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lerez de vous-même; la connaissance de votre incapacité, de votre faiblesse, vous fera renoncer et mourir à vous-même; et vous vous résignerez, vous vous abandonnerez de tout votre cœur en Dieu et en sa vertu; vous vous mépriserez, vous vous haïrez pour vous jeter avec une amoureuse confiance en Dieu, et vous vous ensevelirez en lui; vous vous oublierez et vous vous perdrez toute entière, non pas quant à l'essence de votre esprit, mais quant à la sensualité et à la propriété de votre corps et de votre âme; et lorsque vous serez ainsi élevée et abîmée dans l'immensité de l'Essence divine, vous serez unie et transformée en un seul esprit avec Dieu, et vous direz avec saint Paul : Je vis, mais ce n'est plus moi, c'est Jésus-Christ qui vit en moi (1).

VI

Du dernier degré d'union avec Dieu.

Ma bien chère sœur, l'âme qui par imitation se trouve avec Jésus-Christ mourant sur la Croix, peut aussi se rencontrer avec lui dans les profondeurs de sa Divinité, puisqu'il lui a été fait cette promesse : « Où « je serai, sera aussi mon serviteur (1). » Le premier rendez-vous est rude et austère, il y a du sang et des croix; mais le second est plein de joie et de bonheur. L'esprit y perd son activité, et disparaît dans l'océan de

(1) Vivo autem, jam non ego, vivit vero in me Christus. (Gal., II, (2) Ubi sum ego, illic et minister meus erit. (S. Jean, XII, 26.)

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la divine Essence; et c'est là justement son salut et sa félicité. Mais apprenez que la divine Essence dans son unité est l'origine de l'émanation intime des Personnes, qui, dans la Divinité, ne sont pas séparées, mais forment son unité essentielle, sa nature, sa substance. Ainsi la Trinité des Personnes est dans l'unité de nature, et l'unité de nature est dans la Trinité. Et comme les Personnes divines comprennent et embrassent l'Essence divine par l'unité et la substance naturelle, chacune des Personnes est Dieu. Mais comme la Trinité est une même essence dans l'unité de la nature divine, et que tout vient de l'unité, c'est là un mystère ineffable, incompréhensible dans sa profondeur et sa simplicité infinie.

Dans cette Essence divine, où les trois Personnes sont une même nature sans diversité, se trouvent aussi toutes les créatures, selon leur idéal éternel, dans leur forme essentielle, mais non pas accidentelle; elles sont Dieu en Dieu; c'est la création dans le temps qui leur donne leur nature particulière et les distingue de Dieu.

L'esprit des hommes parfaits peut s'élever à cet abîme de la Divinité, à cet océan de l'intelligible; il peut s'y plonger et nager dans les profondeurs incompréhensibles de la divine Essence; et là, détaché de toutes pensées vulgaires, rester immobile dans les secrets de la Divinité. L'homme alors se dépouille de l'obscurité de sa lumière naturelle, et se revêt d'une lumière supérieure. Dieu l'attire dans la simplicité de son unité, où il se perd lui-même pour se transformer en Dieu, non par nature, mais par grâce; et dans cette mer infinie

de lumière qui l'environne, il jouit d'un silence qui est la paix et la félicité parfaite. Il comprend le Rien éternel et existant, qui est l'Essence divine et incompréhensible; le Rien qu'on appelle rien parce qu'il n'est rien des choses créées, et que l'esprit humain ne peut trouver aucune créature qui puisse le contenir; il voit que ce Rien surpasse toute intelligence et qu'il est incompréhensible pour tous.

Lorsque l'esprit commence à se fixer dans les ténèbres de la lumière, il perd toute propriété de lui-même, toute action; il ne se connaît plus, parce qu'il est absorbé, enseveli en Dieu. Et comme, à cette hauteur de la contemplation, il reçoit dans sa pure substance une lumière qui rayonne de l'unité de la divine Essence et de la trinité des Personnes, son esprit se perd dans ces splendeurs; il meurt à lui-même et à l'emploi de ses forces et de ses facultés; il est ravi et comme égaré dans une ignorance divine; il est absorbé dans le silence ineffable de la lumière infinie et de l'unité suprême. C'est là le point le plus élevé que puisse atteindre l'esprit de l'homme.

Saint Denis l'Areopagite appelle cet état : « la hauteur inconnue et lumineuse, les ténèbres profondes d'une splendeur éblouissante, le rayon de l'obscurité divine; >> parce que l'âme s'y unit à la divine Essence, et que dans cet océan de lumière elle la voit, la contemple et la possède; ce qu'elle comprend dans sou ravissement, c'est que l'infini surpasse sa raison, et qu'il reste inconnu à toutes les intelligences; mais cet inconnu, elle en jouit à travers l'obscurité et les ténèbres

d'une lumière qui lui découvre l'immensité et l'incompréhensibilité de Dieu. Saint Denis l'Aréopagite écrit à son Timothée, dans le premier chapitre de la Théologie mystique : « Vous, mon bien cher Timothée, .appliquez-vous avec ardeur aux contemplations mystiques; quittez pour elles vos pensées, votre raison, les choses sensibles et intelligibles, tout ce qui est et ce qui n'est pas; et faites vos efforts pour vous perdre vous-même, pour vous unir à Celui qui est au-dessus de toute substance et de toute science. Lorsque vous serez affranchi de tout, vous vous envolerez vers ce rayon substantiel du mystère, vers cette hauteur lumineuse et inconnue, vers cette obscurité très- pure dont les ténèbres éblouissent (1). »

VII

Comment l'âme s'élève graduellement et se transforme en Dieu.

Cette union sublime avec Dieu est une obligation pour vous, ma chère sœur, à cause du principe dont vous dépendez. Je vous ai dit que, dans l'impénétrable

(1) Tu vero, Timothee carissime, intentissima contuendis spectaculis mysticis exercitatione, et sensus linguæ, et intellectuales operationes, et sensibilium, et intelligibilia omnia, et quæ non sunt et quæ sunt omnia; et, ut illi jungaris, qui super omnem substantiam, omnemque scientiam est, et ignoscere te ipsum, pro viribus intende. Enim vero abs te ipso atque ab omnibus libere et absolute et pure exercendo, ad supersubstantialem caliginis radium, ad incognitum et lucidissimum verticem, ad super liquidissimam caliginem, et ad eum qui in densissimis tenebris plusquam excellentissime splendet, sublatis omnibus, et absolutus ex omnibus evolabis.

abîme de la nature divine, le Père engendre le Verbe, qui, quant à l'essence, reste le même Dieu que le Père; comme si de l'être intime de l'homme sortait une forme semblable à lui qui retournerait sans cesse à son origine. Cette génération spirituelle du Verbe est le motif, la raison parfaite de produire et de créer tous les esprits, toutes les âmes, toutes les créatures.

L'Esprit suprême, qui est Dieu, élève l'homme dans sa création en l'éclairant d'une lumière divine et d'une intelligence faite à son image, afin qu'il retourne à Dieu. Mais la plupart des hommes méprisent cette lumière, avilissent la dignité de leur âme, obscurcissent sa divine ressemblance, et s'abandonnent aux plaisirs coupables du monde. Ils vivent dans les jouissances de la chair et poursuivent avec ardeur la satisfaction de leurs sens, jusqu'à ce que la mort, à laquelle ils ne pensaient pas, les renverse, les réduise en poussière, et les fasse disparaître.

Les sages et les prudents, au contraire, suivent cette étoile brillante et divine de leur âme, et s'attachent à ce qui est stable, à ce qui est leur origine; ils renoncent aux plaisirs des sens, à toutes les créatures passagères, et s'unissent avec ardeur à l'éternelle Vérité.

Voici en peu de mots par quels degrés l'âme doit retourner à l'union de Dieu, qui l'a créée; faites bien attention à mes paroles. Il faut d'abord que l'âme se purifie de tous les vices, et se sépare généreusement de tous les plaisirs du monde, pour s'attacher à Dieu par des prières continuelles, par son isolement de toutes les créatures, et par de saints exercices qui assujettis

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