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règneras attaché et uni à mon cœur. » Ces paroles anéantirent d'amour le saint jeune homme, et de ses yeux s'épanchaient deux fontaines de larmes.

Des grâces semblables lui étaient accordées pendant ses prières du matin, lorsqu'à l'aurore il se prosternait trois fois en embrassant la terre et en saluant ainsi l'éternelle Sagesse : « Mon âme a soupiré après vous toute « la nuit, et dès le matin mon esprit s'est empressé <«< de vous louer du plus profond de son être (1). Tantôt il s'adressait à sa chère Étoile de lumière et d'amour, à Marie, la Mère du Verbe incarné, tantôt au Séraphin le plus élevé du ciel, à celui qui, de tous les esprits bienheureux, ressentait davantage l'amour de l'éternelle Sagesse; et il activait tellement son ardeur pour Dieu, qu'il devenait comme un foyer d'amour, et que ses paroles étaient des flammes qui embrasaient tous les cœurs.

Au temps du carnaval, ayant passé toute une nuit en oraison, le matin, à l'instant où le jour allait paraître, les anges descendirent dans sa cellule et chantèrent: « Levez-vous, illuminez-vous, Jérusalem, parce que « votre lumière a paru, et que la gloire du Seigneur « brille sur vous (2).» Frère Henri, en entendant ce chant du paradis, pleura avec tant d'abondance, que son visage était tout inondé de larines. Son enivrement fut si grand, que son corps ne put le supporter, et les anges

(1) Anima mea desideravit te in nocte, sed et spiritu meo in præcordiis meis de mane vigilabo ad te. (Isa., xxvi, 9.)

(2) Surge, illuminare, Jerusalem, quia venit lumen tuum, et gloria Domini super te orta est. (Isa., LX, 1.)

se virent forcés de se taire. Une autre fois il fut transporté au sein d'une grande lumière, et il se trouva près de son ange gardien. «Esprit tout aimable, lui dit-il, « vous que Dieu a bien voulu me donner pour gardien <«< et pour consolateur, je vous conjure, par l'amour « que vous avez pour votre créateur et votre Dieu, de « ne me quitter jamais, et de ne point m'abandonner « tant que je vivrai dans cette vallée de larmes. » L'ange lui répondit : « Pourquoi l'adresser à moi ? «< crains-tu de te confier à Dieu? Apprends et crois que « du sein de son éternité il t'a aimé et t'aime avec un «< amour si grand, qu'il ne veut jamais t'abandonner, « et qu'il se plaira toujours à résider dans ton cœur. » Frère Henri demanda à l'ange qu'il lui fût permis de voir comment Dieu habitait son cœur, et il lui fut répondu « Fixe tes yeux sur ta poitrine, et tu verras « ce que l'amour divin opère en toi. » Et le saint vit sa poitrine transparente comme du cristal; et il aperçut dans la retraite la plus intime de son cœur l'éternelle Sagesse qui s'y reposait dans une paix profonde. A ses côtés, et s'appuyant sur son sein, l'àme d'Henri s'efforçait de se transformer en elle, et de se cacher dans les bras de son Rédempteur, pour s'y endormir dans les délices de l'extase.

Ces visites du ciel se renouvelaient souvent pour notre cher Henri, pendant sa jeunesse et surtout lorsqu'il se trouvait triste et abattu par la rigueur de ses austérités. Alors les anges venaient le consoler par leurs chants, et l'invitaient à chanter lui-même ; ils le prenaient par les mains pour le faire danser et chanter

avec eux. Ces danses n'étaient pas humaines et ne ressemblaient en rien aux nôtres; elles étaient spirituelles et intelligentes; c'était comme un élan de Dieu, une joie avec Dieu, un retour à Dieu, un flux et un reflux dans cet abîme immense de la Divinité. Ces plaisirs célestes lui faisaient si bien oublier toutes ses peines, qu'il lui semblait ne les avoir jamais souffertes; et son ange gardien lui disait : «Reste avec nous, Henri, et « la douleur, la tristesse déserteront ton âme; chante joyeusement dans notre compagnie, participe à nos <«< divertissements, et tu ne sentiras plus le poids de tes afflictions. Henri, le bonheur et l'allégresse que tu <«< ressens en nous entendant, nous l'éprouvons, nous, quand tu souffres pour l'amour de Jésus-Christ, <«< quand tu chantes et que tu bénis l'éternelle Sagesse « au milieu de tes peines. »

