étant si aimable, les hommes pensent si peu à vous, qu'ils vous fuient et qu'ils vous méprisent après tant de bienfaits. Combien y en a-t-il qui semblent vous aimer, et qui ne vous aiment pas, parce qu'ils prétendent allier votre service à l'amour coupable des créatures!

LA SAGESSE.-Ceux-là bâtissent dans le vide et sur

le vent, car il est aussi impossible de m'aimer en aimant les créatures, que de renfermer dans un petit vase l'immensité du ciel. Comment peut-on mêler ce qui passe avec l'éternité? N'est-ce pas folie de vouloir placer le Roi des rois dans l'hôpital des pauvres ou dans la cabane d'un esclave? Celui qui veut recevoir dans son cœur un hôte si grand doit nécessairement en bannir l'amour de toutes les créatures.

Le Disciple. — Hélas! combien sont égarés les malheureux qui ne veulent pas comprendre la vérité de ce que vous dites!

LA SAGESSE. Dans les profondes ténèbres où ils sont plongés, ils suent et se tourmentent pour atteindre les plaisirs du monde, qui leur échappent sans cesse et dont ils ne jouissent jamais selon leurs désirs; ils rencontrent dix contrariétés avant de pouvoir satisfaire une seule fois leurs mauvais penchants, et plus ils obéissent à leurs passions, plus ils éprouvent de tortures et d'ennuis. Leur cœur, séparé de Dieu et en guerre avec lui, devient nécessairement la proie de continuelles terreurs. Leurs joies passagères sont encore mêlées de mille dégoûts et pleines d'amertumes. Le monde est trompeur, infidèle, volage; s'il fait naître une espérance, c'est pour la détruire sur-le-champ. Jamais une âme n'a pu trouver dans les créatures cette joie pure, cet amour véritable, cette paix inaltérable qui seraient son repos et son bonheur.

LE DISCIPLE. O mon Jésus, n'est-ce pas une chose lamentable de voir tant de cœurs si aimables et si aimants, tant d'âmes si belles et si pleines de votre

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