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perfection que n'atteint pas une personne sur mille, parce que la plupart des chrétiens s'imaginent que tout est dans les pratiques extérieures. Ils s'y agitent pendant des années sans faire de progrès, et restent toujours les mêmes, toujours éloignés de la véritable perfection.

les

LE DISCIPLE. Mais qui pourra, Seigneur, tenir

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yeux de son âme toujours fixés sur votre divinité, et continuer, sans jamais l'interrompre, cette sublime contemplation?

LA SAGESSE. Aucun homme, sans doute; mais je te dis ces choses afin que tu t'efforces au moins d'y atteindre, que tu les désires, que tu en fasses la règle de tes exercices spirituels, et que tu y consacres ton cœur et ton esprit. Quand tu t'apercevras que tu t'éloignes du but et que tu es distrait de cette contemplation, songe que tu te prives de la béatitude même; retourne sur-le-champ à la fin que tu t'étais proposée, et veille constamment sur toi-même pour ne jamais t'écarter de la présence de Dieu. Toutes les fois que tu l'oublies et que tu marches à l'aventure, tu ressembles au nautonier qui a perdu, au milieu d'une tempête terrible, ses rames et son gouvernail: il ignore sa route et ne sait plus comment conduire son navire. Si tu ne peux rester constamment appliqué à la contemplation de ma divinité, reviens-y du moins sans cesse par le recueillement et la prière, et que tes efforts pour marcher en ma présence t'affermissent en Dieu autant qu'on peut l'être ici-bas.

Écoute, ò mon fils, ces leçons, qui ne trompent pas;

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écris-les au fond de ton cœur, et rappelle-toi toujours la tendresse qui me les inspire. Si tu veux faire de véritables progrès dans la vertu, que ces paroles ne s'effacent jamais de ton esprit; qu'elles te soient présentes, partout et à chaque instant, dans la paix ou dans le trouble, dans la fatigue ou le repos; tu y trouveras toujours les lumières et les avantages de la Sagesse. Mon fils, donne tous tes soins à Dieu et à ton âme, et tâche de ne jamais quitter et négliger ton intérieur. Sois pur, et débarrasse-toi de toutes les occupations qui ne sont pas nécessaires. Élève tes pensées au ciel et fixe-les en Dieu; tu te sentiras de plus en plus éclairé, et tu connaîtras le souverain Bien, dans l'ignorance et l'éloi– gnement duquel tu vis maintenant.

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LE DISCIPLE. Quelles actions de grâces vous rendrai-je, ô sublime Sagesse, pour ces enseignements que vous épanchez dans mon âme avec tant de bonté et de douceur? Vos paroles ne s'effaceront jamais de ma mémoire, elles seront la règle et la force de ma vie : c'est mon désir, mon ambition.

XXIV

Le disciple de la divine Sagesse assiste à la mort subite d'un jeune homme de trente ans.

LE DISCIPLE. Très-doux Jésus, que mes prières ne vous importunent pas, et daignez m'enseigner à mourir à moi-même et à toutes les choses créées, à

vivre pour vous seul, à vous aimer, à vous louer de toute mon âme, à vous recevoir humblement et dignement dans le très-saint Sacrement de l'autel. O mille fois heureux celui qui sait vous servir comme vous le méritez! Mais puisque vous m'avez exhorté de tant de manières à mourir avec vous sur la Croix, dites-moi de quelle mort vous parlez de la spirituelle, ou de la corporelle?

LA SAGESSE. De l'une et de l'autre.

LE DISCIPLE. - Mais on connaît la mort corporelle quand elle arrive; il n'y a pas alors besoin de grand enseignement pour subir la loi de la nature.

LA SAGESSE. - Celui qui attend la mort pour apprendre à mourir est dans une grande erreur. On n'apprend à mourir qu'en pensant toujours à la mort.

LE DISCIPLE.-Mais il est bien triste, bien pénible et bien dur de penser toujours à la mort.