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Les anges rendirent témoignage devant les hommes de la sainteté d'Henri, et la firent connaître particulièrement à un grand serviteur de Dieu, qui le vit en esprit entouré d'une foule de petits anges qui le caressaient au moment où il célébrait à l'autel. Ce serviteur de Dieu leur demandant pourquoi ils l'entouraient ainsi et l'embrassaient avec tant d'affection : « Ce jeune homme, répondirent-ils, est notre plus <«< cher ami, et nous lui témoignons la familiarité et les « sentiments les plus tendres, parce que Dieu entre<< tient dans son âme des vertus ineffables, et lui porte <«< tant d'amour, que tout ce qu'il demandera il l'ob« tiendra sans être jamais refusé. »

VIII

De ses rapports avec les ȧmes du purgatoire.

Frère Henri vivait dans une si grande pureté d'àme, un tel détachement de la terre et un tel goût du ciel, que Dieu lui faisait connaître les choses de l'autre vie et lui apprenait ce qui se passait dans le paradis, l'enfer et le purgatoire; les âmes innombrables de ceux qui mouraient lui apparaissaient et lui révélaient leur état, leurs joies ou leurs peines. Il vit entre autres l'âme d'un nommé Eckard; ce saint homme lui raconta qu'il était dans le ciel, heureux, inondé d'une gloire ineffable et réellement tout transformé en Dieu. Frère Henri lui demanda comment se reposent en Dieu ceux qui désiraient ici-bas satisfaire la Vérité suprême par un abandon total et une confiance véritable et parfaite envers le Créateur. L'âme d'Eckard lui répondit : « Ceux-là sont « les bien-aimés, et leurs âmes sont dans le ciel déli«< cieusement unies à Dieu et toutes submergées dans <«<l'abîme de son essence divine; et comme cet abîme « de la Divinité n'a pas de forme, de mesure et de << limites, aucune expression ne peut rendre la félicité « de ces âmes bienheureuses qui sont toutes noyées en <«< Dieu. Dites-moi au moins, répliqua Henri, quel « est, dans notre pèlerinage, l'exercice spirituel le plus « utile et le plus efficace pour arriver à cette parfaite « béatitude? - L'âme répondit: C'est de renoncer à

«soi et à toute propriété en se confiant aveuglément à « Dieu; c'est de recevoir tout ce qui arrive comme << venant du Créateur et non de la créature; c'est d'être patient et doux avec ceux qui nous poursuivent « comme des loups furieux. >>

Il vit aussi l'âme de frère Jean Fucrer de Strasbourg, qui lui dévoila toute la beauté de sa gloire. Henri lui demanda quelle était la plus grande douleur que pût supporter le juste et la plus méritoire pour obtenir le ciel? Et l'âme lui répondit : « La plus grande douleur du juste <«<et la plus méritoire est de se trouver abandonné de « Dieu, de s'oublier soi-même et de se faire violence << au point de se résigner par amour à rester privé de « Dieu, autant qu'il plaît à Dieu lui-même; » puis elle disparut.

Une autre fois, parmi beaucoup d'autres âmes, il vit l'âme de son père, qui avait vécu très-attaché au monde; elle lui apparut toute souffrante et toute affligée, lui faisant comprendre par là les peines cruelles qu'il endurait dans le purgatoire, et lui demandant le secours de ses prières; notre Henri répandit des larmes si ferventes, qu'il la délivra bientôt, et elle revint le remercier de son bonheur. L'àme de sa mère, qui avait été une femme d'une grande sainteté, le visita aussi pour le consoler et l'entretenir des ineffables récompenses dont elle jouissait en paradis. Ces visites des anges et des âmes l'encourageaient beaucoup, et le fortifiaient de plus en plus dans le service de Dieu.

« EelmineJätka »