LE DISCIPLE.-Seigneur, je reconnais que vos croix sont les moyens de votre Sagesse et les gages de votre éternité; mais du moins qu'elles ne soient pas trop pesantes et trop au-dessus des forces humaines. Vous connaissez toutes choses, Seigneur, puisque c'est vous qui en avez réglé le nombre, le poids et la mesure, et vous savez bien que mes peines sont véritablement accablantes. Je ne crois pas que personne au monde soit tant éprouvé que moi : comment voulez-vous que j'y résiste? Si c'étaient des croix ordinaires, je les supporterais facilement, avec patience; mais ce sont des croix si nouvelles, si extraordinaires, que mon âme en est brisée. LA SAGESSE.- Un homme malade pense toujours, au milieu de ses douleurs, qu'il n'y a pas de souffrances comparables à la sienne, et chaque pauvre s'imagine que rien n'égale sa misère. Si je t'envoyais d'autres croix, tu tiendrais le même langage. Du courage donc, et montre-toi fort et généreux. Résigne-toi complétement à ma volonté; accepte avec patience toutes les croix qu'il me plaira de t'envoyer, et n'en repousse jamais aucune; tu sais que je veux toujours ton bien, et que je connais parfaitement dans ma Sagesse ce qui te convient davantage. L'expérience a déjà dû t'apprendre que toutes les croix que je t'envoie, quelles qu'elles soient, t'élèvent, t'unissent plus intimement, plus fermement à ma Divinité, que toutes les croix volontaires que tu peux choisir. LE DISCIPLE.- Mais, Seigneur, il est bien facile de dire qu'il faut souffrir et supporter avec résignation toutes les croix; le difficile est de réussir, et l'affliction qui m'accable est si grande, que je crains de succomber. LA SAGESSE. Si l'affliction n'était pas pénible, serait-elle une affliction? Ce qu'il y a de bon et de dési. rable dans la Croix, c'est de pouvoir la supporter avec courage qu'y a-t-il d'étonnant que la Croix te pèse, si tu ne l'aimes pas? Aime-la, et tu la porteras facilement; la croix qu'on aime et qu'on désire par amour pour moi devient moins lourde et se fait sentir à peine. Si tu étais inondé de consolations et de douceurs spirituelles, si les faveurs du Ciel t'embrasaient d'amour, tu gagnerais bien moins qu'en souffrant les sécheresses et les épreuves que je t'envoie. Par ces peines qui t'accablent, tu deviens l'objet de ma tendresse, et tu acquiers des droits à une magnifique récompense. Vis donc en paix avec cette conviction que, sous la Croix, tu ne te perdras jamais. Dix âmes qui jouissent des délices de la grâce tomberont plutôt dans le péché qu'une seule âme qui est dans l'affliction. L'ennemi n'a aucune force contre celles qui gémissent amoureusement sous la Croix. Quand même tu serais le premier docteur du monde, et le plus savant théologien de mon Église; quand même tu parlerais de Dieu avec la langue des anges, tu serais moins saint et moins aimable pour moi qu'une âme qui vit soumise à mes croix. J'accorde mes grâces aux bons et aux méchants, mais je réserve mes croix aux élus, aux prédestinés. Examine et compare avec sagesse le temps et l'éternité; tu comprendras qu'il vaut mieux brûler cent ans dans une fournaise ardente, que d'être privé de la plus petite croix que je pourrais et voudrais donner. N'est-ce point une récompense infinie qu'on acquiert en supportant généreusement les afflictions? LE DISCIPLE. O mon très-doux Jésus, vos paroles sont comme une musique délicieuse pour les âmes affligées, et si j'en entendais souvent de semblables, je vivrais plus joyeux, plus libre et plus courageux dans les croix que vous m'envoyez. LA SAGESSE.- - Écoute maintenant, mon fils, les sons harmonieux de l'affliction, la mélodie des cœurs éprouvés et les cantiques des âmes souffrantes; tu verras combien ils sont d'accord avec moi. Le monde fuit les afflictions et méprise ceux qui les supportent; moi, je les bénis et je les couronne. Les affligés sont mes amis les plus chers, les plus aimables, les plus semblables à ma Divinité. la L'affliction éloigne l'homme du monde et le rapproche du Ciel. Plus les amis de la terre l'abandonnent, plus ma grâce augmente, l'élève et le rend divin. De la Croix découlent l'humilité, la pureté de conscience, la ferveur de l'esprit, la paix, la tranquillité de l'âme, sagesse, le recueillement, la charité et tous les biens qu'elle produit. La Croix est un don si précieux, que, si tu restais des années prosterné par terre pour me demander la grâce de souffrir, tu ne serais pas encore digne de l'obtenir. L'affliction est un trésor pour les pécheurs, les pénitents, les commençants et les parfaits. C'est un purgatoire d'amour qui purifie l'âme du péché et en détruit le châtiment. Donne-moi un affligé qui loue et bénit Dieu dans ses peines, et l'enfer fuira devant lui tout épouvanté. La Croix possède une telle force, une telle puissance, que, bon gré mal gré, elle attire et ravit celui qui la porte. Oh! combien seraient damnés si je ne les avais pas crucifiés! Il est plus grand de conserver la patience dans les choses contraires que de ressusciter les morts. La patience est une hostie vivante, l'odeur d'un parfum délicieux en la présence de ma divine Majesté; c'est un sacrifice si nécessaire à la gloire de l'âme, que je tirerais des croix et des épreuves du néant plutôt que d'en priver mes plus chers amis. Il est vrai que le chemin de la Croix est étroit et fatigant; mais il conduit ceux qui le suivent aux portes du ciel, à la gloire des saints, au triomphe des martyrs; et alors les affligés, dans l'allégresse de leur victoire, chantent à Dieu un cantique nouveau, que ne peuvent redire les anges, puisqu'ils n'ont jamais porté la Croix. LE DISCIPLE. Je vois bien, Seigneur, que vous êtes la Sagesse éternelle, puisque vous faites luire votre vérité dans mon âme avec une telle clarté, qu'il n'y reste plus aucun doute. Aussi, c'est du plus profond de mon cœur que je vous loue, que je vous bénis de toutes les croix passées et présentes que vous m'avez envoyées dans votre tendresse, pour mon plus grand bien. XX La méditation de la Passion de Jésus-Christ procure de grands biens ; et comment il faut s'y livrer. LE DISCIPLE. Je ne pourrai jamais exprimer, ô très-doux Jésus, combien votre très-sainte et trèsaimable Passion m'a consolé dans mes afflictions et mes angoisses. Je me souviens qu'un jour, étant triste, abandonné, privé de toute consolation intérieure, et dans une telle sécheresse, que je ne pouvais ni lire, ni prier, ni méditer, ni étudier, je me retirai dans un coin de ma cellule, et que, joignant les mains sur ma poitrine, je pris la résolution de ne plus sortir, puisque je ne pouvais faire autre chose pour l'honneur et la gloire de votre saint nom. Alors j'entendis votre voix qui me disait : Lève-toi, mon ami, regarde-moi crucifié, pense à tout ce que j'ai souffert pour toi, et tu oublieras tes afflictions. Et je me suis levé, j'ai médité et j'ai pleuré devant vous, et je me suis trouvé délivré de toutes mes peines et de toutes mes sécheresses. Je me disais que Paul, votre glorieux apôtre, avait bien raison de préférer la science de la Croix à la vision sublime qu'il eut de vos mystères, lorsqu'il s'écriait : « Je ne veux savoir autre chose que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié (1). » (1) Non enim judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Christum, et hunc crucifixum. (I Cor., II, 2.) |