LA SAGESSE.-Tu es assez aveugle pour ne pas voir qu'on meurt à chaque instant. Combien disparaissent dans les villes et les couvents! combien sont frappés de mort subite! Tu ne te rappelles pas qu'il y a peu de temps tu as failli mourir comme les autres. Ouvre donc tes sens intérieurs, et écoute, pour ton instruction, les gémissements d'un jeune homme que la mort a surpris.

LE MOURANT. Hélas! hélas! malheureux que je suis pourquoi ai-je vu la lumière? Je suis né dans les gémissements et les larmes, et je meurs au milieu des cris et des angoisses. Hélas! « les douleurs de la mort « m'ont environné, et les périls de l'enfer m'ont

« saisi (1). » O mort épouvantable, pourquoi venir empoisonner mes jeunes années? Moi, qui n'ai jamais pensé à toi, qui ne t'ai jamais désirée, pourquoi m'attaquer si brusquement? Me voilà dans tes liens comme un criminel qu'on entraîne au supplice. Je me frappe la tête de désespoir, et je me déchire dans ma rage. Pour moi, aucun secours, aucune espérance; j'entends la voix de la mort qui me crie: Malheureux, il faut rendre le dernier soupir; il est impossible d'échapper, rien ne te délivrera de mes mains; amis, parents, richesses, sciences, adresse, tout est inutile; tu dois subir ton sort et quitter la vie. Ainsi donc je vais mourir; il n'y a pas d'appel, et il faut me séparer de ce corps que j'aimais tant: ò mort! ô mort!

LE DISCIPLE. Mais, mon ami, pourquoi tant vous affliger? Ne savez-vous pas que la loi de la mort est commune à tous, au pauvre comme au riche, aux jeunes comme aux vieux? Il meurt même plus de jeunes gens que de vieillards. Pensez-vous être épargné seul par la mort? ce serait une grande folie.

LE MOURANT.Est-ce ainsi que vous me consolez? pourquoi me dire des paroles si dures et si amères? J'ai bien toute ma raison. Celui qui a vécu sans se préparer à la mort et qui meurt sans la craindre, celuilà est aveugle et fou; il meurt comme une brute, parce qu'il ignore le danger qu'il court. Je ne me plains pas de mourir, mais je me désespère de mourir subitement et sans préparation. Il faut subir une nécessité à

(1) Circumdederunt me dolores mortis, et pericula inferni invenerunt me. (Ps. cxiv, 3.)

laquelle je ne me suis aucunement disposé. Ce n'est pas seulement ma vie que je pleure, ce sont ces jours que j'ai perdus dans les plaisirs et les fêtes, tandis que j'aurais pu les utiliser pour mon âme.

α

Je suis maintenant comme une fleur tombée et desséchée, comme un avorton qui n'a pas connu l'existence. Le temps a passé pour moi comme la flèche d'un arc bien tendu, et ma vie va disparaître dans le néant de l'oubli. «< Aussi maintenant ma parole est pleine « d'amertume, et l'excès de ma douleur étouffe mes gémissements (1). » Oui! oui! malheur à moi! Si je pouvais retrouver mes premiers jours, si je pouvais avoir encore ce temps précieux qui m'était donné, et savoir ce que je sais maintenant! Comme je méprisais ce temps, et comme je le perdais en choses inutiles! Il est passé, et je ne puis le faire revenir. Infortuné que je suis, une de ces heures fugitives devait m'être plus précieuse que l'empire du monde entier; et maintenant je pleure leur perte, et toutes mes larmes ne peuvent m'en rendre un seul instant. Pourquoi n'ai-je pas mieux employé ce temps qui m'était donné pour bien mourir?

O vous, jeunes gens, qui êtes au printemps de la vie et qui en possédez les riches et riantes années, considérez mon malheur, et que mon exemple vous apprenne à vous donner à Dieu, afin qu'il ne vous arrive pas un jour ce qui m'arrive maintenant. O jeunesse mal employée, belles années perdues dans le

(1) Nunc quoque in amaritudine est sermo meus, et manus plagæ meæ aggravata est super gemitum meum. (Job. xxIII, 2.)

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