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LE DISCIPLE.

Seigneur, l'espérance qui attend

trop longtemps est un véritable tourment.

LA SAGESSE. Mon fils, celui qui veut aimer icibas a besoin de jouir de ce qu'il aime et d'en être privé tour à tour, de passer de la joie à la tristesse, et de comparer le bien avec le mal. Ne crois pas qu'il suffise de penser à moi une heure par jour seulement. Celui qui veut entendre intérieurement mes douces paroles, et comprendre les secrets et les mystères de ma Sagesse, doit toujours être avec moi, toujours penser à moi.

Pourquoi être si distrait de ma présence, puisque je ne le suis jamais de la tienne? Je tiens sans cesse mes yeux attachés sur ton âme; pourquoi ton cœur m'abandonne-t-il souvent pour errer dans des pensées étrangères? Comment recevoir mes inspirations et écouter les confidences de mon amour au milieu de tant d'images vaines et de ces choses auxquelles il faudrait d'abord mourir? Tu m'oublies, moi, le Bien unique, suprême, éternel, lors même que tu es tout inondé de ma divine présence. N'est-il pas honteux d'avoir en soi le règne de Dieu, et d'en sortir pour s'occuper des créatures?

LE DISCIPLE.Et quel est, Seigneur, ce règne de Dieu qui est au dedans de moi-même ?

LA SAGESSE. -La justice, la sainteté, la paix, la joie dans l'Esprit saint.

LE DISCIPLE. Mon Jésus, je comprends vos paroles, et je vois que vous avez pour l'âme des voies secrètes et cachées; que vous la retirez d'elle-même peu à peu pour la soutenir et la porter à aimer et à

connaître votre divinité et c'est ainsi que l'âme, en

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méditant votre seule humanité, commence à entrer dans l'abîme de votre Majesté.

XVI

Combien les hommes ont tort de se plaindre des croix et des difficultés qu'ils rencontrent dans les voies de Dieu.

LE DISCIPLE.-Seigneur, daignez répondre aux plaintes de ceux qui disent: L'amour de Dieu est véritablement d'une douceur extrême, mais ne le paiet-on pas bien cher? Pour le goûter, il faut supporter des croix, des épreuves cruelles; il faut endurer la haine, les persécutions et les mépris du monde. Dès qu'une âme veut entrer dans les voies de l'esprit et de l'amour, elle doit se préparer à toutes sortes de peines. Peut-on, Seigneur, trouver de la douceur dans ces afflictions, et comment permettez-vous qu'elles arrivent à vos amis?

LA SAGESSE. Je n'ai jamais autrement traité mes serviteurs et mes amis depuis le commencement du monde. Je les aime comme mon Père m'a aimé (1).

LE DISCIPLE. C'est de cela que les hommes se plaignent, Seigneur; ils disent qu'il n'est pas étonnant que vous ayez si peu d'amis. Beaucoup commencent à vous aimer, mais lorsque viennent les épreuves, les

(1) Sicut dilexit me Pater, et ego dilexi vos. (Jean, xv, 9.)

afflictions, les croix, ils se repentent de s'être donnés à votre service, et ils retournent à leurs anciennes affections, qu'ils vous avaient d'abord sacrifiées: n'est-ce pas une chose triste et déplorable? mais que leur répondre, ô mon Jésus?

LA SAGESSE. Pour se plaindre de la sorte, il faut avoir bien peu de foi, de courage et d'intelligence de la vie spirituelle. Mais toi, mon ami sors de la fange des plaisirs matériels, et regarde avec les yeux de ton âme qui tu es, où tu es, où tu vas; et alors tu comprendras qu'en affligeant mes amis je suis loin de leur nuire, mais que je leur suis au contraire très-agréable et très-utile.

Par nature, tu es un miroir de la Divinité, une image de la sainte Trinité, un reflet de l'éternité : il y a en toi un désir sans bornes que je puis seul satisfaire parce que je suis le seul bien infini; et de même qu'une goutte d'eau disparaît dans l'Océan, tout ce que peut te donner le monde n'est rien pour ton cœur insatiable, tant que tu seras dans cette vallée de misère, où le bien est toujours mêlé au mal, le rire proche des larmes et la joie voisine de la tristesse.

Personne ici-bas ne peut jouir d'une paix parfaite; le monde est faux et menteur, il promet beaucoup, et tient peu; ses joies sont petites, frivoles et passagères. Aujourd'hui, il paraîtra t'offrir des consolations, et demain il f'accablera de douleur: ce sont là ses plaisirs. Considère d'un côté les remords, le désespoir, les frayeurs mortelles et les tourments des damnés, et de l'autre la tranquillité d'esprit, la mort paisible et la

gloire éternelle de mes serviteurs, et tu verras si c'est à tort que se plaignent les hommes du monde.

XVII

Quelles sont les misères de ceux qui suivent le monde.

LA SAGESSE.-Examine avec moi les misères qu'endurent ceux qui, pendant cette vie passagère, s'adonnent aux jouissances du corps et des sens. A quoi leur servent les joies temporelles, qui disparaissent comme si elles n'avaient jamais existé? Oh! combien est court un bonheur qui doit être suivi d'une douleur sans fin! Insensés, où est maintenant cet appel au plaisir lorsque vous disiez: Accourez, jeunes gens dont le cœur est toujours joyeux, oublions tous chagrins, livronsnous aux délices du monde ; à nous les fleurs, les roses, la verdure, les festins, la volupté des sens et de la chair? Dites ce qui vous en est resté.

Ne pouvez-vous pas maintenant vous écrier: Malheur à nous n'aurait-il pas mieux valu que nous ne fussions pas nés? O temps misérable et passager, comme la mort nous a surpris à l'improviste! comme le monde nous a joués, nous a indignement trompés! Oh! oui, toutes les croix les plus longues et les plus douloureuses de la vie ne sont rien en comparaison de ce que nous souffrons. Bienheureux celui qui n'a jamais goûté les joies du monde, qui n'a jamais eu un jour tranquille et prospère ! Nous étions fous lorsque

nous nous imaginions que les affligés étaient abandonnés de Dieu; les voilà qui reposent dans le sein de son éternité, tout couronnés de gloire et d'honneur, au milieu des anges du paradis. Que leur importent les croix qu'ils ont souffertes pendant leur vie, les mépris et les persécutions du monde, puisque tous leurs tourments se sont changés en un bonheur si parfait, en des joies éternelles !

O douleur, ô malheur infini, ò fin qui ne finit pas, ô mort plus cruelle que toute mort! toujours mourir, et ne pouvoir jamais mourir! Adieu, mon père, adieu, ma mère, adieu, mes amis, je ne jouirai plus de vous. O séparation terrible, comme elle torture, comme elle déchire! O grincement de dents, ô larmes, ô gémissements que rien n'arrêtera! Montagnes, collines, rochers, pourquoi n'ensevelissez-vous pas sous vos ruines les victimes de tant de misère! O temps qui passe, combien vous aveuglez les cœurs! Voilà donc à quoi me sert d'avoir passé ma jeunesse dans les jouissances de la chair et les plaisirs des sens! O vie perdue, malheur incompréhensible! plus même une lueur d'espérance!

LE DISCIPLE.- O Seigneur, juge très-juste et trèssévère, mon cœur est glacé d'épouvante, et mon âme m'abandonne à la vue d'une si grande infortune. Qui serait assez insensible pour ne pas trembler en présence de tourments si horribles? Je ne puis me faire à la seule pensée d'une âme séparée de Dieu. O peine au-dessus de toutes les peines, mal infini, incompréhensible! O mon Jésus, mon unique amour, ne

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