Page images
PDF
EPUB

258

LE LIVRE DE LA SAGESSE ÉTERNELLE.

autres ; mais quand ils s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes, en Dieu, qui est la Vérité suprême, ils vivent dans la plénitude de la science, sans jamais se tromper; car ils ne rapportent rien à eux-mêmes, et ne s'attribuent pas ce qui vient de Dieu.

LE DISCIPLE. Mais d'où vient que les uns se trouvent dans de grandes angoisses de conscience, les autres dans une grande assurance?

LA SAGESSE. Parce que les uns et les autres ne se détachent pas complétement d'eux-mêmes : les uns, spirituellement, et alors ils éprouvent le tourment de leur possession; les autres, matériellement, et alors ils se relâchent pour satisfaire leur corps; mais celui qui ne retourne point à lui et qui reste entièrement abandonné en Dieu, celui-là jouit d'une vie tranquille et inaltérable.

Ce que je t'ai dit, mon bien-aimé, doit suffire; on n'arrive point à ces vérités cachées en étudiant et en interrogeant; on y parvient en se renonçant soi-même humblement en Dieu.

Ces doux enseignements remplirent le bienheureux Henri de tant d'amour, qu'il composa, pour soulager son cœur, le petit Office de la Sagesse Éternelle que nous mettons à la fin de ses œuvres.

TRAITÉ

DE

L'UNION DE L'AME AVEC DIEU

INSTRUCTIONS ADRESSÉES A UNE RELIGIEUSE

I

Comment on doit purifier l'intelligence et se renoncer en Dieu.

Il faut maintenant, ma chère sœur, qu'après les exercices de la vie active, vous vous appliquiez à des choses intérieures plus directement utiles à votre salut, et que vous soyez sevrée des consolations, des formes, des images sensibles, et des actes qui sont le partage des commençants. Suivez mon conseil, ma chère sœur: vous avez acquis les forces et les ailes de l'aiglon qui va prendre son vol; quittez le nid des choses corporelles; élancez-vous, au moyen de vos puissances supérieures, jusqu'à la hauteur de la contemplation, où se trouve toute notre perfection. Ne voyez-vous pas que la vie active est un désert qui conduit à cette terre promise où le miel et le lait coulent en abondance, à cette pureté, à cette paix du cœur qui est l'avant-goût de la vie bienheureuse du ciel?

Pour atteindre cette région de la lumière et de la contemplation, il faut purifier son entendement; il faut rapporter à la louange et à la gloire de Dieu, au triomphe de l'Église catholique, à la paix, au salut des hommes, tout ce que vous faites, tout ce que vous voyez faire, tous vos désirs, toutes vos pensées; il faut vivre dans l'humilité et la douceur parfaite, afin que vous ne puissiez jamais troubler et blesser quelqu'un par vos paroles et vos actions. Telle est la règle d'une religion bien entendue, d'une sainte prudence qui convient à la nature, à la raison, à l'esprit et au cœur.

L'âme qui la suit est digne de toute louange; elle est illuminée à l'intérieur par les rayons calmes et divins de la Vérité, comme un beau ciel tout resplendissant d'étoiles. On manque à la soumission qu'on doit à Dieu lorsqu'on vit esclave de soi-même. On a beau vouloir s'élever à la contemplation et prétendre approfondir les mystères de Dieu; l'amour-propre fait que la nature est toujours rebelle, et qu'on obéit à ses passions. C'est une fausse lumière que celle qui brille au dehors, et qui n'illumine pas le cœur: ceux qui la possèdent, méprisent facilement les autres; ils ne ressemblent en rien à Jésus-Christ, et ils se croient cependant bien savants dans les choses spirituelles.

Appliquez-vous, je vous en conjure, à l'étude de la vie intérieure; elle consiste dans un renoncement et un anéantissement parfait de soi-même en Dieu, et dans une union très-intime de l'âme avec la divine Essence. Je veux vous apprendre les trois degrés de renoncement et d'anéantissement.

Le premier consiste à perdre son essence et sa nature de sorte qu'il ne reste rien de l'être, qui disparaît comme une ombre fugitive. L'âme ne peut ainsi se perdre et s'anéantir; elle n'est pas comme le corps, qui se réduit en cendres, parce qu'elle est créée à l'image de Dieu et de son éternité; elle possède une nature raisonnable et des facultés qui la rapprochent du Créateur.

Le second degré est un ravissement qui arrive dans le temps et dans l'espace, et qu'éprouvent les âmes lorsqu'elles sont entraînées par la contemplation dans l'essence de Dieu. C'est la vision où saint Paul fut élevé au-dessus de lui-même, au-dessus de toute forme, de toute image; mais cet état passe et dure peu. Saint Paul, revenu à lui, se trouva le même homme dans la même essence.

Le troisième degré est un anéantissement moral de pensée et d'affection, une sorte de renoncement infini en Dieu, par lequel l'âme se remet et s'abandonne tellement en lui, qu'elle n'a plus de connaissance ni de volonté, mais que, partout et toujours, elle obéit à la puissance de Dieu, qui la guide selon son bon plaisir sans qu'elle s'en aperçoive.

Ce renoncement ne peut être continuel dans cette vie, ni tellement complet et parfait, que l'homme ne se reprenne quelquefois et ne faiblisse en revenant à luimême. Il a beau se donner à Dieu sincèrement avec la ferme résolution de ne jamais reprendre ce qui n'est plus à lui, puisqu'il l'a abandonné, livré, anéanti en Dieu et en son bon plaisir la fragilité de la nature

humaine fait que l'âme revient de temps en temps à ses désirs, à la possession de sa volonté, et qu'elle commet des fautes par ce retour à elle-même.

Dès que l'âme s'en aperçoit, elle gémit, elle soupire, elle pleure, elle se lamente d'avoir ainsi cessé son renoncement; elle reconnaît sa misère, s'humilie profondément devant Dieu, et se détache de nouveau en prenant des résolutions plus fortes, et en mourant à elle-même pour se transformer en Dieu et ne plus l'offenser. Autant de fois elle tombe, autant de fois elle s'en repent et revient à Dieu, qui l'unit encore à lui avec amour, et lui rend son premier état. L'âme sc trouve ainsi toute changée et toute transformée en Dieu, « qui lui est tout dans tout. »

Préceptes relatifs à la vie unitive.

Ma bien chère sœur en Jésus-Christ, je veux, pour vous faire avancer dans la vie unitive, vous proposer quelques règles spirituelles qui pourront être d'une grande utilité à votre esprit et à votre cœur. Elles aideront à vous retirer de plus en plus de l'animalité des sens, et à marcher à grands pas vers votre félicité suprême.

Que votre vie, votre manière d'être, soit aussi intérieure que vous le pourrez; ne vous montrez pas, ne sortez pas de vous-même par vos paroles, vos actes et vos habitudes. Appliquez-vous au contraire à vous ren

« EelmineJätka »