Page images
PDF
EPUB

cette Reine du ciel qu'il faut le plus honorer. Récitez avec dévotion son office; si vous la prenez pour protectrice et pour amie, vous obtiendrez de Dieu de grandes grâces, et vous éprouverez sa miraculeuse assistance dans tous vos dangers, vos angoisses, vos afflictions, et surtout dans les langueurs de la mort. Que Dieu tout-puissant nous fasse la grâce d'abandonner entièrement le monde et de nous avancer dans son divin amour. Ainsi soit-il.

LETTRES SPIRITUELLES

DU

BIENHEUREUX HENRI SUSO

LETTRE PREMIÈRE

A une religieuse, sur le mépris et l'oubli du monde.

Je veux vous dire, ma bien-aimée sœur, les pensées qui me sont venues lorsque vous vous êtes consacrée à Dieu et que j'entendais cette mélodie douce et virginale que l'on chantait pour vous: « L'amour de mon Seigneur Jésus-Christ m'a fait mépriser le royaume du monde et toute la pompe du siècle. » On a bien raison, me disais-je, de tout abandonner lorsqu'on trouve un ami précieux et fidèle comme celui-là, et c'est avec joie et résolution que vous devez renoncer à ce monde trompeur. Voyez comme il abuse tous ceux qui l'aiment; je m'attachais à une ombre, je poursuivais un songe, et je croyais à une chimère; et maintenant, où est cette apparence, cette ombre? où sont les promesses de ce songe et la foi que j'avais en cette chimère? Et que serait-il arrivé, monde imposteur, si j'avais goûté tes

LETTRES SPIRITUELLES DU BIENHEUREUX SUSO. 415

joies pendant mille ans? Ces mille ans n'auraient-ils pas fini comme une heure, comme un instant? Ta nature, ton essence est de t'écouler, de t'évanouir; et lorsque je croyais t'étreindre, tu glissais de mes mains comme un serpent flexible. Celui qui ne te fuit pas le premier, tu le trompes bientôt et tu le délaisses: adieu donc, siècle trompeur, lâche ennemi; puissance du monde, gloire de ses adorateurs, je vous dis un éternel adieu.

Oui, ma bien-aimée fille en Jésus-Christ, rappelezvous qu'aujourd'hui vous avez renoncé volontairement à vos amis, à vos parents, aux honneurs et aux richesses; soyez ferme dans votre résolution, et n'imitez pas les vierges folles qui sont dans leurs cloîtres comme des bêtes enfermées dans un parc; elles ne peuvent sortir, mais elles le désirent tant, qu'une partie d'elles-mêmes erre au loin, tandis que l'autre est prisonnière. Oh! comme ces infortunées perdent et dissipent leurs années! Et pourquoi? pour une frivolité, pour un néant. Le service de Dieu est pour elles une captivité, et la règle un dur assujettissement.

Elles ne peuvent prendre et goûter le fruit du siècle, mais elles cherchent à respirer son odeur au lieu d'une couronne de roses, elles se parent avec leur voile; pour remplacer la pourpre et le brocard, elles font servir à leur folle vanité le sac et la cendre dont elles sont couvertes; elles négligent Dieu, dont elles sont les épouses choisies, pour se livrer aux vaines amitiés des hommes; et qu'en retirent-elles? la perte du temps, les orages du cœur et la ruine de toute vie

spirituelle. Ces visites, cet échange de lettres mettent sans cesse dans leur âme l'image et le désir des absents; elles deviennent comme ces malades que la soif dévore et qui demandent à boire sans jamais pouvoir se désaltérer; les infortunées perdent la grâce et vivent dans le trouble et la tristesse.

Un moine se fit un manteau avec une natte; le diable vint s'asseoir dessus, et lui dit en se moquant : Si tu pouvais, tu ferais bien davantage.

Hélas! que cette vie est triste et malheureuse! Et encore, c'est la préparation, le chemin de l'Enfer. Ne pouvoir se réjouir avec le monde comme on le désire, et être privé de Dieu! ne goûter ni les plaisirs du monde ni les consolations du Ciel! Au contraire, pour celui qui sert Dieu, que la vie est douce, agréable et tranquille dans ce monde comme dans l'autre ! Si les serviteurs de Dieu tombent quelquefois dans l'affliction, ils ne se tourmentent pas; ils savent que le joug de Jésus est doux et facile à porter. D'ailleurs, quel est sur terre celui qui n'a point de croix? les petits et les puissants ne les évitent jamais, et elles n'épargnent ni la couronne, ni le sceptre, ni la pourpre. Sous cet extérieur qui paraît si beau, si riche, si brillant, se cachent sans cesse les déchirements et l'angoisse.

Le cœur de l'homme exilé dans cette vallée de larmes vit toujours au milieu des épines et des croix. Souffrir pour l'amour de Dieu est un bonheur parfait; la mortification paraît d'abord dure et cruelle, mais peu à peu elle perd son amertume et devient d'une douceur extrême. Ainsi donc, ma bien-aimée sœur, si vous

avez dormi dans le monde, il est temps de vous réveiller, pour réparer les négligences de votre vie passée; ouvrez votre âme à Jésus, que votre Époux vous visite autant qu'il lui plaira; retenez-le, aimezle, embrassez-le au fond de votre cœur; livrez-vous tout entière à lui, et soyez pour le moins aussi sainte que vous avez été frivole quand vous étiez l'amie du monde.

LETTRE II

Il exhorte une religieuse à l'humilité du cœur, au courage dans les souffrances et à la persévérance dans les bonnes œuvres.

N'est-il pas vrai, ma bien douce fille, que l'amour rassemble et unit les choses les plus différentes et les plus opposées? Isaïe ne dit-il pas : « Le loup habitera « avec l'agneau (1)? » Combien de nobles, de riches, de princes mêmes et de rois se sont faits les serviteurs et les esclaves des pauvres! Et cela pour imiter le cher petit enfant Jésus, leur céleste ami et la seule passion de leur cœur. Vous aussi, ma chère fille, foulez aux pieds cet orgueil secret que fait naître dans votre âme la noblesse de votre naissance; laissez toutes les pensées vaines et trompeuses de vos amis et de vos parents; venez vous humilier aux pieds de Jésus, qui naît tout petit dans la pauvreté d'une étable, pour vous élever au trône de sa gloire et de sa majesté.

Soyez forte et généreuse; pour imiter votre Seigneur,

(1) Habitabit lupus cum agno. (Isaïe, x1, 6.)

« EelmineJätka